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par Elsa - le 16/01/2015
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par Elsa - le 16/01/2015

Le Divin, la critique

Ça commence avec deux frères jumeaux, devenus dessinateurs, et qui ne se sont clairement pas contentés de se partager quelques miettes de talent. Asaf et Tomer Hanuka sont deux génies, qui en plus de dessiner particulièrement bien l'un et l'autre, savent transmettre les émotions avec une puissance exceptionnelle. Alors imaginez quand ils travaillent ensemble.

Tout est parti d'une photo, des enfants de douze ans à l'histoire aussi dure qu'incroyable. Cette image a hanté un long moment Asaf, Tomer, et leur scénariste sur Le Divin : Boaz Lavie. Alors, à partir de ces regards dont ils ne pouvaient se défaire, ils ont imaginé une bande dessinée. Nous ne sommes que le 16 janvier mais l'on peut d'ores et déjà affirmer que ce titre sera l'une des meilleures sorties de l'année.

Quanlom.

Mark est un consultant en explosifs qui mène une existence tranquille aux Etats-Unis. Un de ses amis insiste lourdement pour qu'il participe à une mission secrète en Asie du sud-est. C'est aussi simple qu'exagérément bien payé : il doit juste déminer un tunnel de lave. D'abord réticent, il finit par céder à l'appel de l'argent facile. Malgré un contexte tendu sur place, tout se déroule correctement, jusqu'à ce qu'il croise la route de Le Divin, deux enfants-soldats qui vont profondément bouleverser sa vie.

"Nous ne sommes pas des enfants ! J'ai neuf ans et sept mois."

Sans doute faut-il vous prévenir dès à présent : Le Divin est à réserver à un public averti. Les images, le contexte, certaines scènes quasiment insoutenables, tout est particulièrement dur et violent dans cette bande dessinée. Pourtant les auteurs dosent avec un talent rare cette violence et une sublime poésie qui nous empêche de détacher les yeux un instant des planches.

Si la couverture est superbe, les planches le sont encore plus. Il y a ces couleurs d'abord, saturées, fluos, féroces, qui happent le regard comme un feu d'artifice. Il y a ce trait ensuite où s'entremêle le talent des deux dessinateurs, à la fois réaliste, très épuré, et vibrant. Ces compositions de planches impeccables, qui là encore vont à l'essentiel, laissant toute la place à la nature humaine, écorchée vive dans une situation toute en danger, en tension et en rage. Il y a peu de décors mais ils sont magnifiques. Entre les lignes et entre les cases, on ressent une espèce de calme silencieux particulièrement effrayant, dans les scènes de dialogues comme dans les scènes d'action. Comme un grondement si sourd qu'on ne saurait dire si on le rêve, mais qui annonce bien des dangers.

De la même manière, le récit va à l'essentiel, nous montrant plus qu'il ne raconte l'expérience hors norme que vit Mark. Petit à petit, la cruelle réalité se teinte d'un fantastique ancestrale et puissant qui n'adoucit en rien le propos. Les créatures que l'on croise ici portent en elles la rage d'une Nature que l'homme détruit sans état d'âme. Le rythme est très dur, froid. Mais en même temps tout est tellement beau et fort qu'on reste là, rivé à l'histoire, dévorant les pages les unes après les autres, hypnotisé. Le trio met des mots et des images sur une situation où l'innocence est morte, où de l'enfance il ne reste que du courage, de la détermination, et un respect profond de ce qui nous dépasse. Le choix du sujet (la situation en Asie du sud-est, les enfants soldats, le comportement des puissants vis à vis de lieux et de choses sur lesquels ils n'ont aucun droit) était délicat mais les auteurs s'en sortent avec brio, grace à beaucoup de finesse, de simplicité et d'humilité.

Difficile pour moi de développer plus longuement pourquoi cette bande dessinée est incroyable (mais croyez-moi, elle l'est) tant j'ai du mal à mettre des mots sur mon ressenti. Quitte à m'autoriser la première personne sur un paragraphe, je dois vous dire que j'ai terminé Le Divin le coeur battant particulièrement vite, le souffle un peu coupé, bouleversée par la violence, mais plus encore par la beauté et la poésie brutales qui se dégage de ce livre hors norme.

Boaz Lavie, Tomer et Asaf Hanuka livrent ici une histoire dépouillée d'artifice, où le fantastique nait des entrailles de la Nature et où les humains sont remis à leur véritable place : celle d'une espèce parmi tant d'autres qui devraient accepter le cadeau qui leur est fait plutôt que de se prendre pour des dieux. Un récit aussi dur que beau, où les émotions les plus brutales explosent sur les planches à travers une narration et une mise en scène véritablement impeccables. Nul doute que Mark ne sera pas le seul à ne pas pouvoir sortir indemne de sa rencontre avec Le Divin, et que les jumeaux hanteront également notre esprit un long moment...

Pour vous faire une petite idée de l'immense talent des frères Hanuka : le blog d'Asaf (adapté en bd sous le titre K.O. à Tel Aviv chez Steinkis) et la page facebook de Tomer Hanuka.

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