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Incontournables
par Léonard Fougère - le 14/08/2022
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par Léonard Fougère - le 14/08/2022

Fumiyo Kôno ou les héros de tous les jours

À la découverte de Fumiyo Kôno à travers ses histoires de quotidiens simples et légers. Une manière de dresser le portrait de vies banales que l’autrice a le don de sublimer, peu importe le cadre, l’âge ou l’époque.

Il ne serait pas exagéré de qualifier de « patrimoine » les œuvres de Fumiyo Kôno. Non pas pour leur âge, quoique certaines approchent de la vingtaine, mais pour la mission mémorielle qu’elles remplissent. Depuis ses débuts en 1995, l’autrice a pris pour habitude de dépeindre des histoires ancrées dans des quotidiens banals mais qui n’en sont pas moins intéressants. Loin de se porter sur les figures historiques ou glorieuses, elle apprécie mettre en lumière des personnes de tous les jours. Elle témoigne, via la fiction, des modes de vie et des mentalités selon les époques, via des points de vue d’individus, souvent laissés sous silence. 

© Une Longue Route / Fumiyo Kôno / Kana / Futabasha Publisher Ltd.

De modestes protagonistes

Parler de banalité pour les mangas de Fumiyo Kôno est tout sauf un reproche. C’est justement son choix et son envie de mettre en vedette des personnages au quotidien modeste. Une Longue Route illustre cette idée à merveille en portant sur un jeune couple des années 2000. L’un est un chômeur régulier et coureur de jupons, tandis que l’autre est une jeune rêveuse contrainte de se marier à cet homme qu’elle ne connaît pas suite à un mauvais pari de leurs pères. Il s’ensuit alors le récit de leur vie quotidienne, durant laquelle ils vont apprendre à cohabiter. 

Un duo atypique, dont les profils ne sont ni glorieux ni éclatants. La gentillesse de la pauvre Michi fait de la peine face à son mari, l’égoïste et cynique Sosuke. Une triste situation pour la jeune femme dont la naïveté n’aide pas à s’imposer face à cet homme qui ne semble pas la mériter. Sans gommer les imperfections de ce couple et en apportant de la nuance, notamment pour Sosuke, Fumiyo Kôno ancre davantage ses personnages dans la réalité. Loin de portraits lisses et manichéens, elle propose des protagonistes rendus humains par leurs erreurs et leurs nuances. Elle le fait avec un regard teinté d’humour et de tendresse. Le titre abonde d’un humour aigres-doux, se jouant régulièrement des situations avec des chutes inattendues. Les blagues se jouent beaucoup de Sosuke et de sa mesquinerie, rééquilibrant le personnage face à la pauvre Michi. 

© Pour Sanpei / Fumiyo Kôno / Kana / Futabasha Publisher Ltd.

Simplement sensible

Ce regard décalé, elle l’emploie également dans Pour Sanpei, histoire d’un veuf partant vivre avec la famille de son fils. Un récit familial sur fond de deuil et de cette  vieillesse qui ne prête pas au rire, pourtant la patte de Fumiyo Kôno permet encore d’aborder avec légèreté ces thématiques. Ses chutes comiques permettent de désamorcer des situations tendues ou de contrebalancer une déclaration importante. Les enchaînements sont malins et restent satisfaits malgré la répétitivité de cette structure.

Le style de l’autrice se met au diapason des histoires modestes qu’elle raconte avec sobriété. Son découpage se veut très rectiligne, avec de nombreuses cases carrées qui s’enchaînent. Une habitude héritée de ses débuts en yonkoma , ce type de mangas, souvent humoristiques, exclusivement en quatre cases à la verticale. Cette linéarité d’apparence brute permet au contraire d’insuffler un rythme régulier au récit, idéal pour sa dimension quotidienne. Pour Sanpei s’accommode parfaitement de cette narration puisque son récit tourne en partie sur un livre d’instructions ménagères laissées par la défunte épouse de Sanpei. Ce qui permet alors de suivre le vieil homme appréhender de nouvelles tâches au fil de l’histoire, étapes par étapes. 

© Dans un recoin de ce monde / Fumiyo Kôno / Kana / Futabasha Publisher Ltd.

Une Longue Route est un modèle de cette philosophie avec quelques surprises. De multiples chapitres sont complètement silencieux, et toute la narration passe par le dessin, rendant ces moments plus intimistes. L’apparence simple de ses personnages, dépeints d’un trait fin, n’entrave en rien leur expressivité. Leurs visages s’illuminent d’expressions en tout genre, notamment un plissement des yeux en V qui est la marque de l’autrice. Cela passe aussi par la gestuelle du corps, discrète mais si évocatrice, en particulier avec celle des mains. 

Sa régularité narrative et sa sobriété visuelle rendent d’autant plus marquantes leurs coupures. Cela peut être pour une demi-page qui marque un temps d’arrêt, mais surtout pour de rares — toutefois mémorables — doubles pages. De quoi profiter de son trait à l’allure crayonnée qui apporte une sensibilité chaleureuse. La variation des techniques de dessins, comme le fusain, ancre certains chapitres hors du temps. C’est le cas à plusieurs reprises dans Une Longue Route mais encore plus avec Dans un Recoin de ce Monde qui nous plonge dans l’esprit rêveur de sa protagoniste et ses réflexions. 

Héros de tous les jours

Des personnages qui font face à la vie, aux doutes, aux  joies et peines, voici les héros qu’a choisi l’autrice. Il n’est donc guère étonnant de voir les projecteurs braqués sur un couple modeste dans Une Longue Route ou sur un grand-père veuf dans Pour Sanpei. Ces profils ne sont pas les plus glorieux mais ils traversent à leur manière leurs propres épreuves. Sosuke et Michi vont apprendre à se connaître et à s’aimer, tandis que Sanpei fera son deuil pour repartir de l’avant dans sa vie. 

© Dans un recoin de ce monde / Fumiyo Kôno / Kana / Futabasha Publisher Ltd.

C’est d’autant plus le cas pour Dans un Recoin de ce Monde où elle dépeint une jeune femme au foyer durant la Seconde Guerre mondiale. Loin des champs de batailles et des espaces militaires, on nous montre la guerre vue de loin, par ceux qui n’y participent pas directement. On la voit s’immiscer peu à peu dans leur quotidien, nourrir les inquiétudes envers les proches appelés sur le front, la fierté des grands navires de guerre nippons qui s’ancrent au port… Le récit reste particulièrement léger, à l’image de Suzu, sa protagoniste. Dessinatrice en herbe et rêveuse à toute heure, on la suit dans son quotidien avec son mari et de sa famille. Une vie rythmée par les tâches ménagères, son intégration progressive et parfois difficile auprès de son nouveau foyer. La bonne humeur de Suzu et les séquences paisibles emportent le lecteur dans ce joyeux récit historique jusqu’à ce que la guerre et l’histoire, les rattrape. 

Aussi doux que cruel, Dans un Recoin de ce Monde est un récit bouleversant qui montre une autre facette de la guerre au Japon. Plus discrète mais pas moins tragique, son histoire permet de témoigner de ces vies que la guerre aura marquées à jamais. 

Affronter la vie au quotidien est déjà une aventure en soi, et Fumiyo Kôno parvient à l’illustrer à merveille. Avec son dessin et son écriture, elle apporte légèreté et humour à des histoires aux dessous souvent bien plus lourds. Et, si Dans un Recoin de ce Monde est son œuvre la plus connue et la plus marquante, ses autres titres méritent tout autant le coup d’œil. Avec toujours la même magie pour retranscrire ces vies discrètes qui cherchent à trouver leur place dans ce monde. 


Une Longue Route  de Fumiyo Kôno, Kana


Pour Sanpei de Fumiyo Kôno, Kana (2 vol.)


Dans un Recoin de ce Monde de Fumiyo Kôno, Kana (2 vol.)


Illustrations principale : Fumiyo Kôno / Kana / Futabasha Publishers Ltd.

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