Illustration de l'article
Critiques
par Thomas Mourier - le 6/11/2020
Partager :
par Thomas Mourier - le 6/11/2020

1984 de Fido Nesti

Fido Nesti s’attaque à l’œuvre de George Orwell, à traduire en bande dessinée ce livre que tout le monde connaît, ou presque, et nous offre une relecture élégante du texte à travers son dessin. En 200 pages, le dessinateur nous immerge à Londres aux côtés de Winston, Julia et O’Brien, derrière les matérialisations de Big Brother ou de la Salle 101.

Chaque semaine, retrouvez toutes les sorties passées au crible de nos rédacteurs dans la catégorie Notre œil sur les sorties. BD, Comics ou manga toute l’actualité chroniquée en complément de nos Incontournables ou nos dossiers

1984 de Fido Nesti, Grasset
Sortie novembre 2020

Best-seller de la littérature anglo-saxonne, livre de chevet pour tous les amateurs de SF et livre intemporel sur les abus du pouvoir, 1984 est de toutes les époques. 70 ans après sa mort George Orwell est aussi un contemporain très actif en ligne : 1984 est régulièrement cité pour commenter l’actualité et encore plus depuis 2020 où les citations — fausses, le plus souvent — hantent nos réseaux sociaux. On imagine que l’auteur britannique aurait apprécié que les complotistes s’amusent à détourner, modifier ou compléter sa prose pour commenter chaque nouvel événement de 2020.

Si cette œuvre à une influence majeure sur la littérature, le cinéma et la bande dessinée elle n’avait jamais été vraiment adaptée. Parfois par des chemins détournés comme la série Une vie, Winston Smith (1903-1984), La biographie retrouvée de Christian Perrissin & Guillaume Martinez ; ou à travers son auteur dans l’élégante biographie Orwell de Pierre Christin, Sébastien Verdier & invités.

1984 de Fido Nesti, Grasset

En 2020 l’auteur brésilien Fido Nesti s’attaque à l’œuvre, à traduire en bande dessinée ce livre que tout le monde connaît (ou presque) et nous offre une relecture élégante du texte à travers son dessin. Réussite graphique d’abord, le trait de Fido Nesti réussit ce difficile mélange d’attirance et de répulsion qui en fait un objet fascinant. Il arrive à créer un Winston mou et presque visqueux au milieu d’un univers où les machines & bâtiments semblent incarnés. Ce travail subtil est souligné par l’utilisation de techniques différentes, inserts colorés pour un morceau de corail, ombres en mouvement pour le début d’une idylle ou bichromie pour la fin d’une vie. Ou encore, pictogramme façon infographies pour illustrer les pages de textes du livre interdit que l’on a sous les yeux. Habile jeu de sens pour le lecteur qui change de réalité, de la bande dessinée vers le texte ; comme Winston & Julia changent la leur en découvrant cette prose impossible. 

L’auteur et l’éditeur prolongent ce choix d’utiliser les mots — qui est l’une des thématiques essentielles du livre — en laissant certains passages en anglais, sans sous-titres, qui donnent à lire la langue d’Orwell. Pour tâter de son travail sur la langue, face au terrible NéoParler (ou Novlangue dans les anciennes traductions), de son sens de la formule (et des slogans) ainsi que prolonger le malaise qui habite notre héros : ne pas tout comprendre. 

L’autre idée est d’avoir confié la traduction de l’album à Josée Kamoun qui avait proposé une nouvelle traduction de 1984 en 2018. Une version revisitée, qui a provoqué pas mal de débats dans les cercles littéraires, car elle reprend les termes forgés par Orwell (exercice périlleux), mais avec de bonnes idées qui dépoussièrent le roman, transcrivant le texte du passé au présent, lui donnant des dialogues plus vifs ou des allures plus littéraires que le texte un peu figé en vigueur depuis plus de 65 ans, traduit par Amélie Audiberti. Ce choix permet de ne pas ajouter une couche supplémentaire de modifications, changements qu’aurait pu apporter un interprète supplémentaire. 

1984 de Fido Nesti, Grasset

Outre l’insert des feuillets tapés à la machine, Fido Nesti casse ses planches avec plusieurs pleines pages théâtrales où personnages & objets se retrouvent isolés, mais aussi par des ruptures de rythmes ou encore des cases qui deviennent elles-mêmes barreaux de prisons, dans l’une des scènes de torture les plus célèbres de la littérature. La couleur joue un rôle symbolique, où ce rouge presque fluorescent s’immisce dans les gris comme le “doublepenser” des protagonistes. On trouve toute la force du travail de l’illustrateur dans ces pages, lui qui travaille pour le New Yorker ou réalise des couvertures de romans au Brésil.

Si comme beaucoup vous êtes déjà familiers avec Big Brother, avec cette incroyable fiction qui semble se rapprocher de plus en plus de notre réalité, je vous conseille de lire aussi cette adaptation. Et si vous ne connaissez pas encore l’œuvre d’Orwell, cet album est une belle porte d’entrée, que vous pourrez compléter avec ses romans par la suite : on notera que les textes de l’auteur britannique tomberont dans le domaine public à la fin de l’année. Si avec tout ça 2020 n’est pas l’année la plus dystopique…

Illustration principale © Fido Nesti /Grasset

Actualités
Voir tout
Publications similaires
Abonnez-vous à la newsletter !
Le meilleur de l'actualité BD directement dans votre boîte mail