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par Thomas Mourier - le 16/02/2024
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par Thomas Mourier - le 16/02/2024

« C’est toujours amusant, et un peu casse-gueule de faire une adaptation » Étienne Willem nous raconte son Paris des Merveilles

Rencontre avec l’auteur Étienne Willem au moment de la sortie du 2e volume qui conclut le premier diptyque des enchantements d’Ambremer, dans l’univers du Paris des Merveilles, adapté des romans de Pierre Pevel.

Étienne Willem / Photo©Fabrice Fadiga

Après avoir travaillé ensemble sur la série originale Les Artilleuses, qui s’ancre dans le même univers, Étienne Willem et la coloriste Tanja Wenish se sont attaqués à l’adaptation du roman de Pierre Pevel avec son regard et sa science des dialogues. Interview d’Étienne Willem autour de cette dernière sortie.

Pourquoi avoir choisi de commencer par une série originale, Les Artilleuses, avant de vous attaquer à l’adaptation du roman ?

Étienne Willem : Au départ, quand j’ai rencontré Pierre, j’avais lu les romans et j’avais envie de les adapter, mais Pierre n’avait aucune envie de les voir au format BD. 

C’est vrai qu’on n’est pas du tout dans le même média : dans un roman, on peut avoir 15 pages où les personnages discutent dans un salon. Quand on a posé l’ambiance, ça suffit, et c’est bon ! En bande dessinée, ce serait une plaie à lire et ce serait totalement inintéressant pour le lecteur. Donc, il faut retravailler. Il y a des scènes, où pour des questions de rythme de narration, on ne va pas les mettre dans le même ordre dans une bande dessinée que dans un roman. Et puis, tout simplement, on passe de 400 pages à 100 pages de BD. Pierre n’avait pas très envie. 

Ensuite, en tant qu’auteur, je pense aussi que c’est vraiment un crève-cœur : chaque scène est essentielle pour lui, alors qu’en fait, quand on adapte, on change, on la fera passer autrement… ce qu’on a fait ! 

Il y a la fameuse scène mythique où Louis discute avec un vieux chêne —qui est vraiment une scène emblématique de l’univers— mais dans le roman, elle ne sert qu’à Louis, pour rassembler un petit peu tous les indices qu’il a eus et faire une espèce de mémento pour le lecteur. Dans une bande dessinée, ça va tellement vite qu’une scène pareille n’aurait aucun sens. Donc, on l’a mise dans la première page du premier tome : on voit Louis avec le chêne —on a évoqué la scène— mais sans perdre de temps à la raconter.

Pierre n’avait absolument pas envie de faire ce travail-là. Donc, il m’a proposé de garder le même univers avec d’autres personnages. On a créé les Artilleuses, et une fois qu’on a fini, le cycle des Artilleuses, la suite logique, c’était de repasser l’adaptation du roman.

Ce Paris 1900, même détourné, c’est une esthétique qui t’intéresse particulièrement, tu l’avais déjà croisé depuis La Fille de l’exposition universelle ? 

E.W. : Oui, je suis plus tournée vers tout ce qui est Art Nouveau, parce que je dois avouer que le Paris, d’Haussmann, c’est un peu compliqué : de grandes avenues, de grandes perspectives, et ça, c’est assez pénible à dessiner.

Je suis venu ici à pied [la rencontre a lieu dans l’arrière-boutique de la librairie La Dimension Fantastique dans le 10e arrondissement], et je me suis arrêté pour prendre des photos, parce qu’il y a des bâtiments qui sont superbes et avec des configurations qu’on n’imagine pas. Donc, oui, c’est une période, un style que j’aime bien, c’est joli ce côté Belle Époque avec des fées. 

Parce qu’on est vraiment dedans : quand Alphonse Mucha dessine ses affiches, il dessine des fées. Comme dirait Pierre, la belle époque, c’est l’époque de la de la fée verte l’absinthe, c’est l’époque de la fée électricité…. Quelque part, il y avait déjà dans le Paris de la Belle Époque, cet univers féérique. Pierre n’a fait que remettre ça en avant, les deux se marient parfaitement.

Comment vous travaillez ensemble ? Tu lui proposes un story-board, tu redécoupes l’histoire ? 

E.W. : Je commence par relire le roman, que je redécoupe en séquences. Je fais un petit peu le tri et je refais un séquencier, que je lui soumets. Quand c’est validé, je fais le story-board et Pierre valide toutes les étapes. 

Je mets des suggestions de dialogues —qui va parler, qu’elle est l’information qui doit passer, sur quel ton— et Pierre réécrit les dialogues derrière pour qu’on garde sa patte. Au final, je suis certain de ne jamais trahir son roman. 

Il y a eu des scènes très drôles : il y avait une magnifique scène d’engueulade entre Griffont et Isabel qui prenait 3 pages dans le roman —c’était beaucoup trop long pour la BD — et dans le story-board, je lui ai juste envoyé une page blanche en disant « réécrit le truc pour que ça tienne sur une page et je ferai en fonction. » Parfois on travaille dans ce sens-là et ça fonctionne très bien.

On a discuté en amont pour voir ce qu’on gardait, ce qu’on coupait. Parfois, Pierre disait : « là, il faut quand même bien expliquer la magie, parce que ça fonctionne comme ça, comme ça, comme ça, et comme ça ». Et je répondais « Oui, tu as raison, mais pour le lecteur de BD, est-ce que c’est vraiment important, à savoir ? » On est arrivées à un accord, on explique en 3 dialogues, et on ne s’est pas appesanti plus que ça dessus.

Oui, les fans hardcore des romans vont peut-être trouver que ça manque d’informations. De différence entre un objet magique, un objet enchanté, un objet ensorcelé… Pour les lecteurs de BD, c’est l’histoire qui prime.

Comment rend-on ça digeste ? Comment on ne met pas trop d’informations dans un premier volume ? 

E.W. : C’est une phrase que Pierre m’a dite et qui est très juste : « on ne crée pas le suspense sur ce qu’on cache au lecteur, on le crée sur ce qu’on leur donne. » 

Il faut quand même leur donner des informations, pas trop, mais assez pour qu’ils puissent se questionner. Et puis ça s’explique après, par la force des choses. Savoir distiller l’information d’une part et le fait d’avoir des relecteurs derrière aussi, c’est toujours très utile.

À force de mariner dans un sujet, on finit par le connaître tellement que ça paraît évident. C’est le piège de travailler sur un univers qu’on connaît et qu’on apprécie. Et à tout niveau, même au niveau de la mise en couleur. C’est le 10e album que je fais avec Tanja Wenish, on commence à se connaître.

Mais pour le premier La Fille de l’exposition universelle, les couleurs du Second Empire, c’était tellement évident pour moi, que je ne lui ai pas dit. Puis, quand je vois arriver des gens avec des costumes vert pomme et rose fuchsia… je lui dis « je suis désolé, c’était tellement clair pour moi que c’était dans les tons sombres, gris, crème, etc que j’aurai dû te le dire » C’est le piège d’être à fond dans son sujet.

Justement ici la représentation de la magie se fait surtout à la couleur, comment tu le travailles au story-board ? 

E.W. : Au story-board on ne la travaille pas. On se dit, il va falloir que Tanja travaille dessus ! 

© Étienne Willem / Pierre Pevel / Tanja Wenish / Drakoo

Dans le Paris des Merveilles, la manifestation de la magie, c’est essentiellement par des sensations : ça commence par une sensation de froid, puis une sensation de chaleur… et c’est seulement à la fin du sort qu’arrive l’effet boule de feu. 

Quand on a travaillé là-dessus avec Pierre, avec Les Artilleuses, on est parti sur des machines façon steampunk —parce que c’était plus visuel— mais pour Paris des Merveilles, il fallait trouver une autre façon. Et la façon qu’on a trouvée, c’était que ça passe par la couleur.

La scène du T1, où Louis réveille les images du passé au travers du miroir, c’est des planches qui ont été faites sur quatre niveaux de dessins différents : il y avait le décor, il y avait les images projetées, il y avait les personnages et Tanja a travaillé tout ça en couleur, par transparence, pour que ça s’intègre parfaitement. Si j’avais dû faire tout au trait sur un seul dessin, on ne s’y serait pas retrouvé. On a vraiment dû travailler ça comme ça.

© Étienne Willem

Quels sont tes outils ? 

E.W. : Papier, crayons, feutres. Classique.
Le scan et le nettoyage sont faits dans les bureaux à Mâcon chez Bamboo et Tanja reçoit les planches nettoyées et elle se débrouille. Généralement, je lui dis « là tu me mets de l’ambiance ». Elle le fait ! Ça fait dix albums qu’on fait ensemble, on se connait. 

Est-ce que vous avez cherché longtemps pour les couvertures et cette esthétique Art nouveau ? 

E.W. : Pour Les Artilleuses, on n’a pas cherché très longtemps. Et pour le Paris des Merveilles, ils ont fait appel à une graphiste qui a repris à peu près le style Mucha —que j’ai retravaillé derrière, évidemment.

Et pour le T2, j’ai envoyé un dessin et on a repris les bases du premier. C’est l’avantage de travailler sur des couvertures qui sont très marquées graphiquement parce qu’on sait que la suite sera une déclinaison.

Et comme généralement on a la demande de la couverture le pire jour de l’année : il faut la couverture pour les rencontres avec les commerciaux, les représentants, mais on nous demande ça alors qu’on est bien dans nos cases, on sent bien qu’on avance —et on n’a vraiment pas envie de faire une couverture. 

Tu as annoncé 3 fois 2 albums, comment tu les prépares ? Par diptyque ? 

E.W. : Oui, les deux en même temps, ne serait-ce qu’au niveau du séquencier. Après, au niveau du story-board, on peut travailler l’un après l’autre, mais au niveau du séquencier il faut avoir un un équilibre entre les deux.

Le cas typique, c’est que le premier tome, on l’a coupé à un moment clé du roman —qui fonctionnait très bien pour avoir un suspense de fin d’album— mais qui ne correspondait absolument pas à la moitié physique du roman. 

Est-ce qu’il y a eu des moments ou des passages que tu as préféré adapter ? D’autres moins ? 

E.W. :  J’aime bien, en général, les scènes qui ont un peu plus de dialogues ou sont un peu plus calmes, je m’amuse à planquer des dessins dedans. J’ai planqué James Bond, des schtroumpfs, Harry Potter, la fée Clochette… tout un tas de références. Chez l’antiquaire, il y a toute une case où il n’y a que des références à Adèle Blanc-Sec. 

Sinon la scène où ils s’engueulent dans le fiacre, je me suis amusé comme un fou à jouer sur les attitudes d’Isabel. C’est vraiment les scènes qui sont là pour faire passer des infos, qui sont plus limitées —on essaye de s’amuser autrement sur le dessin— mais c’est vrai que pour la mise en scène, ce n’est pas qu’il y a de plus trippant.

Tu viens de l’animation, est-ce que tu as eu un plaisir particulier à designer ? 

E.W. : Ah oui, évidemment, ça fait partie du plaisir. Et puis de voir les réactions des gens « je les voyais comme ça », ou au contraire pas comme ça. C’est ça qui est drôle. 

© Étienne Willem

Ce n’est pas parce que je fais une version graphique du Paris des Merveilles que c’est la version ultime. J’ai le plaisir, la joie et l’honneur que ce soit validé par Pierre Pevel lui-même, mais quand on lit un roman, chacun se fait son image finalement. C’est parfois un peu compliqué d’aller confronter mon imaginaire à celui des lecteurs qui ont lu ça —c’est un roman qui a une vingtaine d’années— et qui ont déjà leur imaginaire bien ancré.

Et ça fait plaisir de voir que, finalement, il n’y a pas trop de gens qui ont dit : « moi je ne les voyais absolument pas comme ça ». Je me souviens que la première fois que j’avais lu le Seigneur des Anneaux —j’étais gamin, j’avais vu un dessin animé de Noël, la veille, avec un sorcier qui avait la peau bleue, un chapeau noir avec des étoiles jaunes et une grande barbe grise— pendant tout le Hobbit, j’ai vu Gandalf comme ça  ! Alors que ce n’est absolument pas décrit comme ça. C’est toujours amusant, et un peu casse-gueule de faire une adaptation.

Le Paris des Merveilles — Les enchantements d’Ambremer T1 & 2 d’Étienne Willem & Pierre Pevel, couleurs de Tanja Wenish, Drakoo


Image principale © Étienne Willem / Pierre Pevel / Tanja Wenish / Drakoo

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