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Critiques
par Thomas Mourier - le 8/02/2022
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par Thomas Mourier - le 8/02/2022

La Brigade chimérique : Ultime ultime Renaissance ?

Depuis son arrivée dans le paysage de la bande dessinée en 2009, La Brigade chimérique et ses œuvres de l’hypermonde n’ont jamais cessé d’exister à travers des spin-off et séries connectées. Retour aux sources, la brigade est de retour…

Presque 300 pages, une intégrale d’épisodes au format comics pensés comme le miroir de l’intégrale de La Brigade chimérique (la jaquette de cette Ultime Renaissance cache d’ailleurs une maquette à l’identique, bravo à l’éditeur pour cet easter egg esthétique). Un album conçu comme une compilation, hommage aux comics et belle proposition pour les lecteurs fidèles qui découvrent l’histoire d’un seul tenant.

Cet album est à la fois la suite directe de La Brigade chimérique, mais peut se lire indépendamment, les auteurs l’ont pensé comme un prolongement plus qu’une suite. Ou deux séries parallèles qui traitent d’un même sujet avec des angles différents, La Brigade chimérique — Ultime Renaissance s’inscrit à notre époque marquée par les transformations du Grand Paris et des réseaux sociaux là où La Brigade chimérique faisait la part belle au Paris de l’après-guerre et de son réseau d’espions. 

Si vous avez voyagé dans les œuvres (récentes) de l’hypermonde, vous avez pu lire plusieurs séries, on rappelle ici les principales : L’Œil de la nuit, L’Homme truqué, Masqué (l’intégrale sort cette semaine), Métropolis sans oublier La Brigade chimérique — l’encyclopédie et le jeu de rôle.

Pour cette itération de la Brigade version 2022, l’équipe change, si le scénariste Serge Lehman reste aux commandes, Fabrice Colin, Gess et Céline Bessonneau laissent la place à Stéphane de Caneva et Lou, mais le dessinateur Gess n’est pas loin pour offrir quelques visuels & montages qui font le pont entre les deux séries (on reviendra sur Gess en fin d’article). 

Des nouvelles de l’hypermonde ? 

Comment avons-nous oublié les héros européens à la fin de la Seconde Guerre Mondiale ? Pourquoi la mémoire collective est vidée de ses personnages hors-normes à Paris alors qu’ils sont populaires aux USA ? Les personnages rejoignent une interrogation du scénariste qui questionne notre rapport aux super-héros après une période très riche en littérature fantastique et de science-fiction en Europe et particulièrement en France. 

À notre époque, quand commence l’histoire, La Brigade chimérique est oubliée depuis longtemps sauf pour quelques passionnés. Comme dans la 1ère série, la brigade est toujours un mythe, ou plutôt un mythe dans un mythe. La question de leurs mythologies passe au-devant de la scène, contrairement à leur création dans la série originelle, il sera question ici de la relation entre les héros et leurs étonnants biographes. 

© Serge Lehman / Stéphane De Caneva / Lou / Delcourt

Écrivains bien réels, de Maurice Renard à Jean de La Hire, Jean Ray en passant même par Jack Kirby ; mais aussi fictifs comme Charles « Dex » Deszniak, qui devient biographe de ces nouveaux personnages dans un jeu de vrai-faux entretenu depuis les débuts de la série. Alter ego de papier pour Serge Lehman, Dex guide autant les personnages que les lecteurs, entretenant la frontière floue entre réalité et fiction. 

Dans cette série, les écrivains, dessinateurs et créateurs sont présentés comme les biographes des héros. Maurice Renard, l’auteur de L’Homme truqué devient le biographe de Rigg, l’un des héros de cette Brigade chimérique – Ultime Renaissance, mais on trouve aussi une fausse couverture de Jack Kirby (par Gess) qui aurait raconté un moment de sa vie aux USA, des allusions au S.H.I.E.L.D. et au B.P.R.D. des séries Hellboy… Rigg est une nouvelle version du personnage déjà croisé dans L’Homme truqué, qui s’est réinventé lui-même. On découvre que Felifax a passé la main et désormais c’est une jeune femme qui se transforme en héros félin et que son combat rejoint celui du féminisme et de l’écologie plus que des gouvernements. Et une nouvelle incarnation, plus dans l’air du temps, de la sorcière Palmyre. 

La vérité est ailleurs…

© Serge Lehman / Stéphane De Caneva / Lou / Delcourt

En s’appuyant sur de vrais textes, de vraies illustrations ou affiches… les auteurs ancrent leur création dans une continuité culturelle. Si les œuvres présentées ou dissimulées dans les cases sont lisibles, et certaines connues des lecteurs, c’est une partie du corpus de la science-fiction européenne qui est convoquée, ancienne et nouvelle : car dans ce nouveau volume on trouve désormais des clins d’œil à des œuvres contemporaines, du Fox-Boy de Laurent Lefeuvre à la reprise de Photonik dans Luminary par Perger & Brunschwig en passant par le Major Fatal de Moebius.

Les incrustations de journaux, de fausses Unes de quotidiens bien réels, Libération, Le Figaro, L’humanité, Le Monde ou même journaux télévisés inclus dans les planches, permettent à la fois de prolonger ce lien entre vrai et faux, mais aussi de convoquer d’autres références que ce soit des clins d’œil à Alan Moore et ses récentes déclarations sur son désintérêt de l’industrie du comics, pour lui qui avait écrit le pendant anglo-saxon de la Brigade chimérique avec ses séries cultes de la Ligue des gentlemen extraordinaires avec Kevin O’Neill. Ou encore les prises de positions politiques de l’écrivain de SF le plus populaire du moment, Alain Damasio.  

Les lecteurs ne seront pas déroutés par le changement de style graphique Stéphane de Caneva au dessin et Lou aux couleurs se coulent dans les traces de Gess et Céline Bessonneau en imprimant leur propre patte. Le trait et la couleur y sont un peu plus pop, pour coller avec le côté contemporain de cette renaissance, si Gess dessinait le Paris de l’entre-deux-guerres et sa reconstruction, celui qui émerge sous les outils de Stéphane de Caneva est celui du Grand Paris et de ses nouveaux métros. Le dessinateur adapte son trait, un peu moins comics que dans Métropolis et propose une belle réinterprétation qui va dans le sens du projet.

On y trouve aussi quelques incursions du travail de Gess, qui propose montages, fausses affiches et iconographie liée aux archives de la Brigade. Le dessinateur s’est lancé dans son propre projet aux œuvres connectées, sorte de « Brigade fantastique », avec les Contes de la Pieuvre qui compte déjà 3 volumes : La Malédiction de Gustave Babel, Un Destin de Trouveur et Célestin et le Cœur de Vendrezanne. On y découvre là aussi un Paris peuplé d’êtres fantastiques, de pouvoirs et de castes magiques. Si l’ensemble ne source plus les grands récits européens de la littérature du merveilleux, cette série est imprégnée des contes fantastiques, de légendes urbaines, des romans-feuilletons, des nouvelles de Marcel Schowb ou des chroniques urbaines comme celles de Jacques Yonnet. Une lecture très conseillée également.

Retour au Q.G des chimères. Avec ses presque 260 pages de BD, s’ajoutent un dossier d’une dizaine de pages, où le scénariste revient en détail sur les conditions de création de ce retour, mais aussi sur certaines références. Sur l’imaginaire et « l’oubli » de la tradition du super-héros versus celle du monde anglo-saxon. D’ailleurs, nous ne sommes pas prêts de l’oublier vu l’accueil du livre et après ce retour, le projet d’adaptation en série animée est toujours sur les rails pour un futur proche. Rendez-vous dans l’hypermonde pour la suite !

La Brigade Chimérique : Ultime Renaissance par Serge Lehman, Stéphane De Caneva et Lou, Delcourt


Toutes les illustrations sont © Serge Lehman / Stéphane De Caneva / Lou / Delcourt

© Serge Lehman / Stéphane De Caneva / Lou / Delcourt
© Serge Lehman / Stéphane De Caneva / Lou / Delcourt
© Serge Lehman / Stéphane De Caneva / Lou / Delcourt
© Serge Lehman / Stéphane De Caneva / Lou / Delcourt
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