Illustration de l'article
Critiques
par Thomas Mourier - le 22/11/2022
Partager :
par Thomas Mourier - le 22/11/2022

La Maison nue, laissez-vous embarquer par la poésie du mouvement

Comme les pièces d’un gigantesque puzzle dont on ne voit pas encore l’ensemble, les livres que publie Marion Fayolle, depuis une dizaine d’années, ont des airs de famille, mais ne se ressemblent pas. Avec La Maison nue, elle ajoute une nouvelle brique à son univers riche, proposant une comédie musicale de papier…

Ce livre fonctionne comme une pièce de théâtre dessinée, on y trouve les 3 colloc’ d’une maison de brique vouée à être détruite qui sont tous une facette de cette allégorie : des êtres brisés. On trouve une femme qui peine à s’ouvrir aux autres qui ne s’occupe que des chevaux les plus dangereux, un homme obnubilé par une histoire d’amour à sens unique et un jeune homme qui souffre devant son incapacité à créer. À l’image de la maison qui est promise à être démolie, ces 3 personnages incarnent les souffrances sociales, amoureuses, créatives d’une vie en instance d’être brisés. Deux autres personnages viennent faire un contrepoint à ces 3 facettes, une mère et son nourrisson, un duo qui vient créer du lien et mettre des mots sur ce qui est familièrement tabou. 

Avec la maison pour seul horizon, les personnages nouent des relations et questionnent le monde à travers leurs rapports, leurs choix ou leur mélancolie. Ces êtes emmurés incarnent tour à tour des émotions ou sentiments sous forme de métaphores graphiques. Entrer physiquement dans la tête de l’autre, retirer des parties de son corps comme des dons de soi, balayer les phylactères comme on repousse la parole de l’autre… Ce travail visuel où le corps devient décors, objets ou symboles elle le pratique depuis son premier livre. Dans ses dessins, les choses ne sont jamais ce qu’elles montrent au premier abord et le dessin prend des allures de rébus ludiques. 

Le dessin propose un pas de côté amusant qui permet de dire beaucoup de choses en se passant des mots, imageant la pensée et créant une grammaire visuelle humoristique désormais indissociable du travail de Marion Fayolle. Un style qui intègre des ruptures graphiques, des comparaisons & exagérations, ou encore des personnifications de concepts ou d’objets pour mettre en image ces pensées. 

© Marion Fayolle / Magnani

Elle dessine ses planches au rotring, d’un trait fin qui cerne chaque idée ou personnage. Ses dessins, entre la gravure et la gouache, ont l’air d’une venir autre époque avec ces jeux de couleurs surannés et ces lumières qui semblent venir de nulle part. L’autrice utilise une technique toute particulière qu’elle a dévoilée dans plusieurs interviews : elle imprime ses dessins sur des feuilles de plastique et utilise ces supports qui empêchent l’encre de sécher pour les reporter sur des feuilles blanches. Elle se rapproche ainsi de la gravure, de l’estampe pour créer des effets de couleur où elle vient finaliser les contours au rotring. Dans ce dernier livre, on trouve un passage où l’une des colocataires évoque d’anciens amants, qui nagent dans ses souvenirs, et semblent tamponnés sur la feuille.

Ce côté ludique du tampon, du calque, elle le cultive depuis ses premiers livres dans une démarche qu’on pourrait qualifier d’herbier sentimental. Où l’illustratrice collecte, classe et nous montre des traces. Des moments intimes, des instants marquants, des pensées fugaces qui invitent à la réflexion, à l’évasion. 

Une comédie musicale de papier

En ouverture de La Maison nue, des mains géantes posent la maison avant que ses habitants arrivent. Elles plantent le décor et le cadre comme un rappel que ces personnages ne sont que des marionnettes qui incarnent la pensée ou les concepts de la narratrice. Sans identité propre, ni nom, les 3 habitant.e.s et leur voisin.e.s sont des figurines avec lesquelles l’autrice s’amuse autant que des véhicules dans lequel on peut se projeter en lisant le livre.

© Marion Fayolle / Magnani

Ces figures évoluent dans des décors qui évoquent le théâtre, avec ses plans fixes sur un élément de décors, ses pleines pages aux décors vides, ses planches où les protagonistes font des entrées et sorties comme sur scène en passant en coulisses dans les bords de page. 

La dessinatrice convoque aussi l’univers de la danse, les corps sont en mouvements et s’expriment par le geste. Certaines pages s’articulent comme des respirations où des personnages aux vêtements de briques dansent en dehors de la narration, d’autres fois ce sont les héros dans leur maison de briques qui se lancent. Pour réaliser ce livre, Marion Fayolle a travaillé avec des danseurs du Théâtre Gérad Philippe de Saint-Denis, réfléchissant à ces thématiques et aux chorégraphies qui seront transposées sur le papier. 

Au final, on se rapproche d’une comédie musicale dessinée avec des passages joués, d’autres plus méta, ou encore des passages « en chanson ».  

« Il ne faut pas que tu aies peur. Tes murs vont s’effondrer, mais ça sera beau… » fredonne l’un des personnages pour accompagner le mouvement du changement. Laissez-vous entrainer par la poésie de ce livre et enrichissez-vous d’une nouvelle langue de ce langage dessiné.

Si, comme moi, vous souhaitez en savoir plus, vous pouvez découvrir son interview enregistrée en live le 24 novembre :

La Maison nue de Marion Fayolle, Magnani


Toutes les images sont © Marion Fayolle / Magnani

© Marion Fayolle / Magnani
© Marion Fayolle / Magnani
© Marion Fayolle / Magnani
Actualités
Voir tout
Publications similaires
Abonnez-vous à la newsletter !
Le meilleur de l'actualité BD directement dans votre boîte mail