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par La Redac - le 16/01/2019
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par La Redac - le 16/01/2019

Le dernier des étés : quand le doute s'installe, revenir sur ses pas

On connaît bien les éditions Paquet pour leurs collections Calandre et Cockpit. Une véritable identité éditoriale. Pourtant, elles savent aussi publier des œuvres différentes, plus en sensibilité et faire émerger des auteurs tout en finesse, tel Renaud Dillies. Le dernier des étés entre pleinement dans cette partie de leur catalogue. Une maison de vacances, les souvenirs d’un amour potentiel, le temps de grandes décisions : Alfonso Casas nous offre un délicieux retour en arrière à partager avec lui.

À la recherche du temps passé

Dani est photographe. Alors qu’il s’apprête à se marier avec son compagnon, Alex, il décide de repartir dans le village où il passait ses vacances d’enfant afin de mener un projet photo liant présent et passé. Mais c’est plutôt une excuse qu’il se donne pour revenir vers le souvenir d’un premier amour qu’il n’avait pas compris. Alors qu’il s’apprête à donner un nouveau sens à sa vie, le passé peut-il l’aider à y voir plus clair sur son présent ?

Idéalisons-nous notre passé ? C’est la question que pose Alfonso Casas dans ce livre publié initialement en Espagne et adapté chez nous par les éditions Paquet. Le malaise de l’homme trentenaire qui doit s’engager sentimentalement, c’est un ressort scénaristique assez classique. Mais l’auteur a l’intelligence de venir placer au cœur de cette réflexion un léger décalage, en proposant une romance non pas hétérosexuelle mais homosexuelle.

Il explore donc comment ce sentiment est né chez Dani, à travers sa relation au personnage de « Poil de carotte ». Un prétexte donc, mais qui va permettre au héros de prendre réellement une décision quant à son engagement marital. Casas met bien en scène les doutes de Dani et la façon dont il essaye de se rassurer en prenant appui sur un passé qui n’existe plus et qui n’a jamais existé comme il le souhaiterait. « Et si… », la question qui vient au moment des doutes. Mais Dani a le mérite de se confronter à la réalité de ce passé idyllique et d’en faire quelque chose.

Éloge de l'anormalité normale

Alfonso Casas propose un point de vue pas si courant, en présentant l’homosexualité de son héros comme une chose évidente et pas du tout à questionner. C’est une grande force de son récit, positionner la relation amoureuse homosexuelle à stricte égalité de la relation amoureuse hétérosexuelle. À aucun moment l’homosexualité de Dani n’est questionnée ou remise en cause. C’est un fait sans importance, de même que nombre de livres auraient présenté une relation hétéro. C’est simple, c’est apaisant, c’est juste de l’amour. L’auteur donne à voir qu’il n’y a rien de scandaleux, rien d’exotique ou d’angoissant dans le fait que deux hommes puissent s’aimer.

Cette banalité du traitement fait toute la force du récit. Car finalement, qu’est-ce qui est normal, interroge Casas ? Quand un des personnages noie sa banalité dans l’alcool, est-ce plus acceptable et respectable que de voir deux hommes s’aimer ? Tous les lecteurs qui, enfants, se sont retrouvés en marge du groupe social principal pour une raison ou une autre, trouveront une énorme résonnance à leur vécu dans ce récit.

Une dose d'été aux portes de l'hiver ?

Le froid plane sur la France, la neige commence à tomber en plaine… Novembre est là et « winter is coming ». Alors si vous avez des envies de chaleur mais que le billet pour la Guadeloupe est trop cher pour vous, il y a Le dernier des étés. Alfonso Casas manipule ses couleurs avec une véritable intelligence, de façon à créer du rythme et à reconstituer ces étés qui passent. Le présent y est bleu, froid, uniforme. Mais le passé, ces différentes parenthèses estivales, sont elles toutes différentes. Chaque séquence flash-back a sa tonalité chromatique et chaque été se fait différent. Pourtant, à chaque fois, ce sentiment de bien-être et de chaleur domine. Nous entrainant dans nos propres souvenirs d’enfant, sur les traces de nos propres doutes. Cela méritait d’être mis en valeur.

Le trait est lui peut-être un peu moins constant… On sent Alfonso Casas très à l’aise dans la mise en scène des personnages en cadrage de face. Mais dès qu’il faut proposer des angles plus audacieux, les perspectives sont moins assurées, c'est plus compliqué. Il y a donc de la marge de progression chez cet artiste. Cela étant dit, il n’y a rien dans le dessin qui soit gênant à la lecture. 

Il y a là une véritable pépite d’intelligence et de délicatesse qu’il serait regrettable de laisser passer. Alors voilà une excellente idée de cadeau original, pour toute personne dotée d’un brin de sensibilité. Vous avez même le droit de vous l’offrir à vous, si vous vous reconnaissez dans ce portrait. Mais ne passez pas à côté du livre d’Alfonso Casas, ce serait une erreur.

Par Yaneck Chareyre
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