Septembre cela vous évoque quelque chose ? Pour beaucoup c’est la fin des vacances, la rentrée des classes ou le début de l’automne… mais en librairie c’est surtout le mois des sorties et de la rentrée littéraire. Pas loin de 300 parutions pour les BD Comics et Mangas, pratiquement autant en octobre ; et jusqu’aux fêtes les éditeurs enchaînent les sorties, rééditions, intégrales et coffrets.
On ne va pas se plaindre devant tant de belles choses, mais il va falloir faire des choix. Et les bons. Depuis un an, vous retrouvez dans cette rubrique notre sélection des meilleures sorties du mois passé. Comme d’habitude, ce sont des suggestions, n’hésitez pas à compléter ces propositions avec d’autres albums que vous avez lu et aimé ce mois-ci.
Au sommaire 📰
#BD Les Grands espaces de Catherine Meurisse, Dargaud
#Comics Sheriff of Babylone de Tom King & Mitch Gerads, Urban Comics
#Manga Le rêve de mon père T1 de Taiyô Matsumoto , Kana
#BD L’âge d’or T1 de Cyril Pedrosa & Roxanne Moreil, Dupuis
#Comics Joe Shuster, un rêve américain de Julian Voloj & Thomas Campi, Urban Comics
#BD Spirou ou l’espoir malgré tout d’Émile Bravo, Dupuis
#Manga Rien ne fera venir le jour de Yoshihiro Tatsumi, Cornelius
#BD L’arabe du futur T4 de Riad Sattouf, Allary
#BD
Les Grands espaces de Catherine Meurisse, Dargaud
Catherine Meurisse nous avait subjugué il y a deux ans avec La Légèreté (Lire l’incontournable) et ce nouveau livre s’inscrit dans la continuité du précédent. Une écriture stimulante oscillant en permanence entre le plaisir érudit et l’humour tendre de l’ancienne caricaturiste de Charlie Hebdo. Se cultiver sera le maître mot pour la jeune narratrice, qui décide que le dessin et la beauté feront partie de sa vie. Se cultiver au contact de la nature pour cette famille de citadins qui opère un retour à la terre.
Se cultiver en découvrant l’art, la littérature ou le dessin au milieu des champs. La poésie est partout dans ces souvenirs de jeunesse portés par le dessin fin et aérien de l’autrice dont on sent tout le plaisir à chaque page. Le récit parle de vocation et de la découverte du dessin : et comme un écho, le livre tout entier est une balade graphique. À chaque publication, Catherine Meurisse prend plaisir à partager : une vocation de passeur, une complicité érudite qu’elle entretient avec ses lecteurs et qui atteint ici son zénith.
Les bobos et néo-ruraux, le tourisme industriel et les nouvelles politiques rurales, tout le monde passe au crible du regard acéré de la dessinatrice. Amusante ou consternante, la campagne française en plein boom des années 80 cache ses secrets, honteux ou merveilleux ; et d’une expérience personnelle, ce livre touche à l’universel. Il nous fait réfléchir sur l’importance de l’enfance, des souvenirs et de notre environnement dans la construction de soi.
Que vous souhaitiez causer Proust, Loti, Montaigne ou Rabelais avec le nain de jardin ou bien faire un tour au festival du Cabécou® ou encore lire l’un des plus beaux livres de la saison, je vous conseille de vous approprier ces Grands espaces.
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#Comics
Batman À la vie à la mort de Tom King & Lee Weeks, Urban Comics
Sheriff of Babylone de Tom King & Mitch Gerads, Urban Comics
Bienvenue chez Tom King, le nouveau scénariste vedette des comics US, que certains ont eu la chance de découvrir sur le titre La Vision chez Marvel avec Gabriel Hernandez Walta au dessin. L’univers des Avengers complètement bousculé par cet auteur qui offre au personnage de Vision une mini-série culte. Son écriture contemplative, très ancrée dans l’instant présent et les relations entre les personnages a fait le succès de ce titre.
Il renouvelle l’essai sur Batman : À la vie à la mort qui sort en français ce mois-ci. Un tour de force car le héros est passé entre les mains de tous les grands scénaristes & dessinateurs présents & passés. Innover sur le Chevalier noir n’est pas aisé. L’histoire est courte, mais convaincante portée par les planches captivantes de Lee Weeks, ouvrant une nouvelle ère pour les habitants de Gotham puisque Tom King est actuellement en charge du destin de Bruce et ses amis.
Parallèlement à cette belle sortie, Urban comics dégaine Sheriff of Babylone, un titre paru sous le label Vertigo, et nous offre un point de vue terrible et crédible sur l’Irak post Saddam Hussein. Et pour cause, le scénariste est un ancien officier de la CIA en poste en Irak. La maîtrise de l’univers proposé, les conditions des personnages ou l’étouffante tension sont tout sauf artificielles.
On retrouve partout sa marque de fabrique, un récit centré autour de relations compliquées, un univers « normal » qui doucement bascule. Ici quatre caractères imposants, complexes et très différents qui vont nous donner plusieurs points de vue (deux hommes et deux femmes, américains et irakiens, croyants et désabusés, combattants et pacifistes…) et cet anti-manichéisme sont une des grandes forces du livre. La partie graphique est assurée par Mitch Gerads qui transforme l’essai en pépite par ses choix de cadrages, couleurs et son trait réaliste qui s’autorise des ellipses. Les décors sont fouillés, poussant encore plus cet effet de réalisme.
Polar aux accents étranges où les personnages semblent en transit entre deux réalités manipulées qu’ils ne comprennent plus. Les planches économisent leurs mots pour mieux les mettre en valeur. Asséché, incisif ou répétitif, le discours à une place centrale dans les livres de Tom King et est ici une clef pour cet instantané d’un lieu momentanément hors du monde. Une des pépites de la rentrée pour public averti.
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#Manga
Le rêve de mon père T1 de Taiyô Matsumoto, Kana
Jusqu’en janvier prochain, ce sera une année Matsumoto entre sa série sur les Chats du Louvre (Lire le coup de cœur) et les publications en français de ses premiers titres : Zero (Lire le coup de cœur) en juin dernier et Le rêve de mon père ce mois-ci. Nous aurons l’occasion d’y revenir avec un gros dossier, car le mangaka sera à l’honneur à travers une grande exposition et un catalogue dédié au Festival de la BD d’Angoulême.
Cette série courte (3 volumes) est une matrice de tous ses chefs-d’œuvre à venir Amer Béton, le Samourai Bambou & Sunny en tête. Par la mise en avant des personnages d’enfants, leurs manières habitées de voir le monde, et leurs rapports aux autres : Taiyô Matsumoto a inventé une manière nouvelle de mettre en scène le manga. Le fantastique n’est jamais loin sans être le sujet, les incursions surréalistes ne brouillent pas les relations très réelles entre les personnages où la famille & la filiation ont un grand rôle. Et cette histoire tournée autour d’un duo père fils tragi-comique, assez émouvant, voir loufoque laisse toute la place à la liberté du dessinateur.
Une série forte pour son dessin où l’auteur de Ping-Pong apprivoise ses cadrages, sa mise en scène et son sens du détail si particulier. Un trait acéré et libre, identifiable au premier coup d’œil qui donne un air féerique à tous ces albums, même dans les situations les plus tragiques et terre à terre. Un très bon livre pour commencer à approcher l’auteur et son univers.
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#BD
L’âge d’or T1 de Cyril Pedrosa & Roxanne Moreil, Dupuis
Un royaume en péril, une princesse berserk, un chevalier philosophe, une cité maudite, un livre qui pourrait changer le monde… Je ne sais pas s’il faut en dire plus pour déjà vous donner envie de jeter un œil à cet imposant bouquin. Ah si, feuilletez-le pour tomber sur les doubles planches sublimes, canevas inspirés de tapisseries médiévales, rehaussés de couleurs pop et d’un travail minutieux sur les perspectives. Si le dessinateur a particulièrement travaillé ses personnages aux trognes déformées, les décors merveilleux se posent en contrepoint. Enluminures piquées de caricatures.
Coup de maître, le découpage, les concomitances temporelles et les différentes strates graphiques fonctionnent comme une narration à plusieurs niveaux. À la manière des vitraux ou retables pré-Renaissance, les auteurs composent leurs planches avec ces différents niveaux de lecture et techniques dont la fonction première était d’être compris par tous. Formes et fond se confondent pour nous faire adhérer avec grâce à cet univers complexe.
Roxanne Moreil et Cyril Pedrosa ont façonné un moyen-âge utopiste, dominé par un trône usurpé en pleine révolte paysanne. Tout le livre se penche sur les rapports de domination, riche et pauvres, hommes et femmes… et derrière la quête de cet « âge d’or » se dévoile une fable politique. Un regard sur la société dont les parallèles avec notre époque font frémir et sourire. Mais l’ouvrage ne se cantonne pas à cet aspect, toutes les pages sont portées par un souffle d’aventure et le rythme ne faiblit pas. Le livre tient aussi bien de l’album que de l’art-book, on peut se perdre avec bonheur plusieurs fois dans un dessin. Le regard est emporté et on en ressort stupéfait après 230 pages qui ne sont que la première moitié du diptyque. Une première partie pleine de promesses où les personnages changent beaucoup, annonce d’une suite sombre et encore plus mouvementée.
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#Comics
Joe Shuster, un rêve américain de Julian Voloj & Thomas Campi, Urban Comics
On ne peut qu’être d’accord avec les auteurs de cette biographie, la vie des créateurs de Superman est au moins aussi épique et passionnante que les histoires de leur personnage fétiche. Joe Shuster et Jerry Siegel étaient déjà à l’honneur (avec Jerry Iger, Will Eisner, Joe Simon, Jim Steranko, Stan Lee, Jack Kirby !) dans une fiction, l’incroyable roman de Michael Chabon Les Extraordinaires Aventures de Kavalier & Clay.
Plus réaliste, Julian Voloj s’empare du destin de Joe Shuster pour nous faire vivre les coulisses de la naissance d’un genre, les rivalités éditoriales et l’une des plus grandes arnaques à la propriété intellectuelle qui sert encore de jurisprudence. L’album revient sur la genèse et les années de formation des deux jeunes auteurs qui arrivent avec ce personnage qui sera acheté pour quelques dollars par leur éditeur. Les deux créateurs seront petit à petit écartés de leur propre création, laissés sans emploi ni ressources alors que la licence rapporte des millions. De nombreux auteurs se mobiliseront pour que leur paternité soit reconnue et qu’ils puissent vivre de leur création.
Très graphique, le livre rend hommage au dessin à travers les peintures et les réinterprétations de Thomas Campi. L’artiste italien à la bonne idée de s’approprier l’univers de Shuster et de réaliser l’album à l’aquarelle (avec quelques scènes encrées pour matérialiser le présent dans les aller-retour temporels). Il interprète les dessins de jeunesse du créateur de l’homme d’acier et certaines de ses couvertures les plus célèbres avec beaucoup de justesse, tout en conservant cette patte un peu rétro qui domine l’ensemble. Par ses choix de couleurs et de composition, le dessinateur donne à l’ouvrage l’aspect d’un conte. Une fable moderne, avec ses moments merveilleux ou de drames, où les héros rencontrent rapidement leurs alliés et ennemis d’une vie. Julian Voloj propose une biographie romancée, mais documentée : chaque passage s’appuie sur des sources (avec un dossier en postface qui éclaire certains choix, dialogue, choix d’image) et l’ensemble se veut aussi bien un portrait de l’industrie que de Shuster. Une bonne intro à l’histoire du comics ou pour approcher le processus de création.
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#BD
Spirou ou l’espoir malgré tout d’Émile Bravo, Dupuis
Dix ans après Le Journal d’un ingénu, véritable chef d’œuvre de la série Spirou, Émile Bravo revient avec une suite et la même ambition : ne pas prendre les enfants pour des imbéciles en leur parlant de choses importantes. L’Histoire bien sûr, en montrant la Seconde Guerre mondiale et la Shoah vue de Belgique à hauteur d’adolescent et à travers elle, notre époque (des migrants au racisme ordinaire). Écrire pour la jeunesse demande plus d’exigence contrairement aux idées reçues. L’auteur répond aux questions qui l’ont hanté enfant, pourquoi Spirou est-il habillé en groom, pourquoi n’y a-t-il pas de personnages féminins à part Seccotine, quel est cet écureuil qui semble intelligent… et propose une histoire de Spirou avant Spirou. Distingué d’un prix Essentiel à Angoulême et Prix des libraires de bande dessinée, cet album a marqué durablement la série. L’auteur se lance dans une suite, on ne pouvait que se réjouir.
Ce nouvel album (premier d’une tétralogie déjà programmée jusqu’à 2020) démarre à la suite du Journal d’un ingénu quand la Belgique entre en guerre et que Spirou essaie de retrouver Kassandra, son premier amour. Cette jeune fille d’origine polonaise, juive et membre du parti communiste sera le fil rouge de cette nouvelle intrigue qui amènera Spirou et Fantasio loin dans la découverte de la guerre. Un Spirou humaniste, franc et intègre qui vient d’être choisi par l’ONU pour incarner la figure d’ambassadeur des droits de l’homme. L’humour n’est pas non plus absent entre les saillies de Fantasio, les clins d’œil à Hergé et les dialogues pleins d’esprit. Le dessin et les couleurs sont toujours aussi somptueux, dans ce style proche de la ligne claire très élégante, truffé de détails et rehaussé par son utilisation chaleureuse de la couleur.
Selon l’auteur, le scénario et le découpage des quatre albums sont terminés et durant les deux prochaines années, il va dessiner la suite de ce très beau Spirou l’espoir malgré tout. Indispensable pour jeunes et moins jeunes, vous avez là une des meilleures idées de cadeaux pour noël (prenons un peu d’avance.)
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#Manga
Rien ne fera venir le jour de Yoshihiro Tatsumi, Cornelius
Deuxième volume de cette anthologie Tatsumi après Cette ville te tuera en 2015. Jean-Louis Gauthey a commencé à éditer l’ensemble de ses œuvres après la publication de sa très belle autobiographie Une Vie dans les marges (Lire l’incontournable). Le mangaka fait partie de ces figures tutélaires pour plusieurs générations d’auteurs, tant par son approche intime et réaliste de la société japonaise que par son style graphique. Yoshihiro Tatsumi l’un des fondateurs du manga d’auteur, inventeur du Gekiga, une forme nouvelle de fiction ancrée dans le quotidien avec une réflexion sociétale, en réaction aux « story manga » alors en vogue portées par Tezuka (Lire l’incontournable).
Son œuvre marque un moment clef pour l’industrie du manga et si elle est aujourd’hui reconnue, elle a mis un peu de temps à émerger à nouveau. Prévue en 5 volumes (minimum), cette anthologie en plusieurs tomes se veut la plus complète et la plus pointue sur l’auteur et ce deuxième volume confirme la très belle surprise du premier. Le ton sombre contraste avec les dessins lumineux, la violence des situations avec la mise en scène légère. À travers ses dessins, son sens de la mise en scène, il parvient à nous emporter dans cette exploration sans artifice d’histoires qui souvent finissent mal.
L’éditeur propose un rapprochement avec Balzac et sa construction de sa Comédie humaine en préface, que Tatsumi approuvait malicieusement. Et la lecture de ces nouvelles qui abordent, dans le Japon conservateur des années 60-80, des thématiques fortes comme l’amour débarrassé de la romance, la vie familiale non idéalisée ou thématiques délicates comme l’avortement, la maladie, le suicide, le travail avilissant… Des histoires courtes qui questionnent la morale à travers des personnages attachants et très vivants. L’ensemble est saisissant et puissant, on découvre ou redécouvre l’œuvre d’un des plus grands mangakas qui avait un regard acéré sur son époque. Ce travail de réhabilitation se double d’un travail exceptionnel sur l’objet, entre la mise en valeur des originaux, les scans d’anciennes publications et l’appareil critique.
Un beau boulot qui compense un peu les 4 ans d’attente entre la parution de ces 2 premiers tomes de l’anthologie. Grands lecteurs de manga ou de roman graphiques, amoureux de récits engagés, ne passez pas à côté de l’œuvre de Tatsumi.
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#BD
L’arabe du futur T4 de Riad Sattouf, Allary
Nous en avons parlé plusieurs fois sur Bubble, l’album est dans tous les tops des ventes, l’auteur omniprésent dans les médias et les librairies depuis quelques semaines, mais nous ne pouvions pas faire l’impasse sur L’arabe du Futur tome 4 qui marque un tournant décisif dans la vie du jeune Riad.
Difficile d’en dire plus sans tomber dans les spoilers, mais clairement la série monte encore d’un cran. Vous pouvez lire la chronique du premier volume ici pour vous faire une idée : Avec ce livre il n’éclaire pas seulement l’histoire personnelle de son enfance ; il garde une lucidité impitoyable, qui lui permet de sortir de ce regard particulier pour donner un aspect universel à cette histoire. Une porte d’entrée pour faire la lumière sur un contexte plus large, historique et culturel, qui est tant d’actualité en cette période…
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Et vous, quels sont vos gros coups de cœur de cette rentrée ?