Cette phrase c’est Pépin qui la prononce, car pour lui les « plus beaux jours de la vie » s’enchaînent à chaque bonne nouvelle, cadeau ou découverte. Avec sa grande sœur Olivia, il se remémore quelques souvenirs sur le chemin de la boulangerie, autant de petites histoires qui composent l’album, reliées par un fil rouge.
Un dispositif qui ancre les personnages dans le réel et même dans le présent, tandis que les souvenirs permettent de s’en affranchir ; avec des histoires sous forme de capsules : la toute petite bêtise, le cartable perdu, dans la forêt, le cake thon-vanille, la fête foraine, le petit chat, l’autonomie, le petit déjeuner de cow-boy, la neige et la grande fête de rien du tout qui donne son titre au livre.
10 histoires de la vie de tous les jours, à la fois tendres, surprenantes et espiègles, dans la tradition des récits pour la jeunesse comme Tom-Tom & Nana ou Ariol —avec cette particularité ici d’ancrer le tout dans un récit cadre. À la manière de la narratrice des mille et une nuits, Camille Jourdy ouvre un conte dans le conte, répondant aux appels de la mémoire des personnages pour créer un effet de familiarité avec ses nouveaux héros, un canevas renforcé par le talent d’observation de l’autrice qui capture si bien l’air du temps et les petits riens du quotidien dans ses livres.
« La grande fête de rien du tout… »
À travers cette balade en ville, avant la fête, on découvre les réflexions des enfants qui, même les plus anodines, ont un air familier. La dessinatrice touche juste pour mettre en scène la simplicité. Elle fait fourmiller ses planches de détails & d’objets qui combinés à cette atmosphère vivante et aux dialogues justes, donne cette poésie intemporelle qui n’appartient qu’à quelques titres.
Pépin et Olivia appartiennent à ces personnages de la littérature jeunesse qui sont espiègles, rebelles ou pleins d’esprit et qui participent à l’éveil des lecteur.trice.s. Des héros presque ordinaires qui permettent de vivre des expériences par procuration. Umberto Eco expliquait dans son essai Six promenades dans les bois du roman et d’ailleurs que : « [..] se promener dans un monde narratif a la même fonction que le jeu pour un enfant. Les gamins jouent avec des chevaux de bois, des poupées ou des cerfs-volants, afin de se familiariser avec les lois physiques et les actions qu’ils devront un jour accomplir vraiment. De la même manière, lire un récit signifie jouer à un jeu par lequel on apprend à donner du sens à l’immensité des choses qui se sont produites, se produisent et se produiront dans le monde réel. » (lire ici notre dossier Soyons sérieux : offrons des livres qui parlent de bêtises à nos enfants (et lisons-les ensemble !) qui se penchait sur la question en BD.)
Idées, aventures, mais aussi frustrations, cette « grande fête de rien du tout » c’est l’expression de Pépin qui est déçu que ça ne se passe pas comme il avait anticipé. Pépin dévoile sa naïveté, ses frustrations, ses réflexions tandis qu’Olivia s’intéresse à ses amis et partage déjà un aplomb et des idées qui vont vers l’adolescence. Les bêtises du duo ne sont pas démesurées ou grotesques, comme c’est souvent la tradition dans ce type de récit, mais au contraire se rapprochent de la réalité pour nous la faire vivre.
On parle de Pépin et Olivia depuis le début, mais cet album n’est pas que l’aventure d’un duo, dans cette histoire les parents ont un vrai rôle —et même certains moments en solo. On y retrouve aussi les grands-parents ou les cousins-cousines, des ami.e.s pour ajouter de nouvelles possibilités à chaque balade et Mr Boulanger & son chien Pépère pour incarner le monde extérieur. Un casting assez réduit pour rester à hauteur d’enfant où la trouvaille d’un chaton est un événement qui dépasse tous les autres sauf peut-être la rencontre avec une sorcière…
« Une fête juste comme ça parce qu’on a envie »
De la forêt au jardin familial, en passant par la fête foraine, les planches à l’aquarelle de Camille Jourdy participent de l’enchantement qui nous fait adopter immédiatement l’univers. À la beauté des décors répondent les détails des cases qui débordent —on retrouve ici d’ailleurs la proximité avec Tom-Tom & Nana et ces intérieurs pleins de vie et de secrets.
Depuis Rosalie Blum, où trois personnages racontaient leur version de l’histoire avec trois points de vue dans trois albums, on connaît l’attention de la dessinatrice pour les détails et la mise en scène. Pépin et Olivia fait lui aussi l’objet de bonnes idées comme la distinction graphique entre le présent et les souvenirs (matérialisées par les pages sans cases ou avec) ou même les références discrètes au quartier lyonnais de la Croix Rousse avec quelques commerces dont la librairie la bd. Une manière discrète d’ancrer un peu plus ses personnages fictifs dans notre réalité où les enfants échangent, retrouvent leurs ami.e.s et s’interrogent.
Si dans Les Vermeilles, on avait découvert le versant féérique, parfois inquiétant, ici il se fait chaleureux et rassurant. La magie se niche dans un lever de soleil à la campagne plein d’émotions dans une planche d’une poésie folle ou encore dans une double planche de fête foraine qui arrête le temps à la moitié du livre, comme si nous —personnages et lecteur.trice.s — avions franchis ensemble un seuil.
Autrice habituée aux longs formats, Camille Jourdy nous offre un gros volume de 120 pages qui courent autour de ce fil rouge évoqué plus haut, et on espère que ce volume sera suivit d’autres même si pour le moment ce n’est pas prévu, en témoigne l’absence de numérotation sur le volume, même si le sous-titre laisse une porte ouverte. Publié dans la nouvelle collection jeunesse de Dupuis, Les Ondines, ce livre aussi beau que malin est à mettre entre toutes les mains.
Pépin et Olivia – La grande fête de rien du tout de Camille Jourdy chez Dupuis, coll. Les Ondines
Tous les visuels sont © Camille Jourdy / Dupuis
