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par Baptiste Gilbert - le 7/04/2023
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par Baptiste Gilbert - le 7/04/2023

Peut-on encore être un barbare en 2023 ? Karibou répond en deux albums

Constantin de Chamberly et Johnny Biceps sont deux héros très différents, mais unis par leur profession : barbare professionnel. Mais en 2023, avec l’évolution des mentalités et les nouvelles problématiques sociales et sociétales, est-il encore possible d’être un vrai barbare, avec tout ce que cela implique de violence, de comportements problématiques et de beaufitude ?

Karibou s’amuse à revisiter cette figure du barbare à travers deux des albums les plus drôles de ce début d’année. Deux histoires totalement distinctes mais sorties en même temps chez Delcourt dans la collection Pataquès, et qu’il a réalisé au côté des dessinateurs Arnaud De Viviers pour Constantin de Chamberly et Nikola Witko pour Johnny Biceps.

Les deux albums sont à la fois complémentaires et très différents dans leur manière de traiter cette figure du barbare. Cet archétype, devenu un classique de l’heroic-fantasy et la star de tout un pan de la bande dessinée des années 1990-2000, est souvent caricatural dans sa manière d’appréhender la violence, mais aussi dans son rapport aux femmes ou aux étrangers. En toute logique, il a donc souvent été utilisé dans des œuvres parodiques ou satiriques (on pense notamment au Donjon de Naheulbeuk, à Krän le barbare ou à Donjon), mais rarement aussi bien qu’ici !

Massacres, lutte des classes et études de genre

© Karibou / Arnaud De Viviers / Delcourt

Dans Constantin de Chamberly, les auteurs font de leur barbare un homme très cultivé, connaissant sur le bout des doigt les théories des plus grand.e.s philosophes et sociologues, et à tendance marxiste. Autant vous dire qu’il préfère résoudre ses affrontements par le biais d’un bon débat d’idées, et que son épée ne sort pas souvent du fourreau. L’histoire se déroule dans un univers d’heroic fantasy tout ce qu’il y a de plus classique (villages attaqués par des hordes de monstres, sorcières, goules, squelettes, mages tyranniques, etc), sur lequel Karibou appose des thématiques de notre temps comme la démocratie, la lutte des classes, le droit des femmes et des minorités, l’inflation, le chômage, etc. Le décalage est hilarant.

On retrouve également ces thématiques dans Johnny Biceps, mais dans un univers SF et avec un personnage qui prend le contrepied total du précédent. Johnny est beauf, très débile, ultra bourrin, et les personnages autour de lui sont souvent consternés par ses actions. Il est aussi beaucoup moins bienveillant que Constantin, et sans scrupules aussi bien avec ses ennemis qu’avec ses acolytes (il sacrifie régulièrement son side-kick et le remplace par un clone). Cette fois, on se rapproche plus de Rick et Morty et Futurama dans une forme d’humour trash qui transgresse toutes nos attentes en restant dans le cadre du genre.

Vous l’aurez compris, si dans Constantin de Chamberly on riait du décalage entre la figure classique du barbare et le personnage érudit, dans Johnny Biceps on rit en poussant au maximum les clichés de ce genre de personnage et en les confrontant à des réflexions contemporaines (mention spéciale à cette planète-arène où les gladiateurs ont tous suivi un double cursus : art de la guerre et études de genre).

Inspirations barbares

Les romans et BD pulp de SF et d’heroic fantasy – qui mettent souvent en scène cette figure du barbare – sont évidemment la grosse inspiration, les auteurs les réinterprétant pour gentiment s’en moquer. On pense en premier lieu à Conan le Barbare (auquel la couverture de Constantin de Chamberly fait explicitement référence) où à d’autres personnages de Robert E. Howard, et plus globalement aux histoires publiées dans des magazines comme Weird Tales.

© Karibou / Nikola Witko / Delcourt

Du côté des dessinateurs, Nikola Witko utilise pour Johnny Biceps un style très cartoon, et donne aux personnages des caractéristiques physiques et faciales très prononcées qui correspondent parfaitement au côté “over the top” du protagoniste. Le découpage de l’album en histoires courtes d’une ou deux pages (c’est aussi le cas de Constantin de Chamberly) permettent au dessinateur d’explorer différentes ambiances et une grande variété de créatures. Il donne également un côté rétro à l’album en utilisant des couleurs passées qui fonctionnent très bien dans cet univers pulp à l’ancienne. 

Pour Constantin de Chamberly, Arnaud De Viviers adopte au contraire un trait fin, qui correspond là aussi très bien à ce personnage subtil dans ses réflexions et amoureux des belles lettres. En utilisant ce trait délicat pour représenter des monstres difformes et des musculatures surdéveloppées, il accentue le décalage entre les codes du genre et la nature érudite du protagoniste. A l’occasion de quelques pleines pages, les auteurs s’amusent également à pasticher des affiches politiques pour y mettre en scène les personnages de l’album.

On ne saurait trop vous conseiller ces réinterprétations d’une figure classique de l’heroic fantasy, qui jouent avec un humour tantôt fin et tantôt bourrin, mais qui fait mouche à tous les coups. On attend maintenant avec impatience les suites que laisse présager chacun des deux récits !


Illustrations Constantin de Chamberly : © Karibou / Arnaud De Viviers / Delcourt

Illustrations Johnny Biceps : © Karibou / Nikola Witko / Delcourt

© Karibou / Nikola Witko / Delcourt
© Karibou / Nikola Witko / Delcourt
© Karibou / Arnaud De Viviers / Delcourt
© Karibou / Arnaud De Viviers / Delcourt
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