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Critiques
par Thomas Mourier - le 26/10/2022
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par Thomas Mourier - le 26/10/2022

Rencontre avec Anne-Perrine Couët pour Báthory – La Comtesse Maudite

Mi-septembre est sorti Báthory —La Comtesse Maudite, un album sur un personnage historique, mais qui se démarque des biographies et des documentaires en cherchant à mêler Histoire et légendes, mais aussi par son approche très graphique. Nous l’avons rencontré à Quai des bulles début octobre pour lui poser quelques questions.

L’album s’ouvre sur le procès de la Comtesse, le procès d’une femme qui est vue comme un monstre, dont la réputation croise l’origine du mythe des vampires et alimente histoires & légendes depuis des siècles. 

Avec cet album Anne-Perrine Couët interroge ce mythe, ce personnage et tout ce qui l’entoure en proposant un album composite, où les récits s’imbriquent dans les récits, pour mieux comprendre cette figure historique. À l’aide d’une solide documentation et de conversations avec Gábor Várkonyi, un historien hongrois spécialiste du sujet, l’autrice s’est lancée dans une biographie atypique qui surprend par ses choix graphiques audacieux. 

La Comtesse Báthory a été le sujet de pas mal de légendes. Avec ce livre, vous voulez briser ce cliché du monstre qu’on lui aurait attribuée. Comment est né ce projet ? 

Anne-Perrine Couët : À l’origine, je connaissais la légende de « la tueuse en série » la plus célèbre de l’histoire qui aurait tué des femmes vierges pour se baigner dans leur sang, etc… Et un jour en regardant des articles sur internet sur elle, je suis tombée sur des amorces de textes qui disaient que c’était probablement un complot ou que c’était quelque chose qui avait été monté de toute pièce, que c’était plutôt une histoire de pouvoir. Je m’étais dit que c’était intéressant, que je n’avais jamais questionné cette légende. 

En plus le personnage a vraiment existé donc qu’est-ce qu’il y a derrière ça ? Et donc, c’est un travail sur l’histoire, mais il y a aussi une forme de déconstruction de la légende, car je porte un point de vue, ou un regard, sur ce qu’on a fait ensuite de cette histoire. 

À travers elle, et les femmes de son entourage, vous parlez de la découverte de sa féminité, de son corps, et dans un sens, de la quête d’indépendance des femmes : avec ce genre de comportement, elles sont systématiquement traitées de sorcières. Cet album parle de légendes, mais surtout de thématiques très contemporaines ? 

Anne-Perrine Couët : Surtout en regard de cette légende. Par exemple la notion d’indépendance avec le personnage de Darvulia et ce qu’elle essaie d’amener dans l’entourage de la Comtesse. Cette légende, elle a aussi à cœur de sur-sexualisé ce personnage féminin, avec cette image de femme fatale qui prend des bains de sang nue. Et je me disais qu’on ne pouvait pas non plus occulter cet aspect-là, il est intéressant à intégrer dedans, mais peut-être qu’on peut le détourner un peu et voir comment se le réapproprier. Si ce personnage de Darvulia (qui a existé ? On est pas sûr en fait) est décrit comme quelqu’un que la Comtesse aurait protégé dans son entourage, et qui aurait amené des connaissances de ce type là, dans ce contexte. 

Vous faites des aller-retour entre le procès intenté contre la comtesse et l’histoire de la baronne. Pourquoi avoir fait le choix d’une narration non linéaire ? 

Anne-Perrine Couët : C’était une histoire de rythme. C’est inspiré de techniques de films où la question du flash-back est intégrée au récit continu. Pour moi, c’était aussi une manière de faire qu’à chaque fin de séquence sur le procès, il y a l’introduction d’une thématique qui est ensuite développée dans le flash-back, puis retour au procès. Cela permet d’aborder différentes problématiques autour des guérisseuses, de la rumeur, de la présence de la religion ou de la croyance. À chaque fois, c’est un petit échelon en plus dans la construction de l’histoire. 

© Anne-Perrine Couët / Steinkis

C’est votre premier album solo et il y a une utilisation très innovante du dessin avec des styles différents, des inserts de planches façon gravures de colporteur, des jeux d’ombres ou dessins symboliques… d’où ça vient ? 

Anne-Perrine Couët : Gravures, livres d’époque, textiles… j’ai regardé pas mal de documentation sur l’époque. Il y avait plein de motifs à glaner un peu partout et j’ai pu réutiliser des choses et m’inspirer de ça pour dessiner. 

Pour le dessin, je lis plein de choses qui ne sont pas en rapport, qui sont plus ouvertes ou même minimalistes. Et pas du tout comme pour cet album. Comme quoi, ce qu’on aime et ce qu’on fait, ça n’a rien à voir. 

Ce que je voulais faire, dans mon dessin, c’était marquer une différence entre le récit et les récits dans le récit. Par exemple, dès qu’il y a une lettre ou une légende qui est racontée : le dessin change et prend des ornements ou même un type de personnages un peu différent.

D’ailleurs, les personnages sont en noir & blanc au crayon puis les décors en couleur ocre/sépia, pourquoi ce parti pris graphique ? 

© Anne-Perrine Couët / Steinkis

Anne-Perrine Couët : Pour le crayon à papier, c’était purement par plaisir. J’avais vraiment envie de travailler sur des planches originales, j’en avais marre de travailler à la tablette. Mais cela me permettait de travailler les nuances et d’amener de la nuance dans un récit.

Et en même temps, il y a un vrai effet relaxant de gratter au crayon, je cherchais ça absolument. 

Et pour le travail de mise en couleur, c’est au numérique et quand je commençais à faire des essais de mise en couleur, je trouvais que c’était trop chargé par rapport au dessin, d’amener des gammes supplémentaires. J’ai essayé de restreindre pour évoquer à la fois le côté sépia, un peu ancien, et en même temps le côté or des ornements, des fioritures et des bijoux. 

Et le travail sans encrage était pour obtenir un effet charbonneux ? 

Anne-Perrine Couët : Oui complètement, j’aimais bien cette matière sur le dessin. Par exemple, quand il y a des planches avec des ombres et des silhouettes, je voulais travailler ça directement avec la main.

Quel est votre quotidien d’autrice, une journée type sur ce livre ? 

© Anne-Perrine Couët / Steinkis

Anne-Perrine Couët : J’aimais bien quand je travaillais sur ce projet. Je me levais super tôt vers 5h – 5h30, je travaillais quand il n’y avait personne de réveillé le matin, c’est génial. Je faisais 2 planches par jour à peu près, 3 quand je pouvais. Je faisais 1 ou 2 planches chez moi puis je partais à l’atelier et je faisais autre chose. C’était intense, mais j’aimais bien. 

Le temps d’écriture était nourri par les lectures et recherches que j’ai pu faire. Et par les discussions avec le chercheur, Gábor Várkonyi. On a eu des échanges aussi avec les éditrices sur l’histoire, mais elles m’ont laissé libre de cette proposition de construction. 

Après ça, j’ai eu un mois de découpage, que j’ai fait assez précis pour ensuite passer aux planches directement. 

Justement à propos de ce travail sur la documentation et avec Gábor Várkonyi : est-ce que c’est difficile de trier, d’épurer, de ne pas trop en mettre ? 

Anne-Perrine Couët : Oui c’est dur. Je fais un aparté, mais je prenais des notes, mais au lieu de prendre des notes dans un carnet : je prenais une feuille A4 que je collais à côté d’une feuille A4 et après je faisais un genre de grand poster où tout était écrit dans n’importe quel sens et recto verso. Donc à chaque fois que je cherchais une note pour me rappeler d’un truc, j’étais là avec mon poster à le tourner dans tous les sens. Les gens à l’atelier me regardaient genre « mais qu’est-ce qu’elle fait » ? (rires)

Et une fois que tu récoltes toutes les citations, les phrases que tu veux, l’idée est de remettre ça dans un ordre. Le séquencier et la structure, j’avais, je suis venue rajouter des choses dedans comme si je venais verser les infos au fur et à mesure.

© Anne-Perrine Couët / Steinkis

Il y a cette idée de couper aussi. D’enlever les choses qui ne sont pas nécessaires, c’est important ce travail d’épure à chaque fois. Je sais qu’il y a beaucoup de notes que je n’ai pas utilisées, mais je n’ai pas l’impression qu’il y ait de manque par rapport aux recherches sur ce que j’avais envie de raconter.   

Est-ce que vous pouvez dire un mot sur votre prochain projet ? 

Anne-Perrine Couët : On a signé un livre, avec Ingrid Chabbert au scénario, chez le même éditeur pour la collection Dyade. C’est en cours.

Et je suis en train d’essayer de finir l’écriture d’une histoire de science-fiction parce que j’ai envie de faire de la SF avec des personnages féminins et une héroïne. 


Le livre est à découvrir ici : Báthory – La Comtesse Maudite de Anne-Perrine Couët, Steinkis
Toutes nos interviews sont à retrouver là.


Tous les visuels sont © Anne-Perrine Couët / Steinkis

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