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par Serial_lecteur_nyctalope - le 12/11/2020
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par Serial_lecteur_nyctalope - le 12/11/2020

Un confinement pour s’évader : 5 albums, 5 émotions

Ce mois-ci, nouveau partenariat avec serial_lecteur_nyctalope qui propose ses 5 albums coups de cœur pour s’évader, entre fantasy, humour et récit historique.

Depuis toujours, les images ont eu sur moi un fort impact émotionnel et visuel. Parfois les formes ont davantage d’effet que les mots. En période d’enfermement, quoi de mieux que de s’évader dans les sphères graphiques. Je vous ai ainsi sélectionné cinq univers, cinq albums qui m’ont procuré de véritables émotions. Cinq univers qui ont marqué peu ou prou mon passé et qui altéreront mon futur. D’un album totalement muet à un autre qui vous fera hurler de rire. Deux titres qui vous ramèneront aux heures les plus sombres de l’Histoire et une série fantastique dont on se délecte déjà des suites.

SOMMAIRE :
🔶 Longue vie & Le Fils du roi de Stanislas Moussé, Le Tripode
🔶 Open Bar T2 de Fabcaro, Delcourt, coll. Pataquès
🔶 Hibakusha de Thilde Barboni & Olivier Cinna, Dupuis coll. Aire Libre
🔶 Les 5 terres de Jérôme Lereculey, Lewelyn & Co, Delcourt
🔶 Deux Hivers, un été de Antoine Houcke, Valérie Villieu & Antoine Houcke, La Boîte à Bulles

Longue vie de Stanislas Moussé, Le Tripode

Longue vie de Stanislas Moussé, Le Tripode

Une fois de plus les éditions Le Tripode non contentes de dénicher des merveilles littéraires, publient deux albums d’une rare intensité. Une force silencieuse. Sans mots. Un dessin aux formes si particulières. Jamais je n’avais ressenti autant d’émotion visuelle. Être transpercé par des personnages au graphisme si différent des autres. Chaque dessin est intelligent, car c’est bien sur ce point que j’aimerais insister. Chaque dessin développe plusieurs interprétations, tout demeure dans le détail. Ces scènes de vie prennent tout leur sens dans notre faculté à s’en souvenir. Toujours subtils, ils obligent le lecteur à être attentif. Il n’y a pas de bulle, de case, de mots, mais j’y ai sûrement passé plus de temps que s’il y en avait eu. Ces albums captent votre attention avec délice. Je ne me lasse jamais de ces bonshommes parfois difformes, de cette lueur d’espoir qui émane de ces histoires.

Le premier album publié en mars dernier Longue vie démarre sur les chapeaux de roue où un berger voit sa famille massacrée. Des scènes parfois violentes, mais nécessaires pour signifier la cruauté du monde. Il n’aura de cesse au fil des pages et de sa vieillesse, de se venger. D’être le plus juste possible dans ses choix quitte à guerroyer comme c’est le cas souvent au sein de cette histoire. On suit ainsi les aventures de ce personnage à l’œil unique, sur un corps auréolé de formes arrondies. Parfois couronnés, parfois déchus, les rois de l’Histoire ne résistent jamais très longtemps. Avec une faculté à faire émerger un noir et blanc imprégné de souffrance, chaque dessin est identifiable, chaque succession de pages est une ode à la singularité et au talent. Vous serez surpris par le détail de chaque planche, par la complexité des paysages et leur somptueuse prolongation de l’imaginaire.

Le Fils du roi de Stanislas Moussé, Le Tripode

Le Fils du roi de Stanislas Moussé, Le Tripode

Quand on goûte le premier album, on ne peut s’empêcher de lire le second, ils vont de pair, car il s’agit d’une suite même si cela peut se lire indépendamment. Le Fils du roi. Et si lui aussi devenait roi comme son père ? Ce dernier est ainsi le personnage principal de Longue vie. Lui aussi aura une existence semée d’embûches. Avec cet univers médiéval où chaque peuple si différent soit-il nous intrigue. Sorti cette semaine en librairie, il vient continuer le travail admirable d’un Stanislas que je découvre avec délectation. Je me rappelle étant petit avoir été happé par « Où est Charlie ? » En effet l’hommage est évident, vos yeux chercheront sans cesse le détail pour combler l’absence de mots. Chaque mouvement, chaque émotion est suggéré de manière si forte que votre cerveau ne fera même plus de différence. Il suffit d’un dessin pour qu’il s’acclimate à cette absence quelque peu rare et originale. 

Mais la ressemblance s’arrête là, car celle du Seigneur des Anneaux avec ses multiples peuples et formes particulières est davantage présente. J’apprends que Stanislas a tout fait à la main, rien sur ordinateur. Choc ultime. Le travail est immense. Et je regarde ces dessins, j’admire. J’admire le travail que cela implique, j’admire le génie silencieux qui se cache derrière ces planches. Évidemment on retrouve du Hergé derrière certaines cases, ce sens absolu qu’il avait à faire vivre ses dessins. Où l’enchaînement dans case faisait mouche. Où les personnages se meuvent sans que l’on ne s’en rende compte. En deux albums, en deux vies entières racontées en 250 pages, Stanislas Moussé vient d’atterrir dans mon panthéon graphique.

Open Bar T2 de Fabcaro, Delcourt, Coll. Pataquès

Open Bar T2 de Fabcaro, Pataquès

Fabcaro continue d’être brillant album après album. Difficile avec la même recette de toujours autant faire rire. Lui y arrive. Avec subtilité, vous savez : cette notion où à la première lecture vous pensiez avoir déjoué le gag, mais que c’est la seconde qui surgit derrière vous pour vous arracher un rire franc. Six cases, le dessin immobile, les traits qui se figent, mais la profondeur du propos qui s’érige. Deuxième tome qu’on peut très bien lire de manière séparée, Fabcaro découpe la société, décape les hommes et décalque des réalités présumées, entre surréalisme et absurde, tout paraît plutôt exotique. 

Alors oui il y a peu de pages, oui on en voudrait toujours plus, je pense même que je pourrais lire des cases immobiles toute la journée. Mais il apparaît que les bonnes choses sont meilleures quand elles sont rares. Le début de l’album apparaît poussif, mais en seconde lecture devient corrosif. Il fallait que l’univers loufoque prenne sa place : soyons clairs, on bascule très vers le génie. Le génie de l’humour noir, caste d’artistes disparue, ensevelie par le politiquement correct, certains résistent encore. De l’égalité des sexes, des gilets jaunes, du développement durable ou des coaches de développement personnel, tout y passe. La dérision est toujours faite avec intelligence, il touche constamment son public. Il a ce don de faire rire sur des sujets polémiques ou problématiques. On sent poindre la chute sans jamais l’imaginer, on pense qu’il n’osera pas. Et pourtant il la fait. L’instant est trop court, le coït est déjà terminé, j’aurais aimé en avoir davantage (de pages bien sûr) j’ai cette impression que seuls les préliminaires ont été joués. 

Le tome 3 je l’aimerais plus dense, mais toujours aussi hilarant. Ce petit sourire en coin, n’osant pas sourire ou rire vu le sujet. Et oui on s’habitue on ne s’oblige de rien et on entre dans l’univers qui me fabcarise. Me voilà condamné à commander l’intégralité dessinée et surtout son dernier roman.

Hibakusha de Thilde Barboni & Olivier Cinna, Dupuis coll. Aire Libre

Hibakusha de Thilde Barboni & Olivier Cinna, Dupuis coll. Aire Libre

Réédité à l’occasion malheureuse du 75ème anniversaire d’Hiroshima, je vous embarque au cœur de Hibakusha. Olivier Cinna et Thilde Barboni nous offrent un album d’une poésie et d’une immense beauté. Ludwig est traducteur interprète pour le Troisième Reich, il est ainsi envoyé à Hiroshima pour travailler sur des documents confidentiels. La rencontre avec une Japonaise va ainsi bouleverser sa façon d’exister. Graphiquement, les couleurs explosent. Chaque trait enrobe le personnage de manière délicate et soyeuse. 

Les Hibakusha sont les survivants des attaques américaines de Nagasaki et Hiroshima. Publiée en 1983 la nouvelle est scénarisée par l’autrice elle-même. Sans avoir jamais dénoncé le coupable qui lui coûta un handicap, Ludwig sait que c’est ce dernier qui le sauva du front de la Seconde Guerre mondiale. Le retour au Japon lui dévoilera de nombreuses surprises. Chaque corps dessiné par Olivier Cinna est d’une clarté, d’un attrait visuel dont on ne peut plus détourner le regard. Une fois de plus les éditions Dupuis, au travers d’Aire Libre, excellent dans la fabrication d’un objet que l’on désire serrer contre son cœur. Les couleurs sont suggestives et séduisantes, voire charnelles. À la lueur d’un monde qui bascule en une seconde, où les corps se déchirent et s’éliminent, je n’avais jamais vu des images aussi fortes quant à une bombe atomique dessinée. Le dessin demeure subtil et poétique même dans l’horreur. 

La fin de l’album, merveilleux condensé d’un amour incandescent, vous promettra sûrement quelques larmes. À la fois déchirant et contemplatif, cet album avec ses petits détails comme les feuilles qui s’échappent de la page et de la planche, en font un merveilleux moment graphique. Avez-vous déjà entendu parler des ombres de Hiroshima ? Cette petite histoire dans la grande m’a bouleversé, je préfère ainsi vous laisser la primeur de la découverte sans vous en dévoiler davantage. À la fois romantique, poétique et historique, ne passez pas à côté… Olivier Cinna est décédé le 24 mars 2019, je lui dédie cette humble chronique. Merci l’artiste.

Les 5 terres de Jérôme Lereculey, Lewelyn & Co, Delcourt

Les 5 terres de Jérôme Lereculey, Lewelyn & Co, Delcourt

Trois premiers tomes. Trois albums qui m’ont saisi par leur originalité, leur narration subtile et entremêlée. Le projet est fou, 30 tomes, 5 cycles de 6 albums. Chaque cycle représentant une « Terre ». Le casting en arrière-plan n’est que plus savoureux avec un trio de scénaristes, Chauvel, Andoryss et Patrick Wong sous le pseudo de Lewelyn. Ensuite un quatuor pour le visuel avec Didier Poli, Jérôme Lereculey, Lucyd et Dimitris Martinos. Trois albums par an. Un univers politico-fantasy, du Game of thrones avec davantage de subtilité à mon sens, notamment en ce qui concerne les jeux de pouvoir détaillés. Si vous aviez aimé la série Blacksad, vous allez adorer les 5 terres

Le premier tome est celui dont je vous parlerai bien évidemment en détail, pour éviter de spoiler ceux qui voudront se lancer. Sachez cependant que l’atmosphère est déjà bien ancrée dès le début, mais qu’évidemment, les intrigues se multipliant au fil des tomes, nous avons toujours cette impression que le dernier tome est le meilleur. Chaque fin d’album viendra ponctuer un évènement totalement imprévisible, les chutes n’en seront que plus exaltantes. Chaque acteur est animal, sauvage, l’anthropomorphisme au cœur du projet bien évidemment comme l’avait fait La ferme des animaux qu’il s’agisse de l’album ou du merveilleux livre de George Orwell.

L’histoire à présent. 5 terres. 5 terres d’animaux différents aux caractéristiques particulières. Le vieux roi Cyrus, héros de la bataille de Drakhenor, est mourant. Son neveu Hirus, jeune tigre brutal et ambitieux, et successeur désigné du roi, rêve d’imposer sa loi au reste des 5 Terres. Mais comme toujours chez les félins, rien n’est simple, et le trône est l’objet de toutes les convoitises, tandis que dans les royaumes voisins, on observe la situation, prêt à fondre sur Angleon au moindre faux pas… Car tout est imprévisible, chaque personnage peut mourir à tout instant du récit, ce qui en fait une qualité indispensable. Les éléments féminins seront tôt ou tard au cœur de ces luttes, c’est déjà le cas dans ces trois tomes et permet également d’approcher des thèmes longtemps ignorés en bande dessinée.

Nul manichéisme, nulle évidence, toutes les cartes sont rebattues. Entre la croyance des reptiles, l’égoïsme des félins, la brutalité des ours, tout est réuni pour que la série prenne son envol légendaire. Concernant ces trois premiers tomes, nous restons au cœur d’Angleon, au cœur des félins, ce qui n’est pas pour me déplaire. Car le graphisme est tout simplement léché comme jamais. Chaque personnage avec ses traits nous enrobe de leur onctuosité, ils nous happent sans sourciller pour ne plus les lâcher. Trois tomes avalés l’un après l’autre, c’était devenu addictif. Nécessaire. Les jeux de pouvoir incongrus, on s’attache dès les premières pages pour poser le décor, à chacun d’eux. Les découpages de chaque planche, les intrigues liées et nouées peuvent faire lire ces albums à tout âge avec des différents degrés de lecture. 

Des albums subtils et surtout intelligents, rares sont les séries qui démarrent aussi fortement et avec lesquelles on accroche aussi aisément. En fin d’ouvrage, vous aurez droit à un rappel d’une Histoire des batailles ou familles, j’ai parfois cru que ce monde existait, tant l’illusion était parfaite. Parfaite. Chaque début de tome vous rappellera avec brio, les scènes marquantes du précédent, avec une carte des territoires. Foncez. Je ne peux que vous encourager à découvrir cette merveilleuse série.

Deux Hivers, un été de Antoine Houcke, Valérie Villieu & Antoine Houcke, La Boîte à Bulles

Deux Hivers, un été de Antoine Houcke, Valérie Villieu & Antoine Houcke, La Boîte à Bulles

La peur. L’angoisse. L’attente. L’absence. Mais jamais l’oubli. La jeune Wally est insouciante. Elle, juive, en pleine seconde guerre mondiale, cherche l’évasion à travers l’horreur. Cette dernière que bien peu connaissaient à cet instant-là. Celle qui demeurait de manière sous-marine pour exploser au monde à la libération. Difficile de nos jours d’imaginer que de tels agissements puissent avoir lieu en Europe sans que personne ne soit au courant. De l’occupation à la délivrance, nous suivons Wally dans ses cheminements intérieurs, ponctués d’histoire. Celle qui permet d’apprendre de ses erreurs pour en construire un avenir meilleur. Cette Histoire que l’on n’oublie que bien trop souvent et qui parfois se répète deux fois. Rarement dans la bonne direction. Sa famille quitte la Pologne pour la France pour une nouvelle vie et tout bascule.

Tout bascule lorsque la guerre éclate, et quand une minorité religieuse en devient le bouc émissaire. Chaque période historique aura vu son vilain petit canard, celui qu’il faudra accuser de tous les maux pour expliquer une défaillance collective. Alors il faut se cacher, tenter de survivre, dénicher quelques aliments pour se sustenter. Ce récit m’a bouleversé en son absence larmoyante. Antoine Houcke a réussi une prouesse visuelle alternant les couleurs et le noir et blanc de façon subtile. Chaque trait crayonné ou à l’aquarelle explose à nos yeux. La qualité de cet album réside véritablement dans cette atmosphère indescriptible. Nous ressentons la peur, la noirceur ou le désespoir. Sans jamais afficher les choses telles qu’elles sont, toujours avec subtilité et avec le sens du détail. 

Cet album est un modèle à étudier en classe à tout âge, tant sur le plan historique que visuel. Cette histoire qui a permis à des policiers français d’organiser une rafle, de venir frapper à certaines portes pour arracher des familles. Cette Histoire qui a permis à des Français de dénoncer des juifs, car ils étaient juifs, mais également à d’autres qui les ont sauvés. Car ces derniers, tout au long de l’album, sont mis en avant. Comme s’ils étaient issus d’un miracle pour la plupart, comme si par magie l’humain redevenait humain. Adapté d’une histoire vraie, le duo d’auteurs excelle brillamment dans un exercice pourtant déjà réalisé. Et pourtant on arrive encore à s’émerveiller devant un tel travail.


 ✏️ Rédacteur invité : serial_lecteur_nyctalope

Depuis ma plus jeune enfance, la bande dessinée a fait partie de moi, par Hergé tout d’abord puis par des univers moins conventionnels. Sur mon compte, vous y trouverez un éclectisme certain, s’ouvrir à chaque support demeure mon leitmotiv.

Découvrir son compte instagram où il partage ses coups de cœur et ses rencontres en live.


Image principale ©Thilde Barboni / Olivier Cinna / Dupuis

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