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Critiques
par Thomas Mourier - le 3/07/2021
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par Thomas Mourier - le 3/07/2021

Une bibliothèque est-elle vraiment un refuge ? Venez en douter avec les nouvelles de Chihoi

Dans l’imaginaire populaire, la bibliothèque est le lieu du savoir : synonyme de quiétude et de curiosité mais aussi un lieu de passage et de passeurs, mais est-ce (toujours) vrai ?

La Bibliothèque de Chihoi, Atrabile

Pour l’auteur, éditeur et peintre hongkongais Chihoi ce n’est pas une évidence. Lui qui fréquente les livres sous toutes ses formes dans un pays où les livres doivent nécessairement être revus par le Gouvernement sous peine de censure. Les éditions Atrabile viennent de publier un recueil d’histoires courtes sur ce sujet où Chihoi s’interroge sur notre rapport aux bibliothèques et aux livres. 

Pré-publiées dans des fanzines ou anthologies, ces 5 histoires + une fantôme (cette dernière BD n’existe qu’en 30 exemplaires dans le monde, et vous pouvez les géolocaliser ici, la plus proche étant chez son éditeur à Genève en Suisse) qui composent ce livre s’en amusent : faut-il brûler les livres pour les garder à jamais ? Peut-on se perdre dans un livre ou mourir perdu dans une bibliothèque publique ? Est-ce que, dans un futur proche, certaines bibliothèques seront visitées comme des trains fantômes ?

Le grand lecteur de bande dessinée, Umberto Eco a écrit « Si Dieu existait, il serait une bibliothèque. » Est-ce que cela sous-entend un diable ou au moins un négatif à cette entité ? Lisez quelques pages de La Bibliothèque et laissez-vous emporter par la poésie, mais surtout le spleen des personnages confrontés aux livres…

De la mélancolie à la sédition poétique

Que ce soit dans ses peintures (qu’il expose depuis 2010) ou dans ses livres (qu’il dessine ou édite), Chihoi installe un mélange très personnel de poésie, d’humour, de satire et de mélancolie. 

Si dans la vie, l’auteur a une relation particulière aux livres qu’il aime chiner, acheter ou même les traduire en image, dans ces courtes histoires ils sont plutôt source de problèmes. Le traducteur, Voitachewski, le suggère dans sa préface qui accompagne les histoires dans l’édition en français, est-ce qu’elles sont un reflet de la société hongkongaise ? 

On peut l’imaginer à la lecture de ces fictions, aux limites du réalisme ou de l’absurde parfois, qui renvoient presque toutes à des réflexions sur l’oubli ou l’effacement, des interrogations sur le regard de l’autre ou la manière dont on regarde ces objets qui sont porteurs d’informations sensibles ou au contraire triviales. Le livre est un objet unique qui attire le regard aussi bien l’envie & la curiosité que la suspicion et la censure. Dans les planches de La Bibliothèque, le dessinateur confronte le patrimoine culturel de sa ville à son image de cité-État tournée vers l’argent ou l’immobilier ; celle d’une identité hongkongaise cachée et malmenée par une identité de la finance ou de l’anglais. 

Et cette lutte poétique contre l’oubli de la culture ou des cultures qui s’effacent sous la censure, l’argent ou la globalisation, il s’en est fait une spécialité : lui qui a compilé des interviews des auteurs de la scène indépendante hongkongaise dans Long Long Road, 25 Years of Independant Comics in Hong-kong avec Craig Au Yeung (inédit en français) ; lui qui a mis en image des textes de la littérature hongkongaise ou plutôt inspirés avec pas mal de techniques & d’approches différentes avec Kongkee publié en français en un volume Détournements.

Un univers de papier 

Dans un livre (Dream books encore inédit en français) il — ou son double de papier — explique même ne plus jamais acheter de livre sur les livres, mais plutôt les rêver en dessinant les couvertures. Chez le même éditeur, était également sorti Le Train son adaptation graphique d’une nouvelle du poète taïwanais Hung Hung et un premier recueil d’histoires courtes À l’horizon.

Son trait au crayon de papier installe une proximité et une immédiateté au dessin qui semble sorties de cahiers personnels, de notes oniriques auxquelles on n’aurait pas dû avoir accès. Ce côté intime du dessin inclut des formes par transparences ou qu’on devine après avoir été gommées. Un style de dessin aux influences multiples, d’auteurs hongkongais comme Lai Tat Tat Wing, à la finlandaise Amanda Vahamaki en passant par le français Vincent Vanoli.

Si les histoires sont indépendantes, on retrouve quelques figures, comme l’énigmatique bibliothécaire qui apparaît dans plusieurs nouvelles et ses personnages évoluent comme nous dans un monde de paradoxes avec un petit pas de côté qui pousse des statues portant des livres (une incarnation de la Culture ?) à nous agresser sexuellement. Des contes où les salles d’une bibliothèque finissent par devenir notre tombeau et finalement on doute : est-ce que rendre un livre en retard fait de vous un criminel ou un libérateur ? 

La Bibliothèque de Chihoi, Atrabile

Traduit par Voitachewski


Illustrations : © Chihoi / nos:books / Atrabile

La Bibliothèque de Chihoi, Atrabile
Illustrations : © Chihoi / nos:books / Atrabile
La Bibliothèque de Chihoi, Atrabile
Illustrations : © Chihoi / nos:books / Atrabile
La Bibliothèque de Chihoi, Atrabile
Illustrations : © Chihoi / nos:books / Atrabile
Illustrations : © Chihoi / nos:books / Atrabile
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