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Édito
par Thierry Soulard - le 12/09/2019
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par Thierry Soulard - le 12/09/2019

Les coulisses du 9e art : dessinateur portrait robot

Première partie de notre enquête sur le métier de dessinateur après celui de scénariste (voir le dossier). Qu’est-ce qu’un dessinateur de bande dessinée ? Comment est-il devenu dessinateur professionnel ? Comment travaille-t-il ? Réponses avec quatre dessinatrices et dessinateurs aux âges et parcours très différents : Claire Fauvel (30 ans) Phoolan Devi, La Guerre de Catherine, Une Saison… Lire la Suite →

Première partie de notre enquête sur le métier de dessinateur après celui de scénariste (voir le dossier). Qu’est-ce qu’un dessinateur de bande dessinée ? Comment est-il devenu dessinateur professionnel ? Comment travaille-t-il ?

Réponses avec quatre dessinatrices et dessinateurs aux âges et parcours très différents :

Claire Fauvel (30 ans) Phoolan Devi, La Guerre de Catherine, Une Saison en Egypte.
Anne Montel
(30 ans) Les Jours Sucrés, Le Temps des Mitaines, Shä et Salomé
Hervé Tanquerelle (47 ans) Le Dernier Atlas, Groenland Vertigo, Les Voleurs de Carthage
Et François Schuiten (63 ans) Blake et Mortimer : Le Dernier Pharaon, la série des Cités Obscures, La Douce

💡L’envie

« Dès le collège, j’ai commencé à imaginer des histoires et dessiner mes premières pages de BD influencées par mes lectures de l’époque : des romans classiques… et des mangas ! », explique Claire Fauvel.

« Ça a été très clair pour moi, depuis l’âge de 6 ans, que je voulais faire de la BD », renchérit Hervé Tanquerelle.

« Je ne rêvais que de faire ça », sourit François Schuiten. « Chaque jour, se lever et se dire qu’on va pouvoir faire le métier dont on rêve et en faire vivre sa famille, c’est une grande chance. »

🎓Une formation ? 

La formation au dessin semble aujourd’hui être obligatoire. Et peut-être en a-t-il toujours été ainsi. François Schuiten a étudié à l’Institut Saint-Luc à Bruxelles, qu’il considère comme étant « les prémisses des écoles de BD ». Pour Hervé Tanquerelle, ce sera trois années d’études d’art à Emile-Cohl, « où j’ai eu la chance d’avoir le dessinateur Yves Got (Le Baron Noir, avec Pétillon) en professeur. « J’avais fait ces études pour avoir un bagage technique qui me permette de travailler dans le dessin. Je voulais avoir une palette suffisamment large pour pouvoir travailler pour des clients différents. Mais avec toujours, en ligne de mire, la bande dessinée. »

Pour Claire Fauvel, des études d’Illustration à l’École Estienne, puis de cinéma d’animation à l’école des Gobelins à Paris. Et pour Anne Montel, un parcours artistique varié. « J’ai intégré un cursus Arts appliqués en lycée public. Ça a été une grande chance pour moi, car j’ai découvert cette section par hasard, et ce fut vraiment la base de toute mon éducation artistique. J’ai adoré mes études. » Vient ensuite un BTS Communication Visuelle à l’ÉSAA Duperré à Paris. Puis une année de FCIL illustration/BD à Paris, « qui a été une année de transition entre la fin de mes études et mes débuts dans la vie professionnelle. Il n’y avait pas beaucoup de cours et je n’y ai pas vraiment sué sang et eau, mais cela a eu le mérite de me forcer à faire de la bande dessinée, chose qui ne m’intéressait alors pas du tout. J’ai même eu l’occasion de gagner un prix grâce à la participation au concours « Jeunes Talents » du festival d’Angoulême, avec ma toute première planche de BD. À partir de là, ayant échoué l’entrée aux arts déco pour la seconde fois, j’ai décidé de me lancer. J’aurais pourtant adoré à ce stade de ma vie avoir des cours sur la pratique artistique, la narration, l’édition… J’avais 21 ans. » Mais « Du lycée jusqu’à la fin de mes études, j’ai eu la chance de rencontrer des professeurs formidables, enthousiastes, passionnés, parfois très extravertis, mais aussi très bienveillants. Ils m’ont ouvert les yeux sur la multiplicité des métiers qui existent autour de l’art visuel. C’est vraiment ça qui m’a plu, adapter l’art à l’industrie. Je pense que je n’aurais pas été heureuse dans des études artistiques « pures » genre fac d’Arts plastiques ou Beaux Arts. J’en suis un petit peu sortie en me dirigeant vers l’illustration, mais je dispose d’un bagage vraiment précieux pour aborder chacun de mes projets grâce à ces études. »

Contrairement aux scénaristes, les dessinateurs ont donc, souvent, un diplôme, mais toutes sortes de diplômes peuvent amener à dessiner un album de bande dessinée.

📚Premières publications.

À l’époque de la jeunesse de François Schuiten, dans les années 70, publier, c’était d’abord publier dans des magazines. « Je suis un peu un cas particulier parce que j’ai commencé très jeune », se souvient-il. « J’avais 16 ans quand j’ai publié ma première histoire dans Pilote. Je ne conseille pas de commencer si jeune, d’ailleurs. C’est bien d’avoir un peu de bagages avant d’arriver à la BD. Et puis, il faut remettre les choses à leur juste échelle : il y avait une édition belge de Pilote, c’est dans cette édition que j’ai été publié. Puis vers 19-20 ans j’ai été publié dans Métal Hurlant, puis dans A Suivre. C’était deux revues ambitieuses formellement, visuellement, conceptuellement. C’était une chance d’avoir des supports derrière moi comme cela : ça vous forme, ça vous aide à grandir. Tout cela date d’il y a 40 ans, c’était un autre contexte, un autre monde. Mais cette époque avait beaucoup d’avantages. Elle permettait d’apprendre son métier dans les revues, donc d’avoir une première expérience d’impression et des retours du public, avant l’expérience de la publication en livre, qui est différente. On apprend plus vite quand on est soumis à des regards aussi différents. Et financièrement, on était payé par la revue, et ensuite par des droits d’auteurs. Ça rendait ces métiers totalement vivables, on pouvait vraiment envisager une carrière. »

Vingt ans plus tard, c’est également dans des magazines que Hervé Tanquerelle fait ses premières armes, mais des magazines amateurs, sans les moyens des revues prestigieuses cités précédemment : les fanzines. « Après mes études, je faisais de la BD dans des fanzines, et à côté je travaillais dans des boites de com, je faisais des affiches, de la pub… Ma première publication hors fanzinat s’est faite à L’Association, en 1998. C’était un petit livre de 20 pages, La Ballade du Petit Pendu. J’avais 26 ans, et la découverte de la nouvelle BD des années 90, avec l’arrivée des éditeurs indépendants, a été une claque pour moi. J’ai découvert cette BD autre que la BD classique, et j’ai voulu faire partie de ce mouvement. » Mais c’est la rencontre avec le scénariste Hubert qui sera déterminante. « Il avait vu mon travail dans le fanzine nantais le Transbordeur, et m’avait proposé cette collaboration. Ça me branchait bien, et puis j’attendais aussi ça : j’avais une difficulté à écrire des histoires, mais je sentais que graphiquement, je commençais à être capable de faire quelque chose de professionnel, donc j’étais ravi qu’un jeune scénariste vienne me proposer quelque chose. Hubert avait déjà un pied dans le milieu, vu qu’il était coloriste. Avec lui, on a démarché tous les gros éditeurs possibles, avec notre projet Le Legs de l’Alchimiste. » Glénat dit oui au projet. « Il y avait chez eux à cette époque l’envie d’aller chercher des auteurs différents de ceux qu’ils avaient dans leur catalogue, des gens représentatifs de la nouvelle BD, un peu différents graphiquement. En parallèle, Joann Sfar est entré en contact avec moi après avoir vu mon travail en cours sur le Legs et m’a proposé de reprendre Professeur Bell. »

« J’avais 2 livres publiés. Je pense que je me suis sentie réellement professionnelle à partir de là. »

Une quinzaine d’années après les débuts d’Hervé Tanquerelle, Claire Fauvel et Anne Montel arrivent elles aussi dans le jeu. Les temps ont changé, mais envoyer dossiers et books aux éditeurs est toujours un passage obligé, et les rencontres sont aussi, souvent, des moments déterminants.

« Après l’école, j’ai travaillé un an et demi pour un studio de dessin-animé, Ankama », explique Claire Fauvel. « C’était un travail artistique stable et salarié, qui me rassurait. Malgré tout, mon envie de raconter des histoires ne m’a pas quittée, et c’est à ce moment que j’ai commencé à écrire mes premières BD, en parallèle de mon travail dans l’animation. Je ne connaissais rien au monde de la BD et j’ai envoyé mes projets au hasard par la poste à tous les éditeurs possibles. J’ai eu la chance qu’un de mes projets soit accepté par les éditions Casterman. C’est devenu ma toute première BD, Une saison en Égypte. Pour la réaliser, Casterman m’a proposé une avance sur droit qui me permettait de vivre pendant un an. J’ai donc pris mon courage à deux mains, j’ai quitté mon C.D.I. dans l’animation pour me lancer à plein temps dans la BD ! »

« J’ai commencé par constituer un book avec divers travaux scolaires et personnels, et j’ai envoyé ce book à un grand nombre de maisons d’édition jeunesse ainsi qu’à la presse », raconte de son côté Anne Montel. « Je suis allée également rencontrer les éditeurs sur leurs stands au salon de Montreuil. Les retours étaient dans l’ensemble plutôt positifs ! Si je suis quelqu’un qui manque terriblement de confiance en soi, quand il s’agit de mon travail je gagne un peu plus d’assurance et je n’ai jamais eu peur de montrer mon travail. Je me lançais dans la bande dessinée, avec Loïc Clément : mes planches primées à Angoulême l’avaient inspiré, et il a scénarisé alors sa première BD : Shä et Salomé. Ce fut notre tout premier livre publié, c’était en 2011. Un an après un premier rendez-vous, Didier jeunesse me rappelait pour signer mon premier album jeunesse : Le Crafougna. En 2012 j’avais 2 livres publiés. Je pense que je me suis sentie réellement professionnelle à partir de là. »

🎨Style uniques ou multiples

Le style de François Schuiten, est reconnaissable entre mille même dans un album de Blake et Mortimer. « Et pourtant, “je n’ai pas tellement essayé de me démarquer », raconte-t-il. « J’ai essayé d’exister, de faire de mon mieux pour être à la hauteur de ce que je voulais faire dans mon travail. Pour moi, la plus importante compétence pour un auteur de BD, c’est d’être un créateur de monde. Créer un monde cohérent, crédible. Beaucoup des livres que j’ai faits ont tourné autour de ça. »

« Chaque BD que je fais est un défi », soupire Claire Fauvel. « J’essaie de retranscrire au mieux ce que j’ai en tête, avec plus ou moins de succès. Je me heurte souvent à mes faiblesses en dessin, ou en narration. Je suis rarement satisfaite d’un album terminé. Et je compare sans cesse mon travail aux autres BD que je lis, et à toutes les formes d’art en général qui me plaisent. C’est à la fois terrifiant et ultra motivant de voir tout le chemin qu’il me reste à parcourir ! »

Les choix techniques, en bande-dessinée, sont également importants, et les dessinateurs n’hésitent pas à expérimenter. Hervé Tanquerelle, va très loin à ce niveau. « Je suis quelqu’un d’assez versatile comme dessinateur, je n’ai jamais réussi à me poser », constate-t-il. « Déjà, parce que c’est plus amusant, plus excitant de faire ainsi. Et aussi parce que graphiquement, je peux me permettre d’aller vers des choses très différentes. Il y a peut-être derrière cela une volonté de ne pas me reposer sur mes lauriers. Mais je n’ai jamais cherché à coller à un style qui marchait. Souvent, je commence avec une idée précise, et ensuite, ça bouge, ça se construit en fonction de mes envies d’un côté, et de mes capacités de l’autre. Et il y a aussi le choix du matériel qui va déterminer énormément le graphisme. Entre dessiner à la plume ou au crayon gras, ça va changer forcément le style. La plume est ce que j’utilise le plus. Mais je vais utiliser le lavis pour Groenland Vertigo, le crayon gras pour Les Voleurs de Carthage (je trouvais que ça donnait un effet poussière, un peu sale, qui correspondait bien à l’univers du péplum, et me rappelait les vieilles gravures de Salammbô de Flaubert), la plume pour le Dernier Atlas parce que c’est un univers qui a besoin d’une forme de crédibilité, et donc d’un dessin beaucoup plus simple et réaliste… J’ai des lecteurs très différents selon mes livres, je le vois en festival. Ceci dit, quelque chose qui revient souvent dans ce qu’on me dit : j’ai apparemment une certaine capacité à incarner les personnages, à leur donner vie, à leur donner une dimension autre que celle de personnages de papier. »

« On n’a jamais fini d’apprendre, et justement, c’est pour cela qu’il faut du temps. Pour se réinventer et se confronter au réel, à l’observation. Remettre en question son dessin. »

« Pour moi, ce qui fait qu’un auteur va se démarquer d’un autre, c’est sa sincérité », reprend Claire Fauvel. « J’aime les auteurs qui livrent sans tabou leur vision du monde, leurs fantasmes, leurs angoisses, bref, mettent toute leur âme dans les albums qu’ils font ! »

« J’utilise toujours la même technique pour mes illustrations, que ce soit pour la BD ou les albums jeunesse », explique Anne Montel. « Je n’ai jamais cherché à me démarquer d’une manière ou d’une autre, en tout cas pas volontairement. J’essaie de vraiment suivre mes envies profondes plutôt que de suivre un courant, j’imagine que c’est un peu une manière de ne pas se fondre dans la masse… Bien sûr je suis tout de même influencée par le travail des autres. Nous le sommes tous. Mais j’essaie au maximum de suivre ma propre voie.»

« J’ai toujours essayé de coller à ce que j’avais dans la tête, parfois sans jamais y arriver », constate François Schuiten. « Je ne suis pas à la hauteur du dessinateur que j’aurais voulu être. J’aurais voulu avoir l’aisance de Mœbius, dessiner les corps comme Cuvelier, graver comme Rembrandt… On est admiratif d’un ensemble de pairs, on essaye de se rapprocher d’eux, tout en sachant tout ce qui nous en sépare. On n’a jamais fini d’apprendre, et justement, c’est pour cela qu’il faut du temps. Pour se réinventer et se confronter au réel, à l’observation. Remettre en question son dessin. C’est le plus dur. On a parfois des lâchetés graphiques. On n’arrive pas à se remettre à la hauteur. C’est le danger. Il faut se remettre en tension.»

⚙️Devenir professionnel 

« J’ai d’abord passé deux ou trois ans comme professeur, puis je me suis rendu compte que je pouvais en vivre », se souvient François Schuiten

« Au début, j’ai continué à faire d’autres boulots à côté, des choses très différentes graphiquement, se souvient Hervé Tanquerelle. Mais au bout d’un moment, la BD me prenait tout mon temps. Je n’ai pas le souvenir de m’être dit « j’arrête les travaux alimentaires », mais c’est juste que je n’avais pas le temps, donc petit à petit j’ai commencé à refuser les commandes qu’on me proposait pour me consacrer davantage à la BD. Je me suis retrouvé à enchaîner les albums, parce que financièrement, il faut enchaîner les albums pour vivre de ce métier. »

Une leçon que Claire Fauvel a elle aussi apprise, mais à la dure. « À la fin de ma première BD, je ne m’y étais pas pris suffisamment tôt pour développer un second projet. J’ai passé de longs mois à élaborer un nouveau projet qui a finalement été refusé par mon éditeur. Ça a été un coup dur pour moi. J’avais dilapidé toutes mes économies faites grâce à l’animation et je me suis retrouvée avec de grosses difficultés financières. Mais il était hors de question de baisser les bras et j’ai travaillé à un tout nouveau projet. Celui-ci a heureusement été accepté par mon éditrice, il allait devenir Phoolan Devi Reine des Bandits. Au même moment les éditions Rue de Sèvres m’ont proposé d’adapter en BD le roman La guerre de Catherine. Après des mois de galère j’ai accepté cette proposition et j’ai travaillé de front sur ces deux albums ! »

À suivre Partie 2 : Être dessinateur en 2019

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Illustration Principale : ©
François Schuiten
(extrait de l’affiche Festival de la BD d’Angoulême – 2003)

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