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par Elsa - le 12/11/2013
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par Elsa - le 12/11/2013

Quai des Bulles 2013 : l'interview de Mikaël Bourgoin (Blue Note)

Blue Note est une excellente bande dessinée. Une histoire riche, une écriture prenante, et un dessin superbe. J'avais déjà eu l'occasion de vous en parler dans ma critique

Blue Note s'annonce comme un dyptique où se croise deux destins, dans l'immensité de New York, à quelques jours de la fin de la Prohibition. Le premier tome met en scène Jack, boxeur à la retraite qui accepte de revenir en ville pour un dernier combat.

Au programme, des scènes de combats grandioses mais surtout ces instants suspendus où le héros trouve l'apaisement dans la musique. Les meilleurs jazzmen se produisent dans les clubs tenus par des gangsters, et Jack Doyle doit accepter ces crapules qu'il déteste pour savourer ces moments précieux.

Cette bande dessinée est un vrai bijou qu'il serait dommage de laisser passer.

Mikaël Bourgoin, son dessinateur, était présent au festival Quai des Bulles et a répondu à nos questions.

Peux-tu te présenter, et nous raconter ton parcours ?

Je m'appelle Mikaël Bourgoin, je suis né en 1982, le 9 septembre pour être exact. Après un brevet de technicien dessinateur-maquettiste à la place d'un bac normal, je suis allée faire une école qui s'appelle Emile Cohl sur Lyon pendant 4 ans. Après ça j'ai commencé à démarcher dans le milieu de la bande dessiné. Et j'ai principalement travaillé dans la bande dessinée et en illustration.

Comment raconterais-tu Blue Note ?

C'est l'histoire d'un jazzman et d'un boxeur qui ne se connaissent pas, qui vont évoluer dans la même ville, le même milieu, sans jamais vraiment se rencontrer, dans une ville aux États-Unis dans les années 30.

Comment vous êtes-vous rencontré avec Mathieu Mariolle et comment s'est apssé votre travail ensemble ?

Mathieu travaillait à l'époque sur un album qui s'appelle Shangai, qui est sorti chez Drugstore, avec Yann Tisseron au dessin. Et Yann est un ami, donc je l'ai rencontré par ce biais. J'ai officié sur les story boards de Shanghai, sur les deux premiers tomes. J'ai aidé Yann sur quelques petits trucs pour la fluidité de narration. De fil en aiguille, avec Mathieu on a commencé à parler, et il m'a proposé qu'on travaille ensemble. Je faisais de la peinture, j'avais un peu arrêté les bd. On a commencé à papoter ensemble régulièrement, ce que je voulais faire, les ambiances que j'avais envie de dessiner. Petit à petit on a vraiment monté l'histoire en fonction de ce que je voulais raconter, de comment on voulait raconter. Se mettre vraiment d'accord sur le ton de l'album qu'on allait faire. Petit à petit le projet s'est monté comme ça.

Et a-t-il ensuite écrit tout le scénario, que tu as dessiné ensuite ?

Non, on a vraiment fait un travail de collaboration sur le scénario. Je montais souvent sur Paris chez lui pendant quelques jours. On échangeait beaucoup, on écrivait des pages et des pages, puis un de nous remettait ça au propre, puis l'envoyait à l'autre, qui rebondissait dessus, renvoyait de nouvelles idées. On a fait un gros ping pong comme ça avec l'histoire, pendant un an, un an et demi.

Blue Note est ancré dans une période bien précise, la fin de la Prohibition, as-tu effectué un gros travail de documentation ?

Il y a forcément un minimum de documentation pour que visuellement le lecteur sache qu'il s'agit de cette période. Après je ne suis pas un aficionado de la doc ultra précise. Il y a plein d'anachronismes dans Blue Note au niveau du dessin. Parce que ça n'est pas mon intérêt. Mon but n'est pas de faire une bd historique. Mon but, c'est de plonger le lecteur dans une ambiance à travers des dessins, à travers une narration, et à travers des dialogues. La documentation est importante, donc j'en ai collectée pas mal, pour moi me plonger dans cet univers-là et le retranscrire derrière. Mais ça n'était pas la partie la plus pointilleuse de la phase de recherche.

Plus techniquement, quels outils et techniques as-tu utilisé sur ce titre ?

C'est plus simple au niveau technique que ce que j'utilisais avant. Je faisais de l'acrylique. Mon premier projet était vraiment en peinture. Là j'ai voulu repartir sur quelque chose de simple. L'encrage noir et blanc et la couleur à l'ordinateur. Pour l'encrage, je travaille du Gesso noir. Il y a un côté peinture que j'aime bien, c'est plus proche de l'acrylique, et les noirs sont mats et très beaux. Et il y a un côté vraiment crémeux dans l'application même de la peinture qui me plait plus que l'encre de Chine, ça me permet plus de liberté finalement. Et après pinceaux, brosse et feutre.

Et justement, en début d'album tu expliques que les grands maitres du noir et blanc t'ont donné envie de faire un album encré. Est-ce que ça t'a parfois donné du fil à retordre, et t'a obligé à modifier des choses dans ton dessin ?

Modifier des choses...J'ai une évolution forcément comme tout dessinateur, mon dessin a évolué au fil des ans. Après, c'est surtout que je m'étais moi-même mis une grosse pression. Faire de l'encrage en bd c'est top, mais ça fait peur, parce qu'il y a tellement de mecs qui sont passés avant et qui ont fait des trucs magnifiques que ça me faisait vraiment peur de m'y coller. Et puis au bout d'un moment, j'ai assumé le fait de faire un album juste parce que j'avais envie de le faire comme ça. Mais j'ai remercié Toppi, Breccia, tous les autres, parce que j'ai eu une formation d'encreur à la base, que j'ai délaissé pour la peinture. Mais c'était vraiment mes premiers amours. Là je reviens à des choses qui m'ont bercées pendant mes années d'études.

Même si elle n'est pas le thème principal de ce premier volume, la musique occupe-t-elle une place importante dans le récit. Il y a une vraie musicalité dans ce titre. As-tu écouté beaucoup de musique en travaillant ?

Oui, j'écoute beaucoup de musique en travaillant. Pas forcément du blues, du jazz, de cette époque-là. J'en écoute aussi, mais j'écoute plein d'autres choses. C'est vraiment en fonction de mon humeur du jour. Donc ça peut aller du rock à la musique de film, de la trip hop au jazz ou au blues, ou a de la vieille soul des années 60. Plein de choses différentes.

Tu expliquais tout à l'heure que vous avez vraiment travaillé ensemble sur ce dont vous aviez envie de parler dans ce titre. Qu'est ce qui t'a particulièrement intéressé dans cette période-là ?

Visuellement déjà, c'est une période qui me branche, que je trouve belle. Nous, on présente vraiment une vision fantasmée de cette époque-là, parce qu'on ne l'a jamais vécue. On essaie de retranscrire l'époque telle que nous on l'imagine. Ça déjà c'est quelque chose que j'avais envie de dessiner. Et il s'est trouvé qu'au final cette époque collait vraiment bien avec les choses qu'on voulait raconter dans l'album. L'emprisonnement de Jack dans cet album est symbolisé en grande partie par les immeubles qui sont encore plus énormes qu'ils auraient pu l'être en vrai. Et la période de la Prohibition amène tout un système, notamment avec les gangsters qui ont la main mise sur tout, et qui permettaient aux bluesmen de vivre. Ce qu'on développera plus dans le deuxième tome. Cette époque collait vraiment avec ce qu'on voulait raconter là. Ça s'est mis en place naturellement au fil des discussions avec Mathieu.

Les personnages de Blue Note sont très charismatiques, les gangsters, Jack qui est pas mal abimé par la vie. Est-ce que c'est agréable et intéressant de chercher à dessiner des personnages qui ont tous des identités très fortes comme ça ?

Oui c'est sûr que c'est beaucoup plus intéressant que de dessiner quelqu'un de lambda, qui n'a pas de vie. Dessiner Tintin ça ne m'intéresse pas, je préfère dessiner le Capitaine Haddock, il est beaucoup plus intéressant. Moi ce sont les personnages forts qui m'intéressent. Déjà parce que leurs gueules, je les imagine vachement mieux, mais je peux les faire aussi jouer d'une manière plus précise s'ils ont une personnalité forte. Et ça permet aussi de créer une variété dans les personnages qui rend l'histoire intéressante.

Et as-tu visuellement travaillé tes personnages en amont ?

On a vraiment commencé à bosser avec Mathieu sur 'Quel est ce personnage ? Quelle est sa vie ? Qu'est ce qu'il a fait ? Pourquoi il agit comme ci ou comme ça ?'. De mon côté quand on pensait à ça, j'avais déjà un côté visuel qui me venait en tête. Par exemple Coburn, l'ami du personnage principal. Il a un peu une place de père pour lui. Et ce côté paternaliste, je l'ai ressenti très vite quand on a développé le personnage. Et après, j'aime bien, de temps en temps mais pas tout le temps, quand j'ai un acteur qui pourrait coller, je m'en inspire. Et là c'est Jean Gabin qui pouvait coller naturellement. Le côté visuel je l'ai eu depuis le départ, mais je l'ai travaillé plus tard, en général.

Pour créer l'univers, l'ambiance de Blue Note, y'a-t-il des films, des livres qui t'ont inspirés ?

Quelques films comme De l'Ombre à la Lumière, Raging Bull pour la boxe. New York Crossing pour l'époque. Les Sentiers de la Perdition. Bird de Clint Eastwood. Plein de choses différentes. Mais c'était plus pour voir comment d'autres avaient traité ce milieu, ou les thèmes qu'on voulait aborder. Après finalement, on a essayé d'éviter les influences directes, de ne pas être trop assujetti à ce qu'on avait pu lire ou voir, pour ressortir quelque chose de personnel. Parce que le problème d'une influence, c'est qu'il faut arriver à la digérer rapidement, sinon elle prend le pas sur ce qu'on a envie de dire et de faire.

Et comment as-tu travaillé ta colorisation, qui apporte notamment beaucoup à la musicalité de l'album ?

Alors la couleur a pris beaucoup de temps à se mettre en place. Au départ je voulais faire cet album en noir et blanc. En discutant avec les éditeurs, on a décidé de le faire en couleur, et je n'avais pas prévu de faire une couleur comme ça si j'en faisais une. J'ai mis pas mal de temps à trouver un équilibre entre l'encrage, les noirs d'encrage, et la dose de couleur à mettre. Parce que si on en met trop, ça fait trop chargé, si on n'en met pas assez, ça donne une impression de pas fini. Du coup il y a eu un bon moment de dosage. Au final, je suis arrivé sur une couleur assez simple, à l'ordinateur, qui me permet d'aller vite, de faire des changements s'il y a besoin d'en faire, sans que ça pose trop de problème par rapport à un travail à la main qui peut être beaucoup plus fastidieux.  

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