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par Elsa - le 17/10/2014
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par Elsa - le 17/10/2014

Quai des Bulles 2014 : Marion Montaigne (Tu mourras moins bête), l'interview

Sur son blog Tu mourras moins bête, Marion Montaigne démystifie la science et ses mystères avec beaucoup d'humour et de pédagogie. Adaptés en bd, d'abord chez Ankama pour les deux premiers volumes, puis chez Delcourt pour le troisième opus qui vient de paraitre, ses strips explorent le corps humain, pointent la manière dont le cinéma a tendance à déformer la réalité, et traitent de nombreux autres sujets tous plus passionnants les uns que les autres.

Marion Montaigne était présente au festival Quai des Bulles. Elle nous en dit plus sur son parcours, la manière dont elle travaille sur ses notes, et le dessin animé Tu mourras moins bête, qui devrait être diffusé à la rentrée prochaine sur Arte.

Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?

Au collège, j’aimais bien les cours de bio. Mais je n’en ai pas fait ensuite, parce que le bac S abordait les sciences de manière globale. Moi il aurait fallu que je ne fasse que de la bio.

J’ai fait du dessin. J’ai pas mal tâtonné à ce niveau-là. J’ai fait des ateliers bd, des petites bd chez moi, mais je n’osais pas me dire que je pouvais faire de la bd. 

Donc j’ai fait de l’art, et petit à petit je me suis spécialisée. J’ai été à Estienne, où j’ai fait préparation des métiers du livre. On faisait de la reliure, de la gravure, de l’illustration, vraiment l’objet. Puis j’ai présenté le concours des Gobelins, pour faire dessinatrice de dessin animé. Finalement c’était probablement ce qui se rapprochait le plus de la bd sans vraiment en être, tout en étant un métier ‘sérieux’ alors que la bd n’est pas toujours considérée comme un métier à part entière.

J’ai donc appris le métier du dessin animé, mais tout en dessinant énormément à côté. J’ai un peu travaillé dans l’animation, mais ça ne me plaisait plus trop… et je suis devenue libraire bd.

Au bout d’un moment il a bien fallu se dire que je tournais toujours autour du pot. Donc j’ai commencé à présenter mon travail, à faire des planches, et comme j’avais toujours ce côté bio qui ne me quitte pas, parce que je trouve ça fascinant, je me suis mise à raconter en petit article ce que je lisais à droite à gauche, avec une sorte d’alter ego complètement ambigu.

Et petit à petit ça a bien marché. Je pense que les gens aiment bien apprendre des trucs. Et puis c’est assez trash sans les prendre pour des idiots, en ne se mettant pas sur un piédestal. Parce que, je ne parle pas des chercheurs, mais en France on aime bien être intello. Quand on a le savoir, on aime bien le faire sentir aux gens et utiliser un vocabulaire inaccessible.

Je n’aime pas ça, c’est vraiment frustrant de se dire ‘Il y a une information passionnante, mais j’ai juste une andouille en face qui veut me remettre à ma place’.

Je trouve que l’humour permet une familiarité. Comme si j’étais à table et que je racontais un truc.

Aviez-vous déjà l’idée du livre en ouvrant le blog ?

Non. Je lisais beaucoup, je me documentais beaucoup. Sur tout. Et des fois j’avais des infos que je trouvais passionnante, et je ne savais pas quoi en faire. Je les mettais toujours de côté, et à un moment j’ai voulu créer un personnage qui explique ça.

Qui dit « Vous vous rendez compte, un bathyscaphe ça va à onze mille mètres sous l’eau ». Je ne pouvais pas m’en empêcher, juste un personnage qui explique les choses de manière simple.

Et quand j’en ai eu plusieurs , je ne savais pas quoi en faire. Ce n’était pas assez cohérent pour le présenter à un éditeur.

En le mettant sur un site, j’ai commencé à avoir des retours, voir ce qui marchait le mieux… ça s’est organisé tout seul et petit à petit. J’ai pu proposer aux éditeurs un truc qui à la base tâtonnait, et qui finalement faisait comme un magazine, avec plein de news. Le blog lui a donné une ligne directrice, un univers.

Je n’y croyais pas au début. Quand je vois les premiers que j’ai fait… je me suis un peu améliorée.

Du coup, le blog a permis de faire évoluer le concept ?

Oui. J’ai rencontré des chercheurs entre temps, j’ai plus des réflexes de vérifications. Je sais mieux ce qui marche, ce qui marche pas, ce qui est difficile à expliquer ou pas. Je sais mieux où chercher les infos. Je sais les blagues qui sont un peu nulles, un peu faciles. On se rode.

Mais c’est ça qui est bien. Je l’aurais amené comme ça à un éditeur, je n’aurais peut-être pas amené un truc aussi trash, j’aurais voulu faire bonne élève. Sur un site internet on s’en fiche.

C’est quelque chose que je faisais à côté de mon travail, c’était un peu un défouloir, la cour de récré. C’est là qu’on donne le meilleur de soi-même.

Tandis que si j’avais fait ça pour un éditeur, je me serais dit « Ah non, je ne peux pas faire ça, il va dire que c’est dégueulasse. » Et là, après coup, comme il voit que ça a marché, il ne peut pas dire non. C’est le bon côté du blog, c’est du boulot mais je pense qu’on y gagne à ce niveau-là.

Comment se passe votre travail sur une note ?

C’est assez long.

Je lis régulièrement des choses sur internet. Ne serait-ce que pour me donner des idées de thèmes à aborder. J’ai plus de facilité pour ce qui est de la biologie et de la médecine. De fait, les gens ont tous un corps, une santé. C’est plus facile d’attirer leur attention là-dessus que sur la théorie des cordes à 8 heures du matin. Je sais que leur parler de l’hygiène dans les lavabos publiques ça va plus les intéresser qu’un truc de physique quantique.

Donc je regarde tout ce qui se fait, les news, et quand un truc me plait, je me dis que je vais aborder ce thème-là.  Puis je me documente, j’essaie de lire des livres, de voir les bibiliographies, de recouper. Prendre un thème général.

Par exemple si je veux faire un truc sur les piétons, je peux aller dans plusieurs directions. Il y a de la socio-psychologie, de la psychologie sociale, de la psychologie des foules. Il y a des gens qui simulent les mouvements des foules. Dans les métros on met des poteaux à certains endroits pour diviser les foules, pas parce que ce sont des murs porteurs mais parce que comme ça on se bouscule moins. Par extension on peut faire un truc sur les pieds, sur les orteils… 

Je vais d’un truc à l’autre, je regroupe les infos, et après ça part en sucette.

Après je réfléchis aux gags, comment les recouper.

J’ai une mémoire un peu nulle, concernant les visages etc, mais en revanche je peux me souvenir d’un vague article que j’ai lu dans tel truc si j’ai besoin, et je peux le retrouver.

Et au bout d’un moment je me mets à dessiner. Mais entre temps j’ai accumulé plein de choses.  Bon là je suis un peu en retard…

Est-ce qu’il y a un sujet que vous avez très envie d’aborder, mais que vous n’avez pas encore traité ?

Non, c’est surtout est-ce que j’aurais le cran ?

Déjà, je me dis qu’il y a plein de domaines qui doivent être super intéressants mais c’est juste que je ne les connais pas. Il y en a tellement.

Sinon, on m’a proposé plusieurs fois de faire une autopsie. Je me dis que ça serait très intéressant, mais d’un autre côté je ne sais pas comment je réagirais. Parce que je peux voir beaucoup de choses mais l’odeur, je ne sais pas…

Ça, une opération, je trouve ça passionnant…

Je pense qu’on apprend plein de choses, que ça aussi ça peut intéresser les gens. Parce qu’on voit beaucoup d’experts, on se pose plein de questions là-dessus. C’est toujours un peu crado, mais au fond les gens adorent, parce que ça répond quand même à des inquiétudes qu’on a tous. 

Je vous reparlerai des tératomes quand ça ne sera pas l’heure de manger…

Mais pour les sujets, des fois ça me tombe dessus. Comme aller faire un vol parabolique. Je n’avais pas pensé à ça et c’est un coup de chance, en connaissant les gens du CNES etc.

En fait, je suis sûre que les meilleurs trucs à faire, je ne les connais pas encore. 

Et justement, vous rencontrez de plus en plus de professionnels. Comment ça se passe ?

Ça s’est fait petit à petit. Au début je travaillais toute seule, et puis lors d’une dédicace, un physicien m’a proposé des me faire faire une visite.

Ce sont eux qui se manifestent. Ou quand j’aborde un thème, certains m’écrivent après coup, ou viennent m’en parler en dédicace.

Il faudrait que j’en refasse. Mais le temps de trouver un créneau, d’y aller parce que ça n’est pas toujours tout près. De comprendre. Puis faire les planches assez vite parce qu’il y aura tout un temps de latence où ils le lisent, le valident. Et souvent ils le font lire à leur directeur de thèse parce qu’ils sont rattachés à des labos et il ne s’agit pas de dire n’importe quoi.

Par exemple, quand on parle de l’Institut Pasteur, il faut faire attention. C’est quand même un labo qui est au milieu d’une ville, on ne va pas dire « Il y a des virus qui s’échappent par la cheminée. » C’est rigolo, ça nous fait tous marrer, mais les gens du XVème ça ne les fait pas rire.

Il y a des gens qui ont de l’humour mais d’autre non, donc il ne s’agit pas de mettre les deux pieds dans la soupe et de mettre le bazar.

Ça n’est jamais méchant, ce sont des petits trucs. Et si je me suis trompée dans mes notes, c’est bien de leur faire relire.

Et puis souvent ce sont des gens qui ont appris à être très exacts dans leur travail. Et moi je viens avec mes gros sabots et je démolis tout. Il faut qu’ils prennent sur eux. La particule machin, ils acceptent que je la dessine comme Angelina Jolie. Il faut une certaine ouverture d’esprit.

Vous parliez tout à l’heure des personnes qui mettent une distance. Est-ce qu’ils prennent bien le fait de vulgariser la science ?

Je pense que ceux qui n’aiment pas ne lisent pas. Ceux qui m’invitent aiment bien, souvent ce sont des jeunes, qui ont mon âge.

J’ai rencontré des chercheurs qui ne comprennent pas. Ils ne voient pas pourquoi rendre la science marrante alors que ça ne l’est pas. D’autre trouvent ça bien de démystifier et d’expliquer leur métier.

Ils sont assez indulgents en général. Quand je me trompe, ils m’envoient un mail pour me dire où je me suis trompée, ou me conseillent un article à lire. Mais ils ne sont jamais méchants à me dire « Mais pour qui vous vous prenez ? On ne dessine pas un proton avec une jupe ! »

Et plus globalement, avoir un blog provoque une rapport beaucoup plus direct et instantané avec vos lecteurs. Est-ce que ça se passe bien ?

Surtout, je me suis rendue compte que ça touche un public qui n’est pas forcément amateur de bd. Des fois en dédicace, il y a des gens qui lisent mon blog, mais c’est la première fois qu’ils entrent dans une librairie spécialisée BD. On touche à un plus large public.

Et après c’est vrai que c’est un autre rapport au lecteur. Par exemple, je ne publie pas après 12h. Parce que je sais, dans la fréquentation, que les gens lisent de 8h à 10h, et un peu après manger. Mais après 17h j’ai des plaintes, ça n’est pas pareil. Ça correspond à un rythme quotidien.

Mais je ne réfléchis quand même pas trop à tout ça, j’essaie de faire un truc qui me fait marrer, ceux qui aiment lisent.

Dans le rapport au lecteur, ça va. Parce que je ne parle pas de ma vie. Quand on me remonte les bretelles, c’est plus sur des faits scientifiques, des faits extérieurs à moi. Donc je ne le prends pas mal, je trouve ça normal. Et des fois je mets des erratum, certains commentaires complètent les choses.

Après il y en a qui ne comprennent pas du tout l’humour. J’ai déjà eu un psychologique, je crois que c’était la critique la plus virulente, qui disait ‘C’est complètement débile de dire que Picsou s'est arrêté au stade anal parce qu’il n’a pas de pantalon.’ Bah oui, c'est une blague… 

Vous parliez de votre parcours. C’est vrai qu’au niveau scolaire comme au niveau culturel, il y a les sciences d’un côté, l’art de l’autre. Est-ce que ça a été difficile de choisir l’un et de s’éloigner de l’autre ?

Au lycée ? Le lycée c’est complètement psychopathe et schizophrène.

Moi ça a été assez dur. Je trouve que c’était une période très angoissante. On nous mettait pas mal la pression. Il ne fallait pas être bon, il fallait être extrêmement bon. J’avais toujours cette inconnue : est-ce que j’aurais réussi à ce niveau-là ?

C’est surtout qu’en France on n’a pas le droit de se tromper. On doit faire le bon choix, et on doit le faire très jeune. À 16-17 ans, on doit déjà savoir ce qu’on fera plus tard alors qu’aujourd’hui encore je découvre des métiers.

Je trouve ça assez cruel de devoir faire des choix comme ça. Heureusement que j’avais le dessin, mais je ne savais pas trop ce que j’allais faire.

On devrait avoir un peu de temps pour se planter, faire marche arrière. Essayer, avoir plus le choix.

Est-ce que vos recherches, notamment quand vous parlez des incohérences dans les films, ne vous gâchent pas justement le plaisir, quand vous regardez des films etc ?

Je suis insupportable. Il ne faut pas aller au cinéma avec moi, je n’arrête pas de parler, même si je me retiens. Ça fait un peu prétentieux mais… Grey’s Anatomy ce n’est plus possible. Surtout depuis que je connais un médecin urgentiste. C’est vrai que c’est pénible.

Mais j’aime bien chercher la petite bête, les erreurs dans les films. Mais ce n’est pas bien. Ça peut être un peu tâtillon, il faut parfois se laisser prendre au jeu.

Mais ce que je n’aime pas c’est quand on nous fait croire que c’est beau quand c’est moche. Comme si la vie était une pub. Dans Les Experts, ils sont censés tripoter des morts. Et la cow girl, elle est jolie, on dirait qu’elle est évanouie.

N’empêche qu’ils ont eu beaucoup de gens qui se sont présentés pour devenir expert en gendarmerie. Ce qu’ils leur montrent pour les remettre tout de suite dans le bain, c’est des photos de gens qui se sont pris des balles.

D’ailleurs, si vous voulez vraiment voir la réalité, j’ai un entomologiste que j’ai mis dans le tome 1 qui m’a envoyé son livre, Damien Charabidze. C'est rigolo on s'est échangé nos livres. Sauf que le sien s’appelle Insectes, cadavres et scènes de crime. Il y a des photos très intéressantes, et vous verrez que Horatio, vraiment, il se fout bien de notre tronche. Parce que c’est VRAIMENT moche.

Je trouve que c’est grave. C’est comme les armes à feu. j’ai pu tirer avec une arme à feu avec un policier, et c’est d’une violence… Je n’ai pas du tout aimé, j’ai eu du mal à m’endormir ensuite.

C’est juste une explosion pour tuer des gens. On ne s’en rend plus compte maintenant. Il y en a dans les clips, ça a l’air cool. En réalité c’est lourd, ça pue, c’est gras, ça envoie de la poudre quand il y a un silencieux, ça vous explose dans les mains, ça éclate le poignet. C’est vraiment hyper violent et agressif.

C’est pour ça que je rappelle que si on vous tire dans un bras, oui ça peut faire des petits trous, mais ça peut aussi vous exploser tout le bras. Je n’aime pas qu’on nous fasse croire que tout va bien se passer.

C’est hyper schizophrène. D’un côté, on a super peur que les gens aient des accidents. On met dans les dessins animés des gamins qui portent des casques sur leurs vélos, ils ne font plus rien, même pas manger un bonbon. Et de l’autre on ne nous montre pas la réalité.

J’ai un instagram dégueulasse d’une anatomopathologiste qui montre des accidents. Et là je trouve que c’est plus efficace de voir quelqu’un qui a eu un accident et se dire « Oulaaa… Bon bah je vais mettre mon casque. » Plutôt que de voir des enfants qui portent leur casque en chantant.

Je dis trop de trucs horribles.

Pour en revenir au livre. Est-ce qu’il y a un gros travail pour adapter le blog au format papier ?

Ce qui est une grosse prise de tête, c’est de caser un blog qui est défilant, qui n’a pas de page, et faire un chemin de fer. Organiser ça.

Après il y a un bon gros travail de nettoyage, parce que je fais ça à côté de mon travail d’auteur. Du coup il y a certaines étapes de nettoyage que je zappe un peu. De la relecture, du rangement, du calage.

Et puis je mets aussi quelques inédits pour ne pas frustrer les lecteurs du blog. Donc là il faut recaler des inédits dans un nombre de pages qu’on ne connait pas encore.

Mais en le faisant régulièrement, ça se fait relativement vite.

Quels sont vos prochains projets ?

Là ça ne se voit pas, mais je suis en train de préparer des scénarios pour une adaptation en dessin animé. Normalement c’est sur Arte, à la rentrée prochaine, en 2015. Et je participe pas mal à sa fabrication parce que je ne veux pas qu’on édulcore. Pour une fois qu’une chaine nous dit qu’on peut garder nos trucs un peu de traviole... Quitte à ce qu’ils prennent Tu mourras moins bête, qu’ils gardent le côté ‘on y va franco’. Et on y va fort… Peut-être même beaucoup parce que ça sera à l’heure du repas.  Mais on essaie d'être le plus fidèle possible, donc il faut réécrire.

Et je fais aussi des trucs pour l’émission Personne ne bouge, je fais des planches pour leur site. Ça me donne un autre exercice à faire.

Mais ça serait bien que je retourne dans des labos, il faudrait que je fasse un appel à témoin.

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