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par Elsa - le 16/01/2015
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par Elsa - le 16/01/2015

Salon de Montreuil 2014, Florent Chavouet (Petites coupures à Shioguni), l'interview

Florent Chavouet est l'auteur d'une des plus jolies sorties de la fin d'année 2014, Petites coupures à Shioguni, un polar plein d'humour et d'énergie qui fait partie de la sélection polar à Angoulême

Il était présent au Salon de Montreuil, et a répondu à nos questions concernant son travail sur ce livre, de sa construction à ses couleurs, de ses envies à ses influences.

Comment résumerais-tu Petites coupures à Sioguni ?

Je dirais que c'est une histoire simple racontée de façon compliquée. Une histoire d'embrouilles, d'arnaques, qui prend des proportions un peu exagérées, même si je reste dans les limites. Il n'y a pas de morts, à part peut-être un gros félin.

Après, le fait que ce soit raconté de façon compliquée, c'est aussi parce que je voulais mêler différents niveaux de narration.

Il y a des pages de 'carnet', avec des lignes etc. Elles sont écrites à la main, rapidement, avec plein d'indices. Ça c'est la partie enquête, c'est une histoire que quelqu'un essaye de résoudre. L'histoire est aussi racontée à travers les témoignages des protagonistes, ce qui va avec l'enquête puisque ce sont les personnes interrogées par l'enquêteur. Et puis il y a des séquences beaucoup plus linéaires, qui sont un peu le prolongement des témoignages. Et qui sont donc plus 'simples'.

Ensuite, je ne sais pas si j'ai le sens du rythme, mais tout est coupé en jouant entre ces trois niveaux, et en y mêlant mensonges et contradictions, puisque chacun des personnages a son intérêt propre.

Ce sont des embrouilles dans l'histoire, et dans le cerveau aussi, je pense.

Comment est née l'idée de ce livre ?

De différentes envies.

De changer, déjà. Je trouve que j'avais bouclé la boucle avec Tokyo Sanpo et Manabé Shima. J'avais parlé de deux aspects du Japon qui sont en miroir, la ville et la campagne. Après, c'est déclinable, c'est sûr. Mais c'est peut-être pour ça que je voulais changer, c'est déclinable à l'infini. D'ailleurs je ne dis pas que je n'y reviendrai pas. Après tout, ça me manque un peu...

Enfin bref, j'avais envie de changer, de me prouver que j'étais capable de raconter une vraie fiction, où pour le coup j'inventerais tout, que ce soit l'histoire, les situation, les personnages, mais aussi le décor. Mais que ça reste plausible en même temps.

Il y avait aussi l'envie de dessiner la nuit, des paysages urbains nocturnes. Une envie vraiment graphique.

Du coup je me suis dit que puisqu'il y avait la nuit, la fiction... ce sont des raccourcis un peu simples, mais je suis sûrement très simple, je me suis dit que j'allais essayer de faire une espèce de polar, un truc avec des yakuzas. J'avais envie de dessiner des petites gargottes, comme toujours en fait, avec des personnages un peu populaires. Mettre des flics. Reprendre certains codes du polar, sans savoir si j'allais vraiment en faire un.

Et puis comme je voulais faire une transition avec ce que je faisais avant avec mes carnets de voyages, garder ce côté carnet, avec l'enquête. Penser le livre en tant que l'histoire qu'il contient, mais aussi en tant que l'objet lui-même.

À un moment donné, je ne sais pas si j'y arrive vraiment, mais j'aurais aimé qu'on se dise 'J'ai le vrai carnet dans les mains, je vais agrafer ça parce  qu'il a dit ça, etc'. J'ai toujours un peu cette idée derrière la tête. Peut-être qu'un jour je la pousserai un peu plus loin. J'aimerais bien faire un 'livre dont vous êtes le héros', repensé évidemment. On en très loin dans cette bd, mais c'est quelque chose que j'avais envie de développer.

C'est aussi pour ça que j'aime les cartes. Je n'en ai pas mis tant que ça dans le bouquin, deux, et des petits croquis vite fait. La carte permet de faire soi-même son chemin, d'essayer de comprendre. Quand il y a des courses poursuites, trouver quel chemin ils ont pris etc. Même si ça n'est pas important pour le déroulement de l'histoire, on visualise mieux, ça gagne un peu en crédibilité, on se rend compte qu'ils n'étaient pas loin de telle autre chose.

J'aimerais pousser le truc un peu plus loin. Ça sera peut-être l'objet d'un autre bouquin.

Comment s'est passé ton travail d'écriture sur ce titre ?

Comme c'était ma première fois dans l'univers de la fiction, c'était laborieux.

J'ai commencé par le scénario. Une de mes hantises, c'était d'avoir un début d'histoire, de me précipiter à le dessiner, et de me rendre compte ensuite que je devais tout redessiner parce que ça n'irait pas. J'ai patiné sur l'histoire une bonne année.

Il y a quatre ans entre Manabé et ce livre-ci. Mais ce ne sont pas quatre ans consacrés exclusivement à ce livre. C'était assez décousu comme méthode de travail, ça a un peu compliqué les choses.

J'avais la première moitié du scénario, puis je n'y ai pas touché pendant plusieurs mois parce que j'étais sur autre chose. Ce qui est ma faute. Ensuite je suis revenu dessus, il y avait des éléments qui ne me plaisaient pas, j'avais changé d'envies. Il y a un espèce de bricolage comme ça, et quand je suis arrivé à un truc qui me plaisait, comme j'avais aussi envie de dessiner, je me suis lancé. J'ai bien fait d'être prudent avant, parce qu'au final j'ai dû refaire peu de planches, à part pour des raisons esthétiques.

Tout écrasé, je pense que j'ai mis deux ans et demi à le faire, ce livre. Ce qui est pas mal par rapport aux autres, Manabé j'ai mis un an, en comptant le voyage. Mais ça n'est pas la même méthodologie, le même procédé.

Du coup maintenant je suis un peu nostalgique de l'époque où je dessinais dehors. Là j'étais chez moi, en France, dans mon atelier. C'est moins rigolo. J'ai fait des voyages au Japon entre-temps, c'est ça qui a rallongé le truc. Mais ça m'a servi pour la bd, notamment en repérage. 

Et à côté de ce repérage, est-ce que tu as effectué un gros travail de documentation ?

Pas trop. J'ai demandé, pour les aspects techniques, à certains amis japonais. Rien que le nom de la ville, ce sont des amis qui me l'ont trouvé. Je voulais un nom inédit, mais plausible. Ils ont trouvé un nom en rapport avec la marée dans les kanjus. Shio, c'est la marée. Idem pour les noms de quartier.

Et j'ai aussi transformé des petites histoires d'amis avec des yakuzas etc.

On était habitué à te voir surtout dessiner au crayon de couleur. Dans cette bd il y a plein de techniques différentes. Est-ce qu'il y a des raisons derrière l'utilisation de chaque technique, ou est-ce que c'étaient plutôt des choix spontanés ?

Si, il y a une raison à chaque fois. Tout se passe en une nuit, avec beaucoup de paysages nocturnes donc. Et pour rendre le côté sombre des planches, il me fallait une couleur assez couvrante. Et le crayon de couleur, c'est compliqué pour ça. Il y a toujours le grain du papier qui ressort, ça ne convenait pas.

Je me suis mis à l'aquarelle, à l'encre. je m'en suis servi en fond couvrant pour les masses sombres, les halos de lumière etc. Après, je repassais toujours dessus au crayon de couleur, au feutre, au stylo, je bricole. Parfois j'avais envie de ne faire que de l'aquarelle, même. Je n'ai pas envie de m'enfermer dans un schéma. Et d'autres fois je voulais rentrer dans le détail, qu'on voit ce grain du papier justement.

Pour une bagarre, l'aquarelle rend mieux parce que c'est moins statique.

Ta colorisation est régie par des ambiances nocturnes, les éclairages. La couleur a une vraie importance. Est-ce que tu dessines en pensant tout de suite à la couleur ?

Quand j'ai une image en tête, rien n'est fixe mais je l'ai déjà en couleur. 

Par exemple les ampoules. C'est quand même un défi de dessiner une ampoule, qu'elle éclaire le visage. La méthode normale c'est de laisser du blanc, le blanc du papier, mais ça n'est pas que ça. Il faut contraster avec le reste, savoir où le mettre.

Mais c'est marrant, parce qu'à la fin, quand j'ai tout scanné, pour cleaner les planches, poser les textes, je me suis amusé à passer certaines planches en noir et blanc, doser le contraste. Et il y en avait qui rendaient pas mal.

Il y a d'ailleurs quelques planches en noir et blanc, c'est une envie que tu as, de travailler en noir et blanc ?

C'est aussi pour distinguer les niveaux de narration, pour codifier les choses. 

Pour le noir et blanc, à une époque j'aurais dit non, j'aurais trouvé ça dommage quand on peut faire de la couleur. Mais maintenant je ne dirais pas non, ça dépend du projet, de l'histoire... C'est sûr que pour un carnet de voyage je ne ferais pas de noir et blanc, mais pour une fiction pourquoi pas.

Il y a beaucoup de personnages dans Petites coupures à Shioguni. Les as-tu travaillé en amont de l'écriture ou au fur et à mesure ?

Un peu des deux. J'avais les personnages principaux, même si je voulais qu'il n'y ait pas de hiérarchisation, qu'il n'y ait pas une tronche qui serait symbole du bouquin. Mais il y en a évidemment qui ont plus de place que d'autres, et ceux-là je les ai travaillé en amont.

Après, quand l'histoire se déroule, ce sont des choix qu'on fait. On se dit 'Il arrive ça à tel personnage, comment va-t'il réagir, selon ce que j'ai dit avant ?' Ça se construit comme ça.

Je voulais qu'il y ait des tronches aussi. Et j'aurais aimé qu'il y ait un peu plus de personnages féminins, mais j'ai trouvé ça compliqué, moins facile à écrire. J'en remettrai plus dans un prochain bouquin.

Pourquoi le Japon ?

Ça va avec ce que je disais tout à l'heure. Je voulais changer sans trop changer, parce que je ne suis pas un aventurier. Changer le procédé, ne plus faire un carnet de voyage, mais rester au Japon. J'ai encore envie de dessiner sur le Japon, je n'en suis pas lassé. Il y a plein d'autres trucs qui m'intéressent, mais je voulais dessiner le Japon, de nuit. Ils ont des nuits plus colorées, et à la fois inquiétantes.

De nuit, on trouve des zones très éclairées, mais aussi beaucoup de rues très peu éclairées, très sombres. Il n'y a pas de lampadaires, d'éclairage publique dans les zones résidentielles. Et la seule lumière vient des distributeurs de canettes, qui sont un peu comme des oasis visuels dans un océan d'obscurité.

Quels sont les artistes qui t'influencent, et surtout pour ce livre là ?

C'est compliqué, parce que quand je suis vraiment en train de dessiner, j'essaie de ne rien lire, rien voir, de peur d'être influencé inconsciemment. Être un peu pur et vierge d'influences. On ne l'est jamais, évidemment. On est le produit de ce qu'on voit.

Il y a un truc qui me fascine et m'inspire, c'est tout le mouvement de Shin Hanga. Ça s'appelle la nouvelle estampe. C'est un mouvement artistique qui est né au début du XXème siècle, un renouvellement de l'estampe japonaise. Ça reste de l'estampe japonaise, on reconnait tout de suite, mais avec des apports esthétiques occidentaux. Des perspectives très justes, des effets de lumières sur les vagues, il y a des lampadaires, des éléments de modernité. C'est assez étrange, et ça donne des images vraiment belles.

Il y a notamment Kawase Hasui dont j'adore le travail. Et il a fait beaucoup d'estampes nocturnes assez fascinantes avec des masses sombres, soit d'arbres, de grands cédres, de châteaux. La thématique reste assez classique, mais il faut voir ça.

Quels sont tes prochains projets ?

J'ai un projet que j'aurais dû entamer il y a déjà un an, quand j'ai cru que j'étais capable de terminer Shioguni et de commencer celui-là en même temps.

C'est un projet sur le Louvre, dans la collection entre le musée du Louvre et Futuropolis. Ce sera plus dans l'esprit de mes carnets. Je vais me balader dans le Louvre, raconter ce que je vois. Les gens qui y vont, ce qu'ils se racontent...

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