Illustration de l'article
Critiques
Archive 9ᵉArt
par Alfro - le 3/03/2014
Partager :
par Alfro - le 3/03/2014

East of West - Tome 1, la critique

Si Jonathan Hickman a repris en main la plus fameuse équipe de Marvel en devenant le scénariste de deux, puis trois titres portant sur les Avengers, et qu'il en change radicalement l'univers, on n'en oublie pas pour autant que c'est grâce à ses productions creator-owned chez Image Comics qu'il s'est fait connaître. Urban Comics nous le rappelle avec la sortie de sa dernière prospection métaphysique en date, le premier tome d'East of West.

"Et le Message s'avéra être l'histoire de la fin du monde."

Quand on ouvre une nouvelle bande dessinée de Jonathan Hickman, on sait qu'il va nous falloir faire un effort pour en comprendre le pitch. C'est une convention qu'il a mis en place avec son lecteur, il faut mériter la découverte de son univers. Tout en phrases sibyllines et en utilisation d'un langage qui semble tiré d'un évangile apocryphe, on met du temps à s'insérer dans cette histoire qui a au moins le mérite de ne pas s'ouvrir sur un résumé mal mis en scène. Adepte de l'ouverture in medias res, avare en explications et en données formelles, Hickman tourne autour de son sujet, développant son monde par petites touches. Pas évident quand on voit le déploiement de concepts qui se met en place en si peu de pages. Un Hickman se mérite. Pas élitiste pour autant, mais refusant la facilité scénaristique, cela aurait pu être tout à fait louable si la masse d'informations n'avait pas été si imposante.

Jugez plutôt. On découvre des États-Unis qui ne sont pas si unis que ça. On est dans une uchronie où la Guerre de Sécession ne vit pas de victoire du Nord, trop écrasé par le Sud et une Nation indienne enfin unie. Il faudra attendre 1908 pour que celle-ci prenne fin (contre 1865 en vrai), lorsqu'une immense explosion (à faire passer Hiroshima pour un pétard de la Fête Nationale) frappa le Midwest. La nation de Barack Obama ne connaitra jamais l'Union Nationale et se découpe en sept territoires bien distincts. Là, on n'en est qu'à l'étape politique de la mise en place de l'histoire. Il faut rajouter celle de la métaphysique, pour bien tordre le cerveau du lecteur. Ainsi, trois prophètes reçurent chacuns une partie du Message, qui n'est autre que l'annonce de la fin du monde, de l'Apocalypse. Justement, ses Quatre Cavaliers se sont éveillés. Il y a quelques années, parce que là on est dans le futur (en 2064, où ils ont ENFIN inventé la voiture volante), et seuls trois de ces oiseaux de mauvais augure se sont régénérés. Le quatrième, la Mort, doit se venger. Que voulez-vous, il est tombé amoureux, et quand la Mort aime, elle ne compte pas. Ah oui, au rang des réécritures de l'Histoire étranges, Mao Tsé-Toung s'est exilé sur la Côte Ouest et a fondé une République Populaire de Chine en lieu et place de la Californie. Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres idées tout aussi folles. D'ailleurs, on mettra un très bon point à Urban Comics pour avoir intégré la carte de ce monde.

"J'ai décidé que ce monde me convenait.'

La force conceptuelle de Jonathan Hickman n'est guère à prouver, même s'il a tendance à toujours tourner autour des même obsessions. Par contre, il n'aime toujours pas ses personnages. La caractérisation est quelque chose qui semble loin de ses considérations. Certes, la mode dans les comics est à la décompression, aux dialogues interminables censés nous permettre de cerner qui est vraiment tel ou tel personnage. Si cela est bienvenue de voir un scénariste s'essayer à autre chose que ce que font Brian Bendis ou Geoff Johns (surtout que comme ils le font bien, cela n'apporterait sans doute rien de neuf de faire pareil), l'auteur de S.H.I.E.L.D. est un peu extrême dans sa démarche. L'émotion est souvent mise au second plan au profit d'un Dessein plus large. Chaque intervenant dans cette histoire n'est qu'un symbole, si bien qu'il se voit déposséder de son essence. À aucun moment la Mort est crédible dans son histoire d'amour avec Xiaolian, les deux étant les vaisseaux d'une machinerie qui les dépasse, les pièces d'un gigantesque échiquier. On n'est pas face à l'écriture character-driven, on peut l'accepter, cela fait même du bien de voir une nouvelle école se faire sa place dans l'industrie des comics mainstream. Par contre, dès qu'il s'agit de faire passer des émotions, le navire tangue dangereusement. L'explosion de colère face au Président n'est pas crédible par exemple. Si bien que l'on passe plus de temps à mettre ensemble les différents concepts lâchés dans ces pages qu'à s'impliquer dans les scènes.

C'est donc tout un souffle épique qui disparait. On est devant une tragédie sans révolte désepérée. Pourtant, il est indéniable que Hickman a un sens de la mise en scène, fortement appuyée par un dessin qui sait se montrer iconique. D'ailleurs, Nick Dragotta fait ici un travail impeccable, servant bien l'histoire par son cadrage tout à la fois cryptique et théâtral, tour à tour violent et majestueux. Si bien que l'on devine le but des deux compères, faire revivre un pan de la SF assez peu développé ces dernières années en art séquentiel. Cette science-fiction qui se veut symbolique, qui parle en images et en théories. Quelque chose que l'on aurait facilement pu retrouver dans les pages de Métal Hurlant. Il faut en fait comprendre ce postulat, emprunter le chemin d'un Donald Kingsbury en y injectant des grosses doses de métaphysique (encore un auteur traumatisé par Arthur C. Clarke). Si bien que si ce premier tome est parfois difficile par sa densité et sa froideur, il n'est en fait que la première étape, les fondations d'un récit qui pourrait prendre de plus en plus d'ampleur. Paradoxalement, on sent qu'Hickman devrait s'éloigner des personnages qui montrent encore trop les limites de leur personnalité, ces derniers doivent prendre toute leur dimension symbolique pour que le récit puisse s'envoler dans des registres épiques qui lui siéraient bien mieux.

Ce qui fait défaut à ce premier tome pourra donc se révéler être sa grande force par la suite. Jonathan Hickman veut livrer un récit de hard-science mâtiné de spiritualité. Un projet ambitieux qui lui demande d'ouvrir plus la focale qui se contente pour le moment de cerner des personnages unilatéraux. Une suite serait d'autant plus bienvenue qu'elle permettrait à Nick Dragotta de continuer à nous ravir de son dessin puissant et évocateur.

Actualités
Voir tout
Publications similaires
Abonnez-vous à la newsletter !
Le meilleur de l'actualité BD directement dans votre boîte mail