Décalant cette fois son récit autour de la fille de sa super-héroïne, elle profite du graphisme chatoyant de Yoshi Yoshitani pour un livrer une histoire emplie d’adolescence. Une période composée de doutes sur son avenir et sa propre identité, auxquels s’ajoute la pression sociale de ce que les autres attendent de soi. C’est d’autant plus lourd à vivre quand elle vient de ses célébrités de parents qu’il semble impossible d’égaler.
Une base relativement classique mais efficace pour le concept de I am not Starfire. Mandy, 17 ans et fille de la célèbre Starfire des Titans, est l’exacte opposée de ce que peut représenter sa mère : look sombre, physique qui ne correspond pas aux critères de beauté de la société, attitude asociale et surtout aucun super-pouvoirs. Seul son meilleur ami Lincoln, anarchiste revendiqué, suscite de la sympathie chez elle, ainsi que sa camarade de classe Claire, « crush » évident de la protagoniste. Exaspérée des études et fatiguée des réflexions faites sur son lien avec sa super-héroïque de mère, elle ne souhaite pas aller à la fac et envisage son avenir de manière incertaine, se cachant dans le fantasme d’une vie parisienne.
C’est dans ce contexte purement adolescent que prend place l’histoire de ce roman graphique où Mariko Tamaki s’empare à nouveau du monde super-héroïque pour parler féminité et jeunesse.
Un « teen » comics
De quoi donner une allure de « teen movie » au récit avec sa vie de lycée américain. Avec des archétypes de personnages déjà vus : la fille cool et populaire accompagnée de ses deux « acolytes », la protagoniste un peu looseuse qui forme un groupe en retrait des autres élèves… Du classique qui permet d’identifier directement les dynamiques entre les protagonistes et fluidifient grandement la lecture. Le cadre familial super-héroïque apporte ce qu’il faut de personnalité à cet album.
Visuellement, I am NOT Starfire propose quelque chose d’assez pop, ce qui peut presque surprendre en voyant la noirceur assumée de sa protagoniste. On s’éloigne des styles réalistes des Harley Quinn – Breaking Glass et Supergirl : Being Super pour une ambiance beaucoup plus colorée avec des designs arrondis, plus cartoons. Le découpage est astucieux, rythmant la narration avec une aisance très agréable en exploitant une variété de cadres avec de belles idées. Il y a aussi un très bel usage fait des couleurs qui remplissent les cases, voire les pages. Arborant de jolies teintes pastels, cette palette étonne et offre des contrastes saisissants. L’ensemble rend la lecture légère et imprégnée d’émotions, à l’image de son récit qui surfe entre noirceur et candeur.
Une histoire honnête envers son public
Intensément adolescent sur sa forme, I am Not Starfire l’est également sur son fond. Les thématiques abordées par l’album sont éminemment jeunes et résonneront assez probablement avec tous lycéens voire jeunes adultes qui la liront.
La relation mère-fille est ainsi au centre du récit, mêlant conflit générationnel à complexes personnels. Mandy cristallise de nombreuses inquiétudes et doutes que peuvent ressentir les jeunes d’aujourd’hui concernant leur avenir. Il n’est pas rare à cette période de la vie de se demander quel genre de personnes l’on souhaite devenir, à la recherche de sa propre identité. C’est d’autant plus complexe pour Mandy qui évolue comme une « fille de », ici la super-héroïne Starfire. Comment devenir quelqu’un dont l’on peut être fier quand notre mère sauve littéralement des galaxies chaque semaine ?
Une vie de famille étouffante à laquelle se mélangent une timide romance, on ne sera pas surpris par le contenu de cette histoire d’adolescents. Mais à cette écriture relativement classique, le personnage de Mandy et de son entourage se distingue des tropes habituels. Claire, par exemple, occupe une place intéressante puisqu’elle correspond à la fois au « crush absolu » du protagoniste, inaccessible car trop beau, doué, populaire, bref parfait. Elle occupe aussi la place de la « reine des pimbêches », du moins dans la structure du récit plus que son comportement puisqu’elle est accompagnée en permanence de deux camarades particulièrement insupportables.
Une construction qui ne révolutionne pas le genre mais qui est plaisante par sa lucidité narrative en ne multipliant pas inutilement les personnages. Mandy se démarque également en tant que héroïne, notamment par son physique – en décalage vis-à-vis des critères de beauté imposés par la société. En ajoutant sa romance lesbienne et vous obtenez en réalité une histoire adolescente particulièrement raccord avec sa génération. Présenter des figures moins parfaites tout en banalisant des relations LGBT+ qui peuvent encore susciter de vives réactions négatives. Là où certains reprocheront à ce genre d’histoires d’être trop « woke », on appréciera au contraire sa sincérité à s’adresser à des jeunes qui existent bel et bien, eux.
Ce roman graphique constitue une lecture agréablement fraîche et honnête pour le public auquel elle s’adresse. Alors tout n’est pas parfait, en particulier son final qui peut sembler précipité. Son histoire n’en reste pas moins une bonne expérience, joliment illustrée qui plus est. Un titre qui saura trouver sa place dans la bibliothèque de tout adolescent en proie aux doutes et aux complexes, à un prix correct (14,50€) qui plus est.
I am not Starfire, de Mariko Tamaki & Yoshi Yoshitani, Urban Link
Traduction :Sarah Dali
