Illustration de l'article
Critiques
par Baptiste Gilbert - le 5/07/2023
Partager :
par Baptiste Gilbert - le 5/07/2023

Le Mythe de l’Ossuaire, la confirmation de Lemire et Sorrentino comme maîtres de l’horreur

Après Gideon Falls, Jeff Lemire et Andrea Sorrentino lancent un univers partagé horrifique composé d’histoires indépendantes entre lesquelles ils vont peu à peu tisser des liens. La collection démarre avec 3 récits tous plus maîtrisés les uns que les autres.

Ce n’est évidemment pas la première fois que Jeff Lemire et Andrea Sorrentino travaillent ensemble : chez DC et Marvel, on avait notamment pu croiser le duo sur les séries Old Man Logan, Green Arrow, ou encore Joker: Killer Smile (lire notre coup de cœur). Surtout, ils s’étaient déjà adonnés à l’horreur avec Gideon Falls (lire notre coup de cœur) entre 2018 et 2020. Ils y reviennent, en décidant cette fois-ci de créer une anthologie horrifique dont les histoires sont indépendantes mais réunies au sein d’un univers partagé, Le Mythe de l’Ossuaire.

Des milliers de plumes noires narre la quête d’une jeune femme pour retrouver son amie disparue 10 ans plus tôt, et développe dans des flashbacks la construction de leur amitié. Le Passage suit un homme envoyé sur une île isolée pour étudier un étrange phénomène géologique. En prime, le récit court Mangeur d’ombres (qui fait office de prélude au Passage) nous montre un homme qui se retire quelques jours dans une maison de vacances afin de travailler et de faire le point sur sa vie. Les personnages de chaque histoire vont tous, de diverses manières, être confrontés à des éléments cauchemardesques plus ou moins reliés à leur situation personnelle.

Cauchemar ou réalité

En effet, comme dans les meilleurs Stephen King, les éléments fantastiques et les monstres, s’ils sont très réussis en soi, sont surtout un prétexte pour aborder des sujets sociétaux et mettre en lumière le pire de l’être humain. Dans Des milliers de plumes noires, c’est la peur de l’abandon, la difficulté à trouver sa place parmi ses pairs, et les questionnements adolescents de manière générale qui vont s’incarner. Dans Mangeur d’ombres, l’horreur sera liée à la culpabilité et au déchirement d’un couple, et dans Le Passage, au deuil d’un parent.

De manière plus méta, les éléments fantastiques semblent à plusieurs reprises liés au pouvoir de création de l’esprit humain (plusieurs personnages étant eux-mêmes des auteurs). Les frontières sont volontairement floues entre le réel et l’imaginaire, et Lemire et Sorrentino entretiennent le doute sur l’origine des cauchemars : sont-ils pure imagination, sont-ils issus du cerveau malade des protagonistes jusqu’à s’incarner dans la réalité, où viennent-ils au contraire les corrompre depuis l’extérieur en se nourrissant de leurs peurs ?

Pas de réponse, évidemment, mais une interprétation laissée à chaque lecteur.ice. Et un double moyen de créer le malaise, en allant chercher à la fois dans les actions les plus sombres de l’être humain et dans ses cauchemars les plus primaires.

En trame de fond, un univers parallèle de fantasy évoque Robert E. Howard, mais aussi Stephen King et sa Tour Sombre (citée dans les premiers dialogues de Des milliers de plumes noires), dont les créatures ont également tendance à faire des incursions dans notre monde. La manière dont l’horreur s’incarne dans notre réalité, elle, emprunte également à King, mais aussi à Lovecraft et à David Lynch, de l’aveu même des auteurs dans la postface du Passage. L’univers partagé en est encore à ses prémices, mais les premières connexions entre ces 3 récits sont déjà très intrigantes, et on a hâte d’en savoir plus sur sa mythologie !

Maestria horrifique

Illustrations © Jeff Lemire / Andrea Sorrentino / Urban Comics

Les amateurs d’Andrea Sorrentino retrouveront son extraordinaire patte visuelle, tout en contrastes et en ombres d’un noir profond. Des ombres plus ou moins omniprésentes, qui ici s’étalent en traces et donnent au tout un aspect crasseux. Sorrentino joue superbement avec les lignes et le découpage, bien aidé par David Stewart à la couleur, pour accentuer les changements d’ambiances, notamment entre les flashbacks et le présent. L’horreur visuelle fonctionne divinement bien, avec une efficacité froide, presque gothique, sans jamais aller vers le gore. Chair de poule garantie.

Plus globalement, ces deux albums sont très riches et varient constamment les styles, que ce soit visuellement, avec un découpage et une mise en scène virtuoses qui se renouvellent constamment, ou narrativement en jouant sur la temporalité et les dialogues internes. Dans Des milliers de plumes noires, la voix off prend diverses formes jusqu’à même sortir des cases pour parfois transformer la BD en nouvelle illustrée.

On est plus qu’impatients de découvrir les nouvelles briques de cet univers partagé imaginé par Jeff Lemire et Andrea Sorrentino. Avec ce Mythe de l’Ossuaire, le duo livre ici un nouvel incontournable pour les amateurs d’horreur. Le prochain tome, dont la date de sortie n’a pas encore été révélée, s’intitulera La Demeure.

Le Mythe de l’Ossuaire – Des milliers de plumes noires, Jeff Lemire & Andrea Sorrentino, Urban Comics

Le Mythe de l’Ossuaire – Le Passage, Jeff Lemire & Andrea Sorrentino, Urban Comics

Illustrations © Jeff Lemire / Andrea Sorrentino / Urban Comics


Illustrations © Jeff Lemire / Andrea Sorrentino / Urban Comics

Illustrations © Jeff Lemire / Andrea Sorrentino / Urban Comics
Illustrations © Jeff Lemire / Andrea Sorrentino / Urban Comics

Illustrations © Jeff Lemire / Andrea Sorrentino / Urban Comics
Illustrations © Jeff Lemire / Andrea Sorrentino / Urban Comics
Actualités
Voir tout
Publications similaires
Abonnez-vous à la newsletter !
Le meilleur de l'actualité BD directement dans votre boîte mail