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par Alfro - le 2/06/2014
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par Alfro - le 2/06/2014

Minimum Wage, la critique

Quand on parle de comics indépendants, on fait souvent référence à ces éditeurs qui gravitent autour des deux majors que sont Marvel et DC Comics. Pourtant, il y a une frange encore plus indépendante, presque underground dans la démarche. C'est dans celle-ci que l'on peut retrouver des petits bijoux corrosifs tels que Minimum Wage qui arrive enfin en France grâce aux Humanoïdes Associés.

"T'as beau être blond aux yeux bleus, t'es toujours assez juif pour finir aux fours crématoires."

Minimum Wage, c'est un comics paru initialement dans les années 90, chez Fantagraphics, éditeur préféré des prétendues élites intellectuelles américaines (ce qui ne veut pas dire qu'ils ne publient pas quelques chefs-d'œuvre ici et là). Ce récit semi-autobiographique est intimement lié à son auteur Bob Fingerman, héritier des Robert Crumb, Harvey Pekar ou autre Chester Brown. Cette frange de la BD américaine qui se refuse à l'emprise des éditeurs sur leur travail. Fingerman est donc un touche-à-tout de l'art séquentiel à la manière de son personnage, il aura aussi bien travaillé dans la BD pour enfants que dans la BD pornographique, aux États-Unis qu'en Europe (dans L'Écho des Savanes notamment), sur Teenage Mutant Ninja Turtles que dans des publications à obédience punk. Il aura même travaillé pour DC Comics ou Marvel, et on le retrouve aujourd'hui à faire des parodies d'apocalypses zombies. Un artiste qui ne veut s'imposer aucune restriction. Et s'il jouit aujourd'hui d'une notoriété certes relative mais bien réelle, il a connu de nombreuses années de galères qui lui ont inspiré cette œuvre.

Ainsi, nous partons à la rencontre de Rob Hoffman, dessinateur galérien qui aimerait bien arrêter de faire de la BD porno, juif athée qui est un véritable paquet de névroses et qui doit faire avec un salaire de misère. Le tout dans le New-York crasseux des années 90 qui n'aura pas encore connu les velléités modernistes de Rudolph Giuliani. En plus du quotidien de Rob, nous rentrons aussi dans son esprit qui multiplie les angoisses, et le moins que l'on puisse dire, c'est que l'auteur va se livrer avec une honnêteté à toute épreuve, des fois peu reluisante pour lui. Nous découvrons au fil de ses pérégrinations l'angoisse que lui procure l'engagement avec Sylvia, femme qu'il aime pourtant, ses lubies sexuelles (il a parfois peur d'être déviant quand il fantasme un plan à trois avec sa copine et son ex lesbienne) ou encore sa bande de potes plus gratinés les uns que les autres. Car Minimum Wage est aussi une véritable galerie de personnages aux caractères puissants et bien trempés. Entre Jack, le meilleur pote qui se sent désemparé quand Rob emménage avec Sylvia, la mère de cette dernière qui est une bigote râleuse et envahissante ou même l'éditeur de Rob qui est d'une vulgarité à toute épreuve et qui semble être un véritable anachronisme difficile à situer. Tout au long des pages de ce volumineux bouquin, c'est tout un aspect de New-York que l'on découvre, celui qui vit et qui ne s'arrête jamais malgré la galère du quotidien.

"Je suis coincé dans le porno jusqu'à la fin de ma vie."

Tout du long de cette BD, qui en plus d'être d'une taille imposante se permet le luxe d'être bien verbeuse (n'espérez pas en venir à bout en une petite heure), Rob/Bob porte un regard acéré sur son environnement, et nous offre une perspective sur ses contemporains tous aussi fous. Il s'expose dans son entièreté, le nombre de scène de sexe avec sa Sylvia est assez éloquent, même quand c'est à son désavantage. Il passe des sujets les plus légers, la convention de comics, aux plus graves, l'avortement, en les traitant avec le même regard qui ne cache rien. Le problème se situe juste parfos dans sa relation avec la société où il se pose quand même en marginal, mais qui n'accepte que sa propre marginalité (et celles de ses amis). Comme s'il n'y avait qu'une façon d'être un "bon fou" et que les autres ne sont justes que des nuisances. Il se révèle parfois extrêment négatifs sur ses concitoyens et révèle un aspect assez élitiste de lui-même, une sorte de posture d'artiste incompris qui a beaucoup de mal à respecter que l'on ne partage pas son point de vue sur l'Art. Dommage de regarder le monde avec autant d'acuité pour en retirer un avis aussi négatif. Surtout que la plupart du temps, il nous amène vers des lieux et des personnages plein de vie et d'originalité qui nous montrent un désir de ne pas se lier à des conventions séculaires.

Minimum Wage est une véritable fenêtre ouverte sur un univers foisonnant de vie et de rire, où malgré les galères constantes les personnages avancent dans leur existence dans une joie de tous les instants. Une BD en forme de bouffée d'air frais, où l'on peut parler de sexe juste après avoir parlé de cervelle de veau avariée.

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