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par Alfro - le 10/02/2015
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par Alfro - le 10/02/2015

Ms. Marvel - Tome 1, la critique

L'histoire de cette nouvelle Ms. Marvel est avant tout partie d'une conversation entre éditeurs. Sana Amanat, éditrice qui a longuement travaillé sur la ligne Ultimates, et Stephen Wacker, qui chapeaute les séries "arachnéennes", parlaient en effet de l'expérience de cette première en tant que femme musulmane aux Etats-Unis et des difficultés inhérentes à cette condition. Touché par cette histoire, Wacker a immédiatement pensé à en faire un comics qu'ils superviseraient.

"Délicieuse viande impie..."

Clairement, ce n'est pas un lancement de projet classique pour Marvel. Dès le début de son développement, cette série s'est inscrite dans la ligne des séries de super-héros qui flirtent avec le creator-owned, comme ce que l'on a pu voir sur Hawkeye de Matt Fraction et David Aja. Une nouvelle super-héroïne se créée sous leurs yeux, et ils contactent G. Willow Wilson pour en assurer le scénario. Le choix n'est pas anodin, puisque l'écrivaine s'est convertie à l'Islam alors qu'elle étudie à la Boston University. Elle va ensuite déménager au Caire pour y commencer sa carière de scénariste et de journaliste. Elle en tirera même un livre de cette expérience égyptienne durant le régime de Hosni Moubarak, ainsi qu'une BD reprenant le folklore local : Cairo. Ayant déjà travaillé pour Marvel (sur Mystic), elle est la candidate idéale pour les éditeurs qui lui confient les clés de cette héroïne d'un nouveau genre.

Rien que par le choix de la scénariste, on comprend qu'il y a un fond de militantisme derrière cette série. Marvel a toujours été en avance (d'un point de vue mainstream) sur les questions sociales, et c'est tout logiquement qu'ils s'attaquent aujourd'hui à une question aussi cruciale que délicate, la place des musulmans américains. L'héroïne que l'on découvre, Kamala Khan, est une fille d'immigrés pakistanais, qui a déjà bien du mal à s'intégrer parmi ses camarades alors que ceux-ci stigmatisent ce qui la rend différente. La découverte de ses pouvoirs d'Inhumaine (merci Black Bolt, cette brume terrigène est très pratique pour créer de nouveaux héros !) ne va rien arranger et c'est autant une lutte contre un ostracisme latent que contre des super-vilains qu'elle va alors engager.

"Captain Marvel ? Vous parlez ourdou ?"

C'est un récit fin et qui se refuse aux lieux communs que déploie G. Willow Wilson, entre une famille conservatrice modérée (les scènes avec le frère, qui est lui beaucoup plus dans la religion, sont assez cocasses), des camarades de classe dont les piques ségrégationnistes montrent plus une bêtise adolescente qu'une véritable haine de l'autre et un meilleur ami qui a bien du mal à tout comprendre des ennuis de Kamala. Une origin story assez classique qui s'accompagne d'un message asséné régulièrement. Trop peut-être, certaines scènes qui servent à montrer la difficulté d'être un musulman aux Etats-Unis et le fossé d'incompréhension bâti par des monceaux de lieux communs ont tendance à se ressembler, à porter exactement le même message. Si bien que l'aspect "militant" du récit prend parfois le pas sur le déroulement de l'action.

Celle-ci est pourtant rafraichissante, dynamique à souhait et avec un véritable feeling "teenager" dans les relations entre les différents personnages. Plusieurs passages sont vraiment drôles et appuyés par un dessin puissant et vibrant. Faut dire que le dessinateur Adrian Alphona nous avait habitué à bien saisir l'esprit adolescent quand il avait accompagné Brian K. Vaughan sur les Runaways qu'ils avaient créé pour Marvel. Il livre ici une prestation à mi-chemin entre le dessin de super-héros classique et du comics d'auteur, délaissant l'aspect iconique des encapés pour un trait plus naturel, plus "from scratch". Un dessin sensible qui accompagne à merveille une histoire qui ne prend pas ses lecteurs pour des billes. On espérera juste que l'intrigue en elle-même décollera et que le discours sous-jacent saura fusionner plus organiquement avec un récit qui peine à avancer franchement.

Ce premier tome sert à introduire une nouvelle héroïne et les problématiques qu'elle doit affronter. Un volume qui sert autant à poser les bases de l'héroïne que la rhétorique inhérente à un tel projet. On ne peut que louer un tel récit, qui veut combattre l'intolérance sans rejeter la faute sur qui que ce soit, qui préfère montrer des personnages complexes, tous représentants de leurs propres contradictions. Panini nous offre dans sa belle collection 100% un récit de super-héros d'un genre nouveau, aussi frais et drôle que profond et réfléchi.

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