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Critiques
par Thomas Mourier - le 28/06/2021
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par Thomas Mourier - le 28/06/2021

Le Mandala de feu, le court-circuit de la passion

Comment imaginer une biographie de peintre, sinon comme un voyage dans son univers pictural ou ses obsessions & passions ? Loin des bios encyclopédiques, Chie Shimomoto nous propose un voyage graphique dans l’œuvre de Tohaku Hasegawa.

Le Mandala de feu de Chie Shimomoto, Mangetsu

Genre assez prisé en franco-belge (Pablo, Artemisia, Le Caravage, Van Gogh, Gauguin, Andy, Pascin…), il y a finalement peu de mangakas qui se sont frottés aux biographies de peintres en manga. Deux maîtres se sont essayés à l’exercice sur les grands estampistes, Shotaro Ishinomori et son Hokusai puis Gō Nagai avec Utamaro. Récemment, Hinako Sugiura avait proposé une biographie de l’artiste Katsushika Ôi dite Miss Hokusai, puis cette année est traduit en français le manga de Chie Shimomoto sur Tohaku Hasegawa (sorti en 2016 au Japon). 

Le parti-pris de la dessinatrice est de condenser la carrière du peintre en quelques moments clefs : entre la découverte de son art, sa passion dévorante et ses œuvres (qui existent encore ou non). Dans cette histoire vraie revisitée pour les besoins de la fiction, on découvre Tohaku Hasegawa qui connaîtra une épiphanie devant le travail du grand peintre de l’époque Einori Kano. Une vision quasi mystique au milieu d’un château en flammes où brûle la peinture de Kano, un feu dévorant qui va accompagner la passion du peintre qui va s’imposer comme le plus grand de son époque. On comprend vite que ce n’est pas une biographie classique et que l’ambition est tout autre.

Une histoire « floue » 

Bois de pins, détail d'un paravent par le peintre japonais Hasegawa Tōhaku des XVIe et XVIIe siècles
Bois de pins, détail d’un paravent par le peintre japonais Hasegawa Tōhaku des XVIe et XVIIe siècles

La véritable biographie de Tohaku Hasegawa pose problème aux spécialistes, son œuvre tardive laisse planer le doute sur ses noms de plume précédents (une pratique très courante au Japon, Hokusai aurait changé une 30e de fois de nom d’artiste) et les spécialistes se battent pour savoir si Hasegawa Nobuharu et ses œuvres pouvaient lui être attribuées ou non. Chie Shimomoto replace l’auteur dans son contexte historique, pour nous amener à la fin de la période Sengoku et du règne d’Oda Nobunaga, le seigneur de guerre qui commença à unifier le Japon. 

Maître Rikyû, un mécène cultivé, engage Tohaku Hasegawa pour peindre le plafond d’un temple à Kyoto, point de départ de son grand œuvre. L’autrice condense vingt ans de création en quelques 200 pages en prenant appui à la fois sur la psychologie du personnage (sa passion dévorante, son humeur flamboyante) et les peintures qu’il a laissées en héritage (dont elle reproduit certaines iconiques ou en réinvente des morceaux disparus).

Forte de cette approche graphique, elle construit son histoire autour de la passion dévorante, de la philosophie de vie tout entière tournée vers ce feu intérieur qui donne son titre au manga. Une quête dévorante à la recherche de soi, de l’essence de l’art ou encore de sa place dans le monde ; au milieu de sa propre vie chaotique. La carrière du peintre commence devant une œuvre qu’il sera le dernier à voir, et sera hanté toute sa vie -dans le manga- par cette obsession de la table rase. Une symbolique du feu qui porte le récit dans un univers où sa peinture met en scène les arbres, la neige et la nature paisible. 

La transformation comme mantra

Le Mandala de feu de Chie Shimomoto, Mangetsu
© Chie Shimomoto / Leed Publishing Co. / Mangetsu

Tout au long du livre, Chie Shimomoto réinterprète quelques œuvres des deux peintres, classées au patrimoine japonais. À la fois pour donner à ressentir et à voir de la beauté de ces œuvres, mais surtout nous donner envie d’aller chercher des reproductions de ces incroyables peintures par Einori Kano & Tohaku Hasegawa. 

Elle utilise pour cela plusieurs techniques différentes, des cadrages et compositions audacieuses, et laisse une belle place au dessin dans un genre habituellement bavard. C’est la grande force de ce titre, ce graphisme éclectique où la mangaka prend le temps de créer des compositions fortes au milieu de sa narration. De très belles images que l’éditeur a eu la bonne idée de proposer dans un format plus grand que son standard pour nous en faire profiter. 

Elle se permet également d’en inventer certaines dont la très immersive double-page des dragons devant le Bouddha qui ouvre le livre, et de manière générale s’essaie à des positions et cadrages inédits. Une démarche assez réussie et singulière pour être mentionnée et on ne peut qu’espérer que la dessinatrice poursuive dans cette voie. 

Le Mandala de feu de Chie Shimomoto, Mangetsu

Traduction d’Aline Kukor


Illustrations : © Chie Shimomoto / Leed Publishing Co. / Mangetsu

Érable du peintre japonais Hasegawa Tōhaku aux XVIe et XVIIe siècles. 
Peinture datée de 1592
Érable du peintre japonais Hasegawa Tōhaku aux XVIe et XVIIe siècles. 
Peinture datée de 1592
Le Mandala de feu de Chie Shimomoto, Mangetsu
Le Mandala de feu de Chie Shimomoto, Mangetsu
Le Mandala de feu de Chie Shimomoto, Mangetsu
Le Mandala de feu de Chie Shimomoto, Mangetsu
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