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Critiques
par Thomas Mourier - le 29/08/2022
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par Thomas Mourier - le 29/08/2022

Mon mari dort dans le congélateur : coup de chaud & sueurs froides

Polar insolite, ce manga questionne les violences domestiques & les violences ordinaires dans un diptyque captivant. Après avoir assassiné son conjoint, une jeune femme le voit revenir comme si de rien n’était, réduisant à néant son horrible effort pour survivre et la plonge dans un abyme de tensions.

Mon mari dort dans le congélateur de Misaki Yazuki fait partie de ses immenses succès en ligne, comme Elle ne rentre pas, celle de mon mari de Kodama (adapté en manga par Yukiko Gotô) qui trouvent une deuxième vie en bande dessinée avec des adaptations réussies. D’abord pré-publié sur la plateforme de lecture en ligne Everystar, Mon mari dort dans le congélateur va devenir un roman à succès transposé en série TV et manga, l’adaptation en bande dessinée est confiée à Hyaku Takara, un jeune dessinateur rompu aux dessins de pin-up et aux situations complexes après sa première série Share Body (inédite en français). 

Dans cette série courte, en 2 volumes, nous allons suivre les questionnements et la vie compliquée de Nana qui vient d’assassiner son mari dans les premières planches de la bande dessinée. On découvre une jeune femme à la fois torturée par son acte, mais aussi par la haine qu’elle voue à cet homme qui la battait et maintenait une emprise permanente. Des violences conjugales qui ont poussé Nana à la pire solution. 

Mais immédiatement après avoir caché le corps dans un congélateur, pour éviter sa décomposition avant de trouver une solution à ce meurtre non prémédité, le mari revient. Nana ne comprend pas comment son époux peut être à la fois mort et vivant, et Ryo ne semble s’être aperçu de rien. Si son conjoint vivant semble un peu différent, celui dans le congélateur attend sagement, Nana va alors tenter une expérience folle en cuisinant le corps pour le faire manger à sa version en vie.

La fem… l’homme dans le frigo

En 1999, l’autrice & critique Gail Simone propose cette expression, « la femme dans le frigo » pour désigner cette astuce scénaristique sur-utilisée dans la fiction et dans les comics qui consiste à tuer la femme du héros pour lui donner une motivation assez forte pour se battre. Un ressort trop usé, dont un collectif de lectrices dresse la longue liste sur un site internet, qui prend comme exemple principal une histoire de Green Lantern écrite en 1994 par Ron Marz où le héros découvre sa petite amie, Alexandra DeWitt, morte, découpée et placée dans son réfrigérateur à la suite d’un petit mot : « Surprise for you in the fridge Love A. »

WATASHI NO OTTO WA REITOKO NI NEMUTTEIRU © 2020 Misaki YAZUKI, Hyaku TAKARA / SHOGAKUKAN

Gail Simone pointe cette utilisation récurrente surtout sur les personnages féminins, dont certains ne semblent être créés que pour les brutaliser, les mutiler ou les tuer. Un exemple qui depuis, est moins courant, détourné ou cité de manière humoristique, mais qui perdure chez certains auteurs. 

Dans Mon mari dort dans le congélateur on découvre cette situation renversée, mais surtout décalée puisque le cadavre dans le congélo y reste tandis que l’homme continue sa vie d’avant. Nana y retourne fréquemment pour vérifier et y découper quelques morceaux. 

Sans être simpliste, le manga présente les personnages avec leurs bons côtés et leurs défauts, de la voisine trop curieuse au collègue de travail amoureux, sans oublier de montrer la part sombre de Nana, qui passe de victime à tortionnaire. Si le point de départ de cette fiction est tragique à plus d’un titre, les auteur. triice. s du manga jouent avec nos sentiments et nos attentes dans ce polar atypique. À la fois roman noir et comédie, cette histoire au casting resserré permet aux auteurs de parler de sujets sensibles comme le sexisme, les violences conjugales, l’emprise sur les femmes mariées dans le Japon contemporain, les relations intimes et les rencontres amoureuses normées….

Tranche de vi…vant 

La romancière dépeint le conflit interne de son héroïne, avec cette tension permanente entre la haine de ce mari violent et la culpabilité d’avoir tué un être humain. Les flash-back sur leur rencontre ou l’arrivée de nouveaux personnages vont entretenir cette dualité. Le trait de Hyaku Takara travaille sur l’épure et cherche à cristalliser la beauté des personnages pour jouer sur notre trouble. Il s’inscrit dans un courant qui va de Junji Itō à Inio Asano en passant par Shūzō Oshimi où les dessinateurs cherchent à mettre en image des scènes très esthétiques en opposition avec l’ambiance malsaine du récit. Une tension entre le texte et l’image qui prolonge le trouble du lecteur.

© WATASHI NO OTTO WA REITOKO NI NEMUTTEIRU © 2020 Misaki YAZUKI, Hyaku TAKARA / SHOGAKUKAN

Ici, le mangaka se permet de retravailler certains passages du roman original, proposant un quotidien des personnages ancré dans le Japon contemporain à travers des scènes clefs et une introduction qui se déroule durant le festival d’été du quartier. Une séquence interpelle (extrait à côté) : celle d’une famille où la femme aperçoit Nana libérée, dit à sa fille « si maman se lâchait comme ça… elle serait plus heureuse elle aussi… » tandis qu’on voit son mari ivre sous les lampions de la fête. 

Sur deux volumes (le 1er sort cette semaine et le second en octobre), on est happé par ce thriller original où on cherche à chaque page les indices qui nous permettent de comprendre cette situation. Sans jamais basculer dans le fantastique, ce drame aux accents de comédie légère entretient jusqu’au bout le suspens permettant d’explorer toute la psychée de ses personnages et la manière d’exprimer ses émotions, ses peurs ou ses désirs. 

Attendons de lire la conclusion en octobre pour se faire un avis définitif (surtout sur la fin et « l’explication » du mystère principal), mais la première partie de ce court récit permet déjà d’en dire beaucoup sur les violences domestiques en proposant un polar insolite, très ancré dans le Japon d’aujourd’hui, porté par une esthétique à la mesure du projet.   

Mon mari dort dans le congélateur de Misaki Yazuki & Hyaku Takara, Akata (2 volumes) 

Traduction de Claire Olivier (BLACK Studio)


Toutes les images sont © WATASHI NO OTTO WA REITOKO NI NEMUTTEIRU © 2020 Misaki YAZUKI, Hyaku TAKARA / SHOGAKUKAN

WATASHI NO OTTO WA REITOKO NI NEMUTTEIRU © 2020 Misaki YAZUKI, Hyaku TAKARA / SHOGAKUKAN
© WATASHI NO OTTO WA REITOKO NI NEMUTTEIRU © 2020 Misaki YAZUKI, Hyaku TAKARA / SHOGAKUKAN
© WATASHI NO OTTO WA REITOKO NI NEMUTTEIRU © 2020 Misaki YAZUKI, Hyaku TAKARA / SHOGAKUKAN
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