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Incontournables
par Thomas Mourier - le 22/03/2019
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par Thomas Mourier - le 22/03/2019

Découvrir les mangas — ép.1 : Les shōnen classiques

Troisième grand volet de nos dossiers “découvrir”, après avoir parcouru les dossiers dédiés aux bandes dessinées et aux comics je vous propose de partir pour le Japon à la découverte des mangas dans toute leur diversité, du shōnen au shōjo en passant par les seinen des grands maîtres aux nouveaux auteurs à suivre. 1er épisode… Lire la Suite →

Troisième grand volet de nos dossiers “découvrir”, après avoir parcouru les dossiers dédiés aux bandes dessinées et aux comics je vous propose de partir pour le Japon à la découverte des mangas dans toute leur diversité, du shōnen au shōjo en passant par les seinen des grands maîtres aux nouveaux auteurs à suivre. 1er épisode avec les titres les plus populaires, les indétrônables shōnen manga de Dragon Ball à One piece.

Comme pour chaque dossier, cette liste de 10 titres est un point de départ à enrichir et compléter (n’hésitez pas à indiquer d’autres titres en commentaires) mais avec ces séries : vous avez de bonnes pistes de lectures pour vous y mettre.

Sommaire 📰

1. DRAGON BALL
2. GTO Great Teacher Onizuka
3. ONE PIECE
4. NARUTO
5. BLEACH
6. FULL METAL ALCHIMIST
7. DEATH NOTE
8. L’ATTAQUE DES TITANS
9. CITY HUNTER
10. MY HERO ACADEMIA

1.DRAGON BALL

34 albums ou 42 en version classique chez Glénat – série terminée

Impossible de me sortir le vieux générique de la tête en écrivant cette chronique, les deux en fait : Dragon Ball et Dragon Ball Z. La chanson du Club Dorothée qui rythmait nos semaines et nos discussions de cours d’école. On s’attaque au manga culte de plusieurs générations, le seul qui ait traversé les époques et plaît autant aux trentenaires qui ont vu son arrivée en France enfant qu’aux nouveaux lecteurs d’aujourd’hui.

La publication de cette série, au Japon, aura duré dix ans, de 1984 à 1995 mais les suites, variations & adaptations non pas cessées depuis. Chaque année, un nouvel événement supervisé ou non par le dessinateur est mis en chantier par les studios de productions japonais. En 2015, une nouvelle série animée inédite Dragon Ball Super, prend la suite directe de l’histoire terminée en 1995 et offre du contenu inédit en place des réécritures et reprises habituelles. En 2020, Son Goku a été choisi pour être la mascotte officielle des Jeux Olympiques de Tokyo mettant le personnage phare d’Akira Toriyama en lumière pour encore de nombreuses années. Mélange réussi de pop culture et de légendes traditionnelles, d’humour et d’intrigues sophistiquées ; les deux principales influences d’Akira Toriyama transpirent à tout moment dans les premiers chapitres : le conte chinois très populaire du Voyage en Occident (qui a inspiré une quantité énorme d’œuvres de fictions contemporaine) et les films de Jackie Chan, entre autres ! Les dialogues comme les traits des personnages se déforment pour épouser tantôt les nobles références et soudain les situations grotesques, les blagues sous la ceinture. Le modèle de Jackie Chan n’est pas innocent, il utilise lui-même ce ressort entre un comique de situation lié à ses personnages idiots qui deviennent soudain, dans le feu de l’action, des guerriers mystiques investis de forces anciennes.

Le dessin d’Akira Toriyama fascine par son sens de l’économie et sa justesse. La galerie de personnages qui composent ses œuvres est immense et ils subissent tous des transformations & déformations au fil des pages. Les personnages vieillissent, se dédoublent ou fusionnent et pourtant ils gardent leurs identités propres. Un détail, une pose, une grimace les identifient instantanément. Au fil de l’histoire et des enjeux de plus en plus grands, son dessin perd le côté un peu cartoon des débuts, explore de nouvelles pistes et s’éloigne de la ligne Tezuka (tous deux aiment mixer un dessin très réaliste avec un personnage cartoon pour créer des décalages, pas forcément comiques). Grand styliste, incroyable character designer, le dessinateur se dévoile dans une série de cours de dessin l’Apprenti Mangaka qui donne d’autres clefs de compréhensions de son univers multiple.

Si trente ans après, cette série fascine encore et entretient une production intensive c’est que les univers créés par Akira Toriyama semblent infinis et existés en propre tant la voix des personnages est forte. Des rappeurs aux youtubers, l’héritage de Dragon Ball est assez large pour embrasser des cultures différentes : avec son cocktail d’humour & de tension, cette œuvre fascinera & inspirera des générations de lecteurs pour longtemps.

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2. GTO Great Teacher Onizuka

24 albums chez Pika – série terminée (en cours de réédition)

Un gamin rebelle, membre d’un gang devient le professeur le plus cool dans une classe difficile même si ses motivations ne sont pas la pédagogie ou l’envie de transmettre… plutôt les jolies étudiantes. Violence urbaine, règlement de compte & chantage, désengagement du système éducatif & classe sociale, conflit générationnel & délinquance juvénile,… bienvenue dans le Japon invisible, celui qui n’existe pas officiellement mais transpire dans les mangas des années 80–90. Si on pense immédiatement à Akira dans le registre de la science-fiction, GTO incarne cet état des lieux en fiction dans un cadre réaliste. Ou presque. Un manga assez barré pour que toutes les situations les moins crédibles le deviennent.

De gangster looser à héros éducateur. Un point de départ décalé qui permettra au jeune professeur Onizuka de montrer ce qu’il a dans le ventre, et qu’il n’est pas le salaud que certains voudraient qu’il soit. Au contraire, plus les situations deviennent tordues et perverses plus notre prof devient un héros. En particulier vis à vis des autres membres du corps enseignant qui ne sont pas très recommandables sous leurs vernis respectables.

Le badboy sympathique nous embarque dans un Japon délirant, décalé où les jeux de mots et l’humour sont l’arme absolue (pour les jeux de mots et les références pointues, il faut un peu creuser mais si on aime le Japon c’est une mine d’informations). Et Tōru Fujisawa ne se fixe pas de limites, avec une bonne dose de pipi-caca et de scènes de bastons bien violentes. Mais dosé avec une vraie réflexion sur ce qui peut être important dans une vie, l’empathie et la valeur qu’on accorde aux autres. Une leçon d’humanité et le délicat passage à l’âge adulte, derrière les pitreries du Great Teacher.  Du fun, une vraie leçon de vie et un manuel décapant à l’usage des adolescents qui voudraient savoir tout ce qu’il ne faut pas faire pour draguer ou pour attirer l’attention.

Assez virtuose sur toutes ses séries, le dessin de Tōru Fujisawa détonne par sa précision et son sens du détail. Les personnages ou les décors ont fait l’objet d’une grande attention, les cadrages et la mise en page servent l’action et l’émotion à merveille. Un soin particulier est apporté aux visages mais cela n’empêche pas des moments de libertés graphiques, comme scénaristiques dont l’alternance fait partie de l’âme de cette série.

L’auteur accorde une énorme place au « fan service », cette pratique de mangaka qui consiste à dessiner de jolies filles en sous-vêtements, ou en situations délicates le plus souvent possible pour plaire à un lectorat masculin. Même si l’auteur joue avec ce cliché, puisque son personnage est bien un gros pervers, cela peut choquer si on est pas prévenu. Mais derrière cette galerie un poil misogyne qui devient risible au fil de l’histoire, ce Great Teacher Onizuka reste un des personnages les plus marquant des shōnen mangas.

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3. ONE PIECE

90 albums chez Glénat – série en cours

One Piece, la série de tous les records. Il est le manga le plus vendu au monde, la 3e série de bande dessinée tous genres confondus après Batman et Superman et dans le top 10 des livres les plus vendus de tous les temps, tous types confondus. Avec ses presque 100 volumes, elle s’approche aussi du record des séries les plus longues jamais écrite par un auteur.

Mais revenons à notre One Piece. Cette série d’action à la fois drôle et émouvante met en scène un jeune garçon, Monkey D. Luffy , qui rêve de devenir le plus grand des pirates et se lance à l’assaut d’un trésor légendaire (le One Piece) dans un monde dominé par la piraterie et la cruauté des autorités. Dans un monde merveilleux recouvert par la mer, où les fruits du démon donnent à ceux qui les mangent d’étranges pouvoirs, Luffy devenu un homme élastique après avoir mangé un de ces fruits, recrute un équipage à la seule force de sa détermination. Sur plus de 90 tomes, et une histoire toujours non achevée mais dont l’auteur connaît la fin, les différents arcs narratifs dévoilent un monde complexe et riche d’une mythologie très élaborée. C’est l’une des grandes forces du manga, et de son succès mondial, l’auteur distille des éléments et des sous-intrigues dans certains chapitres pour les exploiter et les développer des années plus tard dans d’autres. L’ingéniosité et la maîtrise du scénario font de cette série de pirate un univers tellement vaste qu’on imagine qu’on pourrait creuser sans fin sans jamais épuiser l’œuvre d’origine.

L’autre pilier de son succès est l’humour omniprésent, visuel et narratif. Des déformations ou pouvoirs loufoques provoqués par les fruits du démon qui jalonnent les rencontres des capitaines pirates et de la marine aux sales manies des personnages principaux en passant par les ennemis et l’environnement cartoonesque de ce monde marin. Les répliques, les mimiques, mais aussi le côté gaffeur ou ridicule des personnages (qui deviennent très classe durant l’action) ne laissent aucune chance à la monotonie. Toute la série est rythmée entre gag et action, entre progression dans l’histoire et échappées humoristiques.

Le style de dessin proposé par Eiichirō Oda suit la même règle, il alterne un trait épais et rapide à un travail plus poussé et raffiné. Des personnages à la simplicité extrême à d’autres à la stylisation très poussée sans parler des décors où certaines planches ont des bâtiments qui semblent dessinée à la loupe.

Dessinée depuis plus de vingt ans, l’évolution du trait est assez impressionnante entre les premiers épisodes et les derniers chapitres en date. Son sens du découpage et de la mise en scène ont énormément évolué et les planches d’actions sont devenues des machines de guerre au niveau fluidité et cadrages malgré des cases très chargées.

La magie de One Piece opère sur toutes les générations. En grand fan de Dragon Ball, Eiichirō Oda tente de créer le shōnen ultime qui peut dépasser les genres et les segmentations habituelles touchant tous les publics ou presque. Et jusque là, on peut dire que le succès dépasse toutes les attentes

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4. NARUTO

72 albums chez Kana – série terminée

Juste après les pirates, les ninjas envahissent le Jump. Ce magazine, le Weekly Shōnen Jump, a prépublié une grande partie des succès que l’on connaît en France, Cobra, Captain Tsubasa (Olive et Tom), City Hunter (Nikky Larson), Ken le survivant, Les Chevaliers du Zodiaque, Bleach, Death Note, ou encore les récents block-buster My Hero Academia & The Promised Neverland et surtout les indétrônables Dragon Ball, One Piece & Naruto. Dernier en date du trio, Naruto est l’archétype du nekketsu, une composante importante du genre Shōnen avec son héros orphelin rejeté, inadapté et maudit, doué d’une volonté à tout casser et d’un optimisme sans limite.

Investi d’un pouvoir secret qu’il a du mal à maîtriser, il se retrouve face au Mal absolu et se sacrifie pour les autres. Du souffre-douleur idiot de l’académie ninja au guerrier invincible et stratège de la dernière bataille, le personnage évolue et illustre toutes les étapes du genre. Mais loin de paraître mal ficelé ou prévisible, Masashi Kishimoto injecte beaucoup d’humanité et de personnalité dans ses héros principaux ou secondaires. Toute l’œuvre est tendue par la justesse des relations entre les personnages, de rivalité ou d’amitié, de confiance ou de trahison plus que les complots et secrets qui sont mis en avant. Le dessinateur a crée un type de manga nouveau où tous les personnages sont attachants et tous pourraient faire l’objet de séries dérivées tant ils sont riches et intéressants, à l’image de Kakashi devenu plus populaire que Naruto auprès des fans dans les sondages du magazine. Un vrai atout pour cette série qui pêche un peu sur le scénario avec des facilités qui gâchent un peu le plaisir. Néanmoins, il arrive à se rattraper en provoquant des scènes mémorables et réussies dans cette trame un peu légère et un final un peu tirée par les cheveux pour ne pas dire plus. Série terminée mais qui se décline avec une nouvelle, Boruto sur la génération suivante dans l’esprit de Dragon Ball (on conseille un peu moins la suite à moins d’être super fan.)

Très travaillé sur le plan narratif mais également graphique, Masashi Kishimoto brille par son trait et surtout son habileté au character design, avec des créations très poussées et des personnages inoubliables qui compensent leur stéréotype par une réussite visuelle et des détails crédibles. Le travail sur le mouvement et les détails sont particulièrement réussis et efficaces et donnent à l’ensemble une signature graphique identifiable et chaleureuse.

L’utilisation de la mythologie et de l’image des shinobis, techniques ou vocabulaire ont donné une dimension très forte au titre en donnant un éclairage nouveau, même s’il est exagéré, sur un pan méconnu du moyen-âge japonais. Piochant dans le patrimoine culturel japonais pour remettre au goût du jour ces assassins d’exception, les ninjas passent de l’ombre à la lumière puisqu’ils sont devenus l’élite. Kishimoto s’inspire et intègre des éléments documentés pour les transformer et les mettre en avant dans sa fiction ouvrant une autre fenêtre sur l’époque des samurais habituellement campés en héros.

Mais ce parti pris est aussi l’occasion d’en rire entre techniques élaborées et inutiles, parodies de light novel, personnages décalés ou absurdes. On trouve beaucoup d’humour et d’autodérision entre le sérieux des combats et des intrigues, une recette qui marche et qui donne des prises pour accrocher rapidement à la série. Avec également un trait qui réussi à être à la fois simple et fourmillant de détails qui en font un des mangas les plus accessibles pour les nouveaux lecteurs, une des raisons de ce grand succès.

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5. BLEACH

74 albums chez Glénat – série terminée

Très populaire en France et aux USA, Bleach fait partie de ces séries historiques des années 2000 qui ont tenu le haut du pavé pendant plus de 10 ans, mais à la différence des séries citées plus haut, la fin de cette saga ne fut pas aussi glorieuse. Un manga aux ventes énorme qui déclina au fur et à mesure d’une intrigue compliquée et qui perd un peu ses lecteurs. Grand fan de Mizuki, Tite Kubo introduit une dimension rock et moderne dans le traitement des yokaïs, le folklore des esprits japonais et en particulier les shinigamis équivalent de la Grande Faucheuse en Occident. Avec un titre emprunté à un album mythique de Nirvana qui devait s’appeler « Beaucoup trop d’humains » le ton de cette série rythmée et provocante, sur les anges de la mort, est donné. On le verra avec Death Note un peu plus loin, cette mise au goût du jour des psychopompes japonais avec pour héros un lycéen caractériel propulsa très vite la série dans les meilleures ventes au Japon.

On découvre un monde invisible, déchiré entre plusieurs factions, qui gravite autour de nous dans l’invisible, une ouverture musclée sur la finalité de la vie et ce qui nous attend. Mieux, l’auteur s’amuse à introduire de l’espagnol et de l’anglais comme caractéristiques de certaines catégories de mortels ou d’esprits, des passifs et des cultures diverses aux personnages secondaires donnant une dimension plus universelle à cet au-delà en guerre.

Ichigo, lycéen de 15 ans se retrouve investi des pouvoirs de Rukia, une shinigami en détresse, les liants à jamais. La suivant à la Soul Society, on découvre qu’Ichigo à des liens avec ce monde et qu’il renferme des pouvoirs cachés de hollows, ces esprits mauvais. Entre vie de lycée et combats entre démons, le quotidien d’Ichigo et Rukia est fait de quiproquo, de duplicité et de transformation. Dans l’au-delà on passe au “chambara”, au récit de sabres où le combat et sa philosophie domine. Armé d’un sabre ayant une conscience propre, les shinigamis de cette histoire cultivent un rapprochement avec les samouraïs, un genre très en vogue dans les mangas des années 1990.

Le design des personnages et de leurs armes, les différentes ethnies de monstres et leurs aptitudes sont mises en avant par le trait dynamique de Kubo. Le dessinateur porte une grande attention aux cadrages et aux chorégraphies de combats jusqu’aux détails des blessures infligées pour faire de chaque scène d’action un moment très graphique. Délaissant les décors au profit du mouvement, mettant l’accent sur les gros plans plus que les vues d’ensemble, les planches de ce manga détonnent dans la production de l’époque par ces choix tranchés et à contre-courant. De même que les transformations d’Ichigo font l’objet d’un traitement graphique assez particulier, très visuel et en rupture avec le dessin habituel de l’auteur, renforçant la menace et la puissance du personnage.

Malgré toutes ces qualités, l’intrigue s’essouffle un peu et on peine à arriver au bout même si l’auteur remplit ses promesses pour boucler ses intrigues. Depuis la fin de la série, l’auteur est au repos et réfléchit à un possible nouveau projet qu’on espère un peu plus court et dense.

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6. FULL METAL ALCHIMIST

27 albums chez Kurokawa – série terminée

En plaçant son intrigue dans une Europe du début du XXe siècle qui aurait troqué la science pour l’alchimie, l’autrice Hiromu Arakawa réussi à la fois un manga d’aventure fantastique assez classique mais version steampunk avec ses orphelins qui découvrent un secret alchimique et se lancent dans une quête désespérée pour faire revivre leur mère. Mais également une histoire pleine de références et d’emprunts à la culture européenne de la fin de moyen-âge, assez intrigant pour les lecteurs japonais et français. Avec sa pierre philosophale, ses homonculus, ses formules secrètes, son ministère de l’alchimie et ses alchimistes militaires rappellent la saga Harry Potter qui cartonnait à l’époque et Full Metal Alchimist semble emprunter les meilleurs éléments du succès de J.K Rowling pour les fusionner avec les codes du shōnen. Un manga hybride qui parle de transmutations et de changements d’état et de matière, parfait.

Deux jeunes frères s’essaient à l’alchimie dans l’espoir de retrouver leur mère disparue. Alors qu’une loi interdit la transmutation humaine, ils s’y essaient et comprennent à leurs dépens les raisons de cette interdiction. Subissant la Loi de l’échange équivalent dans l’alchimie, Alphonse perd son corps et Edward sa jambe, puis son bras en liant l’âme de son frère dans une armure gigantesque. Devenu ado et alchimistes d’État, ils cherchent la Pierre philosophale et mettent à jour un complot gigantesque.

Le dessin un peu rapide des personnages contraste avec les décors et les artefacts plus fouillés. Un style moins élaboré que les mangas évoqués juste au dessus qui se concentre sur la tension et les relations entre les personnages et leur quête métaphysique.

La mangaka développe sur dix ans une fresque d’aventure portée par des enjeux philosophiques et éthiques avec un cadre très référencé aux multiples incursions alchimiques, bibliques, historiques… Pour un manga destiné aux ado c’est une réussite de vulgarisation même si elle prend énormément de liberté par rapport aux matériaux d’origine et se place du côté du merveilleux. Une saga un peu moins intergénérationnelle mais qui séduit un public ado, pré-ado.

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7. DEATH NOTE

13 albums ou 6 en Black edition chez Kana – série terminée

Au milieu de ses séries fleuves on trouve un titre très court dont le succès fulgurant étonne encore aujourd’hui. Tsugumi Ōba & Takeshi Obata proposent une version moderne et sombre de Sherlock Holmes. Avec en guise de Moriarty, un jeune garçon qui tombe sur un death note, un instrument de mort sous forme de carnet utilisé par les shinigamis. L’ange de la mort qui l’a “perdu” suit ce lycéen surdoué qui commence une série de meurtres pour “nettoyer l’humanité” de ses ordures, grâce à cet artefact étonnant et son intelligence redoutable. Interpol vient chercher l’aide d’un très jeune Sherlock, L., qui va lui tenir tête dans cette bataille de l’esprit. Un combat entre le bien & le mal sous couvert d’une enquête qui permet aux auteurs d’évoquer la morale, la justice, la religion, le terrorisme… à travers l’utopie terrifiante de Light sous son pseudo de sérial killer, Kira. Un vrai questionnement philosophique sur le pouvoir et la politique qui transpire de ses planches inspirées.

Thriller psychologique, enquête fantastique, Death note contraste avec les thèmes habituels du genre avec cet affrontement cérébral et ses morts angoissantes, on est du côté du “suiri”, un polar dont les protagonistes sont souvent des lycéens. L’humour est un peu présent à travers certains personnages et l’histoire d’amour décalée introduite par Misa ou le détachement des shinigamis pour les humains.

Le dessin d’Obata séduit par son esthétique moderne, un travail de trames et de détail qui sert particulièrement les émotions et les expressions des personnages. Le dessinateur tire parti de la fracture entre les deux mondes pour créer des collages graphiques entre le monde très réaliste des personnages principaux et l’aspect onirique des shinigamis qui envahissent l’espace, créant des effets visuels réussis entre les aplats de noirs, les silhouettes et les ombres. Malgré le peu d’action de l’intrigue, il arrive à créer des scènes rythmées et à maintenir le suspens tout au long de ces 13 volumes.

Après cet énorme succès, le duo a présenté Bakuman, un manga qui parle de création de manga et dévoilent l’intégralité des coulisses du travail des mangakas étapes par étapes, de leurs relations à leur tantô, aux éditeurs, aux magazines… Un documentaire sous forme de fiction, inspirée d’exemples réels mais avec une myriade de mangas et d’auteurs fictifs

Une très belle plongée dans cet univers très codifié et encore mystérieux. Si la partie découverte des coulisses est passionnante, la romance entre Mashiro et Miho, deux des trois personnages principaux, est un poil mièvre et insert quelques lenteurs dans l’intrigue, mais au final la série reste passionnante et assez unique si on s’intéresse à la création, aux mangas ou au Japon.

Les auteurs ont démarré une nouvelle série Platinum End avec un retour aux sources de ce qui a fait le succès de Death note, des anges pas si sympas, un lycéen investi de pouvoir et une grosse réflexion sur le bien et le mal. Même si le dessin de Takeshi Obata semble avoir encore gagné en style et en efficacité, l’histoire et les personnages semblent un peu convenus et un scénario qui dévoile trop vite ses ficelles. Dommage, on est pas super emballé par ce début qui manque un peu d’originalité après les deux pépites précédentes.

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8. L’ATTAQUE DES TITANS

27 albums ou 8 en édition colossale chez Pika – série en cours

Le seul challenger qui arrive à détrôner One Piece dans le top des ventes et dans le cœur des fans, l’Attaque des Titans a lancé depuis quelques années une nouvelle vague de shōnen, entre fantastique et horreur, entre récit médiéval et combats dynamiques. Un manga médiéval fantastique situé dans une Europe imaginaire où les humains se barricadent dans des cités-forteresses pour échapper à leur prédateur naturel, les titans. Un fléau aux origines mystérieuses, qui sera une des intrigues de la série, resté en sourdine jusqu’à ce qu’un colosse vienne briser les remparts qu’on croyait inviolables. Cette espèce ne semble appartenir à rien de connu, sans besoins primaires, sans organes génitaux. De plusieurs tailles, ces créatures hantent le pays et attaquent sans raisons hommes & villes sans qu’on puisse leur parler ou les raisonner. Sans plan d’attaque ni méchanceté, ces monstres écrasent tout sur leurs passages comme on marcherait sur une fourmi sans y faire attention. Bon à la différence que bien que ces géants n’aient pas besoin de manger, ils aiment croquer une tête ou un bras pour le plaisir du craquement sous la dent. Il y a quand même un truc. Heureusement une troupe de choc, le Bataillon d’exploration et son équipement de combat tri-dimensionnel très steampunk permet de se défendre contre ces ennemis quasi-invincibles. Des personnages stéréotypés mais bien campés, auxquels on s’attache et auxquels Hajime Isayama aime à donner un destin éphémère. Un peu comme dans Game of Thrones ou Walking Dead, même un personnage principal peut être emporté, alors tenez-vous sur vos gardes.

En parlant de suspens, le titre joue beaucoup sur ce registre, plus qu’un manga d’action il y a un gros travail sur l’atmosphère oppressante et la mise en scène de la peur. Dans ce récit survivaliste, l’auteur aime à nous garder mal à l’aise et à maintenir une ambiance étouffante au milieu de son récit de monstres.

Côté graphique, je l’avoue comme beaucoup j’ai du mal avec le style d’Isayama. Je dis comme beaucoup, car pas mal de fans s’expriment à ce sujet au point que l’adaptation animée a fait l’objet de changements dans le design et l’esthétique pour s’éloigner du trait un peu trop brut du manga. Une lacune sur laquelle le dessinateur travaille puisqu’au fil des tomes, on voit le gros boulot de dessin et il a quelques trouvailles dans les cadrages et la mise en scène avec notamment ses scènes aériennes ou vue de dessus assez rares en bande dessinée. Les traits et les proportions déformées des titans sont un parti-pris de l’auteur et on sent beaucoup d’ingéniosité dans son travail. Le manga arrive à son dernier arc, et après ce succès monstre l’auteur de 32 ans n’est qu’au début de sa carrière.

Forte de son succès, la série est victime de surexploitation, en plus des habituels adaptations en animé, deux films live sont sortis et un autre est en préparation mais également des light novels et plus étonnants des séries dérivées en manga. Des spin-off écrits par d’autres auteurs à partir de la série d’origine : Before the fall, L’Attaque des Titans : Birth of Livaï et L’Attaque des Titans : Lost Girls.
Mais aussi des séries humoristiques L’Attaque des Titans: Junior High-School où les titans vont au collège avec des humains et Spoof on Titan sous forme de strips parodiques de la série principale.

Allez un dernier pour la fin, Attack on Avengers où les héros Marvel font face aux titans dans un crossover écrit par Isayama… Concentrons nous sur la série principale et attendons de voir si la fin tient ses promesses pour relire cette saga depuis le début. Et surtout gardons un oeil sur l’auteur.

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9. CITY HUNTER

32 volumes chez Panini – Série terminée
Angel Heart 1ere saison 24 volumes chez Panini – Série terminée (en cours de réédition)
Angel Heart 2e saison 16 volumes chez Panini – Série terminée

À la manière du Dr Jekyll & M. Hyde, City Hunter & Nicky Larson se partagent le cœur de cette série ; entre série policière foudroyante et comédie version fan-services. Après le succès de Cat’s Eye, une comédie romantique avec une touche de drama policier, Tsukasa Hōjō se lance dans une série plus orientée polar avec City Hunter et ses héros Ryô Saeba & Kaori Makimura (plus connus sous les noms de Nicky Larson & Laura Marconi depuis la version animée française.) Pas vraiment détective privé, Ryô est un nettoyeur et s’occupe des affaires compliquées. Très compliquées. Justicier au grand cœur, détective hors pair, combattant indestructible auquel personne ne résiste (si ce n’est son éternel rival et alter ego de l’ombre Umibôzu ou Mammouth en VF), mais également gros pervers et satyre.

N’acceptant généralement de contrat que venant de jolies femmes, il partage son temps entre harceler ses clientes et faire son job, donnant au manga un rythme particulier entre le sérieux des enquêtes, de la drogue « Angel Dust » qui sert de fil rouge, le passé mystérieux de Ryô et cet humour en dessous de la ceinture, entre mokkori & maillets géants.

Pourtant c’est ce côté comédie légère, doublé d’un dessin fin, qui va permettre au titre de s’installer et de devenir un succès mondial (en France en particulier, le manga fut énormément censuré ou mal doublé à dessein, ne laissant plus que cette partie-là.) Les enquêtes sont presque toutes conçues sur le même canevas, et nous entraînent dans les bas-fonds de Tokyo, dans son quartier de Shinjuku des années 1980-90. C’est le quartier le plus animé, mal famé, celui prisé par les étrangers et qui possède les buildings les plus hauts. C’est dans ce décor très cinématographique, aux accents hollywoodiens & loin des clichés japonais que nos héros évoluent Colt Python .38 bien en main. Pas de carte de visite pour le tueur sympathique, en cas de besoin inscrire XYZ sur le tableau noir de la gare de Shinjuku… 

Fort de son expérience, City Hunter commence avec panache. Les enjeux sont importants, la mécanique est en place et le dessinateur enchante les lecteurs avec son style. Avec un trait fin et réaliste, le mangaka s’est spécialisé depuis Cat’s Eye dans le dessin de personnages féminins qu’il place au cœur du récit, et dont il explorera encore d’autres facettes dans son manga suivant Family Compo. Son sens de la mise en scène et des cadrages très cinématographiques donnent un rythme et une ambiance très moderne. Très influencées par le cinéma, les poses détonnent et rendent immédiatement accessible ce shonen aux accents sombres & tragiques. 

Dix ans après la fin de City Hunter, il démarre une nouvelle série Angel Heart, qui reprend les personnages pour les rebooter dans un univers parallèle. Cette fois Ryô fait équipe avec une tueuse nommée Glass heart qui possède le cœur transplanté, les souvenirs & les sentiments de Kaori malheureusement décédé peu avant leur mariage avec Ryô. Les deux séries ont été adaptées plus d’une dizaine de fois au cinéma ou en série. En anime, mais aussi en film live, du très étrange avec Jackie Chan au très fan-service de Philippe Lacheau, jusqu’au dernier en date Shinjuku Private Eyes. La licence parait infinie, car le mangaka fait partie de ces rares auteurs japonais qui possèdent leurs droits et organisent eux-mêmes le merchandising. Depuis 2017, Tsukasa Hōjō supervise un spin-off, Rebirth, de la série mettant en scène une jeune femme qui se trouve propulsée à l’époque de son manga favori et rencontre Ryô en inscrivant le code secret. Mieux, elle devient membre de l’équipe se débrouillant pour aider avec ses connaissances des événements. Tsukasa Hōjō recycle, croise et mélange ses personnages, séries et idées tout au fil de sa carrière. Comme une matrice jamais épuisée, il tire séries, remake, reboot, adaptations de son univers singulier aux personnages peu nombreux, mais attachants.

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10. MY HERO ACADEMIA

18 albums chez Ki-oon – série en cours

Succès le plus récent en date, My Hero Academia installe sa patte nekketsu dans un univers de super-héros inversé où les personnes sans pouvoirs sont l’exception. Imaginez un Japon futuriste recouvert d’école pour X-men (Lire le coup de cœur) ou encore une version moins trash de Top 10 (Lire le coup de cœur) où des super-héros se moquent des pauvres gars sans pouvoirs qui sont un peu les losers génétiques. Mais non, il y aura toujours un jeune dont la niaque lui permettra de se hisser parmi les plus grands même si la nature ne l’a pas favorisé. Début classique, un peu cliché même, mais qui devient de plus en plus intéressant quand on commence à s’éloigner du clone de Naruto version super-héros, vers un univers plus sombre où l’idéal espéré n’est peut être pas la voie à suivre. Ça bouge assez une fois passé le classique de l’arène et du tournoi entre élèves vers une intrigue plus construite à partir du T5, disons le temps d’apprivoiser l’univers. Un héritage qui sera l’objet de clins d’œil et de blagues ciblées, idem pour les références aux comics peu habituelles en manga qui donnent un ton très particulier à la série.

On notera aussi le traitement du personnage principal qui est à l’opposé de Luffy ou Naruto : Izuku réfléchit avant de foncer tête baissée. Un fait assez rare dans un manga qui arbore tous les codes du nekketsu. D’une manière générale, les personnages principaux sont assez développés, en particulier All Might qui est réussi derrière son apparence de caricature de comics US et  la galerie des super-héros, jusqu’aux anciennes incarnations d’All Might (mais on ne peut pas en dire trop, si ce n’est que l’auteur à piquer l’idée de son pouvoir à Lewis Trondheim et Joann Sfar dans Donjon (Lire l’incontournable). Au détail près que les super-vilains sont plus manichéens et un peu clichés. On espère que l’auteur bossera sur cet aspect pour la suite, car vu le succès de la série c’est parti pour durer.

Côté graphique, on sent une influence forte des productions américaines sur le dessin, les designs & l’encrage de Kōhei Horikoshi. Mais aussi sur les cadrages et dans sa manière de découper ses arcs en sous-intrigues plus courtes et dynamiques que ce qui se fait dans les autres séries. Je n’étais pas fan du dessin au début, mais le trait s’affine et s’affranchit de certains codes pour une approche plus personnelle qui assume son approche comique.

Déjà 23 tomes à ce jour en V.O., et deux séries dérivées My Hero Academia Smash!! (la version humoristique) et Vigilante – My Hero Academia Illegals. Un spin-off pas si gadget que ça qui s’intéresse à une autre partie de l’univers en place, en imaginant un groupe de héros rebelles en marge de l’académie, avec des personnages en commun, mais avec une direction très différente. Un nouvel emprunt pertinent aux comics qui donne un second souffle à l’univers déjà bien installé.

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Illustration principale : fanart de LadyGT
Dragon ball © Akira Toriyama / Naruto © Masashi Kishimoto / Bleach © Tite Kubo / One piece © Eiichiro Oda

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