Cet artbook était l’une des sorties les plus attendues de ce début d’année, et le résultat est à la hauteur des espérances avec « plus de 130 images de ses titres incontournables […] à ses œuvres les plus rares » comme l’explique l’éditeur. Le recueil est découpé en trois chapitres, les deux premiers ciblant les œuvres phares d’Itō, Tomie et Spirale, et le troisième traitant le reste.
Grands classiques et pépites inconnues
Ce découpage a le mérite de nous rappeler que l’auteur est versatile, maîtrisant à la perfection les motifs « classiques » de l’horreur (insectes et vers, putréfaction, sang, déformations physiques, …), mais également capable de provoquer le malaise par le biais d’éléments anodins voire familiers. On se surprend à chercher en frissonnant les spirales sur chaque illustration du chapitre éponyme. Un sourire, un regard avec une lueur particulière, une fenêtre noire ou un camion de glaces deviennent sous son trait des menaces palpables.
Junji Itō, c’est une horreur souvent frontale (et parfois carrément dégueu), mais régulièrement reléguée au second plan pour nous sauter au visage au bout de quelques fractions de seconde. Même lorsque l’horreur est frontale, notre esprit va plus loin que ce qui est représenté. Que ce soit dans ses récits ou dans ses illustrations, Itō sait nous en montrer juste assez : suffisamment pour qu’on ne reste pas sur notre faim, mais suffisamment peu pour que notre imagination fasse le reste.
Le chapitre « œuvres diverses » est peut-être le plus intéressant. Ne connaissant pas nécessairement les œuvres dont sont issues les illustrations, on se laisse emporter encore plus facilement. Gageons que même les grands fans de Junji Itō découvriront quelques pépites tirées d’œuvres rares. Si on reconnaît la patte du maître sur chaque image, ceux qui se sont arrêtés à ses deux ou trois plus grands succès seront étonnés de la variété des ambiances et des univers visuels présentés, avec quasiment un concept horrifique par illustration. L’artiste explique d’ailleurs dans l’interview à la fin de l’ouvrage que « même quand il s’agit d’un seul dessin, dans la mesure du possible, [il a] envie de partir d’un concept ou d’une idée ».
Des couleurs pour accentuer la noirceur
L’un des gros plus de cet ouvrage est la sélection d’illustrations en couleur réalisées par Junji Itō lui-même. On connaissait la qualité de ses noirs et blanc, mais la couleur révèle une autre facette de son œuvre. Elle fonctionne particulièrement bien quand elle vient accentuer ce qui constitue l’une de ses marques de fabrique : ce contraste terrifiant entre des visages souriants et juvéniles, et l’horreur visuelle qui les entourent.
Comme il l’explique lui-même, le mangaka s’essaye à de nombreuses techniques différentes pour coloriser ses œuvres. On avouera avoir une nette préférence pour ses colorisations plus « artisanales » (au crayon de couleur ou à l‘aquarelle), les quelques illustrations colorisées numériquement fonctionnant un peu moins bien.
Détail amusant, Junji Itō nous indique dans sa postface qu’il ne se trouve pas très doué pour mettre de la couleur dans ses dessins, et que le résultat est généralement loin de ses espérances. Il souligne même que l’on fera son bonheur si une (!) de ses illustrations réussit à « attirer notre attention ». On ne peut que le rassurer : elles sont nombreuses à nous avoir marqués.
Des bonus qui enrichissent l’ouvrage
L’ouvrage se conclut sur une série de bonus, à commencer par un entretien de quelques pages avec l’auteur. Il est suivi par un index, ou Junji Itō se fend d’un petit commentaire sur chacune des œuvres présentées et les spécificités de leur création, et enfin par une postface qu’il a lui-même rédigée. Des ajouts forts intéressants qui nous apportent de nombreuses anecdotes sur ses récits, ses techniques artistiques, ses influences variées (de Katsuhiro Ōtomo à HR Giger, en passant par Charles Reid), et même ses créatures préférées au sein de son œuvre.
Enfin, un mot pour le graphiste M. Nawata, qui nous propose une mise en page sobre mais très adaptée, venant parfaitement mettre en valeur les œuvres du maître.
Un artbook superbement illustré et mis en page, qu’on vous conseille surtout si vous connaissez déjà Junji Itō ou si vous avez jeté un œil à l’adaptation animée de son oeuvre sur Netflix. Si ce n’est pas le cas, on ne peut que vous inciter à foncer découvrir cet artiste incontournable du manga d’horreur !
Artbook Junji Itō, de Junji Itō chez Mangetsu
Traduit par Yacine Zerkoun
Illustrations : © Junji Itō / Mangetsu
