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Critiques
par Baptiste Gilbert - le 20/02/2023
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par Baptiste Gilbert - le 20/02/2023

Deux BD pour se reconstruire après les attentats du 13 novembre

Après le 13 novembre de Sophie Parra, Davy Mourier et Gery, et Du beau avec du moche, de Kek, sont deux récits de reconstruction après les attentats du 13 novembre 2015. Deux plongées dans la réalité de “l’après”, deux parcours durs mais pleins d’espoir, qui n’oublient pas de nous laisser souffler avec un peu d’humour et de légèreté.

Le point commun entre les deux albums, au-delà de leur sujet, c’est qu’il s’agit de l’histoire de témoins des évènements, racontée par ou avec l’aide de quelqu’un d’autre. Cela illustre sans doute la difficulté de raconter soi-même de tels événements lorsqu’on les a vécus, mais aussi, paradoxalement, le besoin de les raconter même lorsqu’on en a pas les moyens techniques.

Après le 13 novembre de Sophie Parra, Davy Mourier et Gery, Delcourt

Après le 13 novembre est une œuvre à 3 voix : Sophie Parra témoigne de son vécu, et est aidée de Davy Mourier au scénario et Gery au dessin pour le raconter dans cette BD éditée par Delcourt dans la collection Une case en moins.

Sophie Parra était au concert des Eagles of Death Metal, au Bataclan, le soir du 13 novembre 2015. Elle a reçu deux balles, une dans la jambe et une dans le bassin, et s’en est sortie de justesse. Deux temporalités se superposent dans ce récit : la narration alterne entre sa reconstruction physique et psychologique, et le soir de l’attentat, que l’on découvre à mesure qu’elle doit le raconter encore et encore (à la police, aux médecins, aux psys, aux avocats, …).

La violence des évènements est montrée de manière assez frontale, heureusement atténuée par le dessin très rond et doux de Gery. Pour sa première BD, celui-ci montre une impeccable maîtrise de son style, qu’il adapte sans difficulté aux différentes ambiances. On note en particulier un changement de trait et de couleurs lors des flashbacks, comme pour bien accentuer le contraste entre l’intensité de la violence le soir de l’attentat, et la fadeur de la vie dans les mois suivants.

© Sophie Parra / Davy Mourier / Gery / Delcourt

Au fur et à mesure du récit, on découvre les difficultés auxquelles font face les victimes des attentats. Sophie Parra nous explique le calvaire de devoir raconter les mêmes évènements en boucle, la douleur lorsque certains réagissent à la haine par la haine alors qu’on cherche soi même l’apaisement, et la culpabilité d’avoir survécu presque par hasard là où d’autres sont morts. Mais aussi le soutien indéfectible de ses proches, qui lui offrent le soutien dont elle a besoin et apportent au récit des moments plus légers.

En pointant le manque d’empathie de certains professionnels, culminant avec l’effarant combat pour être indemnisé par le Fond de Garantie des victimes des actes de Terrorisme (FGTI), Sophie Parra expose un véritable problème de prise en charge de la part des autorités publiques, qui donne à son récit une portée politique inattendue. La retranscription, en fin d’album, de son témoignage lors du procès des attentats en octobre 2021, vient encore renforcer ce message.

Le choix du médium bande dessinée prend ici tout son sens. Sans la narration apportée par la BD, le témoignage de Sophie garderait une distance qui ne nous permettrait pas d’en saisir toutes les implications. C’est peut-être une des caractéristiques de la BD du réel : créer une proximité, un lien avec un sujet —même difficile— pour mieux le comprendre.

Du beau avec du moche, de Kek, Delcourt

Du beau avec du moche est une bande dessinée de Kek, d’abord publiée en ligne sur son blog avant d’être éditée par Delcourt dans la collection Shampooing. L’auteur, qui s’est mis à la bande dessinée parallèlement à une première carrière dans le web et les jeux en ligne, confirme ici son intérêt pour les histoires d’entraide et d’action face aux difficultés de la vie. Sa précédente BD, Un coin d’humanité (lire notre coup de 💘), racontait en effet son quotidien de bénévole aux Restos du Coeur.

Le soir du 13 novembre 2015, Kek et son amie Amélie P. sont descendus dans la rue pour aider les victimes après les fusillades sur les terrasses. Kek nous raconte ici son histoire, mais surtout celle d’Amélie, des événements qu’ils ont vécu ensemble ce soir-là jusqu’à sa difficile reconstruction qui passera par un projet artistique. Le récit est divisé en 3 parties, ciblant tour à tour le soir du 13 novembre, les jours suivants, et les années suivantes.

La préface rédigée par Amélie est particulièrement touchante, et nous met immédiatement dans le bain, nous criant la difficulté de mettre sur papier ce genre de souvenir. Kek nous raconte la peur et la colère suite aux événements, mais aussi le sentiment de solitude en constatant que tout le monde ne se sent pas aussi concerné.

© Kek / Delcourt

C’est un projet artistique mené par Amélie, qui n’aurait jamais vu le jour si elle n’avait pas été confrontée à ces événements, qui donne son sens au titre de la BD : faire du beau, de l’art, avec du moche, le traumatisme. Amélie va proposer à de nombreux artistes de réaliser des œuvres à partir des boîtes d’antidépresseurs qui s’accumulent chez elle, pour ensuite en faire une exposition. C’est donc avant tout l’histoire d’une reconstruction qui passe par la création et le partage. Cette description s’applique à la fois au projet d’Amélie et à la BD de Kek, qui ont tous deux touché et aidé, à leur niveau, d’autres victimes des attentats.

Le style graphique est simple, mais ce côté brut vient renforcer le propos. Il s’adapte parfaitement aux touches d’humour, et permet sans doute de rendre moins insoutenable l’horreur lorsqu’elle est décrite. Contrairement à la BD de Sophie Parra, Davy Mourier et Gery, la violence n’est ici jamais montrée de manière frontale, l’auteur préférant la dissimuler derrière la frontière de ses cases et de ses décors.

Avec ce récit, Kek vient enfin nous rappeler que les victimes des attentats ne sont pas uniquement celles qui ont été tuées ou blessées. D’innombrables personnes ayant vécu les événements de près ou de loin sont des victimes psychologiques, avec parfois de graves conséquences sur leur santé mentale et physique.

Les autrices et auteurs de ces deux albums partagent courageusement l’histoire de leur reconstruction suite aux attentats meurtriers du 13 novembre 2015, avec un réalisme souvent dur, mais aussi beaucoup d’espoir, et des touches bienvenues d’humour et de légèreté. Des récits inspirants, qui méritent d’être partagés.


Illustration principale : © Sophie Parra / Davy Mourier / Gery / Delcourt
Illustrations :
© Sophie Parra / Davy Mourier / Gery / Delcourt
© Kek / Delcourt

© Sophie Parra / Davy Mourier / Gery / Delcourt
© Sophie Parra / Davy Mourier / Gery / Delcourt
© Sophie Parra / Davy Mourier / Gery / Delcourt
© Kek / Delcourt
© Kek / Delcourt
© Kek / Delcourt
© Kek / Delcourt
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