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par Corentin - le 13/03/2019
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par Corentin - le 13/03/2019

Dragon Ball Super : Broly - La rencontre de générations opposées

Article initialement publié le 8 février 2019

Tandis que se poursuit la série animée Dragon Ball Super, un troisième long-métrage vient s'ajouter à la longue liste des OAVs hors série de la saga, cette fois consacré au tout puissant Broly. Inutile de préciser que ce film était attendu, au regard des générations qui ont grandi avec l'oeuvre d'Akira Toriyama. Emblématique à plus d'un titre de la variété des fans de Dragon Ball, le personnage symbolise à lui seul les variétés de conceptions (ou d'enthousiasme) segmentées au fil des années.

Les débats autour de ce qui est ou n'est pas canon intéressent particulièrement le véritable super guerrier de la légende, apparu au détour de trois long-métrages animés et jamais dans la version papier du manga. Certains choisissent de considérer que Dragon Ball ne couvre que quarante-deux tomes, et que le reste n'est que du surplus pour alimenter le mythe. Des animés particuliers, comme Fusion, sont par exemple implaçables dans la timeline. D'autres défendent le canon des animés hors séries comme un pan à part entière, d'autres encore approuvent l'initiative proposée par Dragon Ball Super, tandis que certains (peu nombreux ?) regrettent l'extension Dragon Ball GT. Tous se rassemblent cependant autour d'une sorte de callumet de la paix collectif, les jeux de baston DBZ où on est tout de même heureux de voir tous les personnages de toutes les grandes parties du manga se fédérer pour une grande distribution de beignes et de boules d'énergie.

Avec Dragon Ball Super : Broly, la Toei passe un grand coup de balai dans les incohérences du canon. Les films Broly précédents sont à considérer comme nuls et non-avenus, et pour ceux qui auront vu les premières bandes-annonces autour du projet, l'animé Fusion disparaît à son tour. Les origines de Bardock (ou Baddack) sont elles aussi amenées à disparaître, puisque Super va ici chercher aux origines mêmes du mythe sayen - un chemin indispensable pour replacer le surpuissant Broly, guerrier aux cheveux verts dont on pourrait se demander si la transformation n'est pas un dérivé des Super Sayan God rouge, Blue ou Rosé. Commençons par le commencement : de quoi parle ce dessin animé ?

Une introduction follement efficace

Le film Broly remonte à l'époque où les saiyans étaient un peuple sous la domination des démons du froid, invincibles tyrans qui auront imposé leur loi à la galaxie avant que Goku, des années plus tard, ne mette un terme au règne du maléfique Freezer. Les premières minutes reprennent trait pour trait l'origine de ce monde tel que le manga avait l'habitude de le décrire : les sayens, un peuple de caste, évaluent les enfants dès leur naissance pour savoir lesquels auront la puissance nécessaire pour devenir de valeureux guerriers. Quelques éléments de contexte s'ajoutent, plutôt bienvenus dans cette part relativement sombre de l'oeuvre qui passionne de nombreux fans.

Alors que le roi Vegeta III apprend l'existence d'un enfant dont la puissance est supérieure à son propre fils, ce dernier décide de l'éloigner pour éviter de faire de l'ombre au prince. Ou pire, de voir l'enfant détruire tout ce que la civilisation sayen a bâti, par peur de ne pas pouvoir le contrôler. Parti avec son enfant, Paragus, père de Broly, va nourrir une envie de vengeance qui ne se manifestera que des générations plus tard, longtemps après la destruction de la planète par le dictateur Freezer et sa fameuse "météorite".

D'entrée de jeu, l'animé fait les bons choix en allant là où on l'attend. Passionnante sur le papier, l'origine des sayens et ce monde de space opera qui aura particulièrement brillé pendant la saga Namek se déploie ici par pure nostalgie, avec une intro bien écrite et suffisamment dramatique pour emmener le début du récit. On se plaît à retrouver cette ambiance singulière, qui joue sur les bonnes cordes et renoue avec la partie spatiale de DBZ, la cruauté de Freezer et l'amour paternel, dans une civilisation que Toriyama décrivait comme froide et impropre aux sentiments humains. Visuellement, de premières bonnes idées se baladent ça et là, et on sent chez Broly la menace lattente et le sentiment de danger qui manquaient à Beerus ou Golden Freezer sur les derniers animés. 

Très vite, le choc des cultures

Cette plongée dans les routines réussies de Dragon Ball, ou Dragon Ball Z, disparaît cependant assez vite dès lors que l'on renoue avec le présent. S'affrontent alors deux styles d'écriture : une ouverture froide, sérieuse et dramatique, pour un retour au présent des plus routiniers. Le retour est pensé A jusqu'à Z comme un épisode anecdotique de Dragon Ball Super. Élément au hasard : l'animé ne propose que Goku et Vegeta au combat, sans l'idée familiale ou horizontale des familles de chacun. Plus encore, l'humour (singulier) est au rendez-vous, le film s'amuse vite à démystifier Freezer avec un esprit couillon qui rappelle plus les premiers tomes de Dragon Ball (et le général de l'Armée du Ruban Rouge) en sapant de leur grandeur les personnages principaux. Cette étrange rencontre entre deux mondes, deux philosophies et deux façons de vivre Dragon Ball est un des problèmes de l'animé, qui va souvent se perdre dans du très léger aux mauvais moments.

Se pose d'ailleurs la question de ce qui reste de Dragon Ball, puisque l'humour de Super n'a rien d'inédit. Dès l'arc Boo, l'auteur avait milité pour un retour à quelque chose de plus candide, proche de ses premiers travaux sur Dr Slump ou dans l'aventure du petit GokuOolong et Bulma. Ses oeuvres d'après, Jaco ou Nekomajin auront été dans le même sens - comme si l'ampleur dramatique, guerrière, de fin du monde, avait dépassé le style de Toriyama. Après que Super ait tenté de reconnecter à ces moments de légèreté, le décalage apparaît plus grand ici par transposition de deux ambiances : l'une très DBZ, l'autre très "normale" dans le climat de la série.

L'ensemble reste cependant suffisamment sérieux pour accrocher, à l'exception de la nouvelle venue Chirai, étrange parachutage née des Galactic Patrolmen. Très peu développée, avec des postures fanservice et une gestuelle issues de réflexes d'écritures très japonais (si vous vous intéressez à l'écriture de personnages féminins, riez). Celle-ci manque de corps ou d'exposition pour devenir intéressante, et prendra un rôle disproportionné à l'échelle du film. De son côté, Broly est trop peu développé passé le stade de l'introduction, et l'envie d'aimer cette nouvelle lecture du héros se heurte à un manque de moments privilégiés. Une scène ou deux de plus avec lui ou son enfance, une fin plus personnelle pour le réinstaller comme le héros culte qu'il était à une autre époque, n'auraient pas été de trop. Ici, le fils de Paragus est surtout et avant tout une menace surpuissante à l'esprit enfantin. 

De ce côté là, l'animé tient toutes ses promesses. Dès les premières secondes des combats, par un jeu de musique et de mise en scène inspirée où la caméra ne cesse de s'approcher et de s'éloigner des héros, dans des chorégraphies aériennes virevoltantes et musclées, la puissance de Broly crève l'écran. Cet adversaire paraît d'autant plus crédible comme un "oublié" de l'échelle de puissance classique, puisqu'il y est présenté comme une anomalie.

Le principe est simple, et théorisé plusieurs fois par Vegeta ou Goku : les sayens deviennent plus forts à chaque combat, s'adaptent à leur adversaire. Lui va plus vite, plus fort dans son adaptation. Le fameux "potentiel infini" vanté par le prince est ici appliqué en direct, mais presque trop rapidement. Le roi Vegeta avait raison d'avoir peur : la puissance de Broly est un rêve quasi-divin dans le mythe saiyan, il est celui qui ne peut pas perdre, qui deviendra plus fort que son adversaire, et pourrait sans conteste terrasser Beerus le cas échéant. Le véritable super guerrier légendaire, dont le pouvoir est rendu à l'écran par des jeux de grossissement perpétuels pour symboliser ses transformations. Et des choix explosifs où la cohérence se perd par endroits.

Des soucis de cohérences ou de consistance 

Derrière ce que l'animé donne avec efficacité, sur le plan de l'action, on pourra s'interroger sur la logique attenante dans le fameux "canon contestable" de Dragon Ball. D'abord, à la façon dont Freezer détruit ici la planète Vegeta, il paraît curieux qu'il garde un souvenir de Bardock au moment de sa rencontre avec Goku, sur Namek. De même que la "technique" utilisée par Goku et Vegeta pour vaincre Broly paraît discutable sur le fond et la forme - d'abord, parce que Super a proposé des alternatives, et ensuite parce que les règles ne s'y retrouvent pas (il faudrait divulgâcher pour en parler donc n'allons pas plus loin). De la même manière que les héros ont déjà rencontré une sorte de Broly avec Kale, et ne paraîssent pas s'en souvenir. Des questions bêtes, qui se posent logique pour une oeuvre si ancienne et qui a empilé un tel amas de règles et de principes - la réponse de l'animé est simple, "ne vous en souciez pas".

Plus généralement, ce Dragon Ball Super : Broly paraît surtout assez inconséquent et à remettre dans la perspective d'une série qui n'aura fait que bâtir par dessus Toriyama, en cherchant à se rappeler au bon souvenir des vieux fans. Mais les bonnes armes ne sont pas forcément employées aux bons endroits : ramener des vieux personnages dans la mythologie de Super était une très bonne idée. En un sens, il aurait cependant été presque plus intéressant de proposer le pan sayen sur Cooler, tant les créateurs de ce film semblent se passionner pour les origines de Dragon Ball, avec les sayens, les démons du froid et cette partie spatiale qui s'efface vite ici. 

L'humour n'était pas non plus l'outil le plus approprié sur Freezer lorsqu'on nous rappelle en début de film le génocide de la planète Vegeta - et qui continue de reconquérir le cosmos pendant que Vegeta et Goku choisissent de nouvelles couleurs à se foutre dans les cheveux. Plus que les autres, le méchant agace particulièrement, simple observateur bête et faussement machiavélique qui traverse le film comme un sale gamin qui voudrait faire une farce à ses camarades de jeu. Le manque général d'enjeu se ressent, et une fois encore, se heurte au comparatif d'oeuvres plus anciennes où il n'était pas nécessaire de ridiculiser le vilain pour avancer dans l'histoire.

Tout de même, l'espoir

Sur des oeuvres de la stature de Dragon Ball, il est évidemment difficile de ne pas tomber dans le piège du "c'était mieux avant". Avant, avant les continuations et les extensions de franchises, demandez leur avis aux fans de Saint Seiya. Mais au détour d'une poignée de semaines où Alita : Battle Angel et Nicky Larson se bousculent dans la file d'attente de débats similaires (mais tout de même plus faciles), on apprécie de retrouver un animé Dragon Ball qui opère à un tel niveau de qualité après les orientations scénaristiques parfois étranges des derniers arcs de la série.

En définitive, Broly fait le choix de la simplicité, pour proposer un affrontement efficace qui va là où on l'attendait et remplit ce qu'il s'était promis de faire. Divertir, bastonner, et réinstaller ce héros aux cheveux verts et aux yeux blancs, si culte qu'il aura inspiré des morceaux à des artistes de hip hop de qualité discutable, et qui agaçait tout le monde quand votre pote qui sait jouer le prenait contre vous dans Budokai Tenkaichi.  Problème, ce que le film est en tant que bon dessin animé Dragon Ball Super n'est pas forcément conforme aux standards d'autrefois.

Pour ceux qui tiennent un organigramme compliqué et plein d'algorithmes à trois décimales pour savoir quel OAV est ou n'est plus canon, renoncer aux pépites Fusion ou Father of Goku est un réel crève-coeur quand on voit ce que la Toei propose en contrepartie. Sans l'inventivité visuelle de l'un ou le sérieux glaçant de l'autre, on apprécie ce Broly avec suffisamment de demi-mesure. Pour des choix d'écritures problématiques, une animation parfois paresseuse et quelques amertumes sur ce qu'il aurait mieux valu faire. Ce qui n'empêche pas l'ensemble de rester efficace, avec des nuances (notions que le fandom passionné a parfois du mal à appréhender).

À rajouter une bande-son faite de hauts et de bas - puissante en tension, parfois marrante sur les thèmes de héros - et un optimisme général sur les dernières minutes, Dragon Ball Super : Broly vaut le déplacement en cinéma pour ses combats réussis et son introduction, à câler aux côtés d'autres films ou épisodes consacrés aux origines sayens. À partir de là, le constat est plus mitigé, mais dans la courbe de progression des films animés Dragon Ball, Broly se révèle plus généreux que Battle of Gods pour ceux qui préfèrent l'action, plus efficace que Resurrection of F pour ceux qui voulaient le retour d'un vilain emblématique, et tout de même pas encore dans le top des meilleurs OAVs pour ceux qui restent accrochés à leurs VHS poussiéreuses. Plus la qualité progressera vers le haut, plus le comparatif avec l'âge d'or sera difficile, et il est possible que les prochains trouvent (enfin) l'équation complète. Rendez-vous en salles dès aujourd'hui pour découvrir Dragon Ball Super : Broly.

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