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Critiques
par Thomas Mourier - le 10/02/2023
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par Thomas Mourier - le 10/02/2023

Interview de Romane Granger pour Bettica Batenica

Sorti début janvier, Bettica Batenica de Romane Granger fait parti, avec Horizons magnétiques de Valentin Giuili, de la nouvelle vague de sortie des éditions Réalistes qui reviennent après une petite pause. Rencontre avec l’autrice.

Cet entretien a été réalisé à Angoulême avec Romane Granger, mais aussi Valentin Giuili, Charles Ameline & Ugo Bienvenu. Retrouvez leurs interviews en fin d’article pour prolonger la discussion. 

Je n’y avais pas pensé, mais on a parlé de Claude Ponti avec Valentin [Giuili, lire l’interview ici], il y a des jeux de mots qui font un peu penser à ça dans ton travail aussi, avec le Razède, c’est une influence ?

Romane Granger / Photo ©Thomas Mourier

Romane Granger : Non même pas. En fait le mot Razède ça vient d’une vraie anecdote personnelle. Moi depuis que je suis petite j’ai une formule magique qui me permet d’effacer les souvenirs et les moments de ma vie que j’ai envie de couper. La formule magique à la base c’était une très longue phrase, et un jour mon beau-père m’a entendu il m’a dit, mais tu sais tu peux dire RàZ à la place, ça veut dire « retour à zéro » et aussi effacer en anglais. C’est une sorte de mantra.

Et du coup c’est le point de départ de ton histoire ?

Romane : Oui ! Depuis que je suis petite, j’imagine qu’il y a des gens qui voient le film de ma vie, et j’ai envie de faire des cuts dans certaines scènes. Du coup je m’étais dit « punaise c’est quand même un peu bizarre comme truc » (rire), et que ce serait marrant d’utiliser ça, d’en faire une histoire, et de se servir de ce truc pour parler de la mémoire, de la construction de l’identité, etc. Donc oui c’est vraiment le point de départ.

Tu parles de thèmes de société, mais dans un univers de SF. Comment est-ce que tu as décidé d’aller vers la SF plutôt que vers une histoire contemporaine ?

Romane : Au départ je n’étais pas partie sur un truc de SF. Je voulais que ce soit un peu un truc de secte quand même, mais ça aurait pu se transformer en quelque chose de terroriste, ou autre.  Et finalement en en parlant avec Ugo, il m’a dit que c’était trop marrant l’idée de la formule magique, et il m’a conseillé de rester dans un truc magique. Du coup c’est pour ça que je suis partie plus sur de la SF. Je me suis dit que c’était plus intéressant, et que ça me permettrait de dessiner des chapeaux pointus de sorcier (rire).

Tu mixes pas mal de choses, on a le début qui fait un peu polar, on a le côté SF, il y a aussi un côté conte vers les deux tiers qui vient casser un peu le récit, et la fin est très intimiste. Comment est-ce que tu as travaillé cette progression ?

Romane : Je savais que le thème principal serait le côté plus intimiste, savoir pourquoi ce personnage de Bettica Batenica a créé cette formule magique. Je savais que je voulais aborder les thèmes de l’identité, du pardon, etc. Pour le début sous forme d’enquête policière, je me suis dit que c’était la meilleure manière d’entrer dans la secte et de rajouter du mystère. Pour le côté SF, c’est par goût personnel parce que je lis majoritairement de la SF et de la fantasy, donc ça me faisait plaisir.

Est-ce que tu as construit tout ton storyboard en te disant que ça irait dans une direction ou est-ce que certaines séquences se sont intercalées ?

Romane : C’était assez chaotique comme écriture. Je n’ai pas fait de scénario entièrement à l’écrit. J’ai commencé direct à faire le storyboard, mais je dessinais sans savoir ce qui allait se passer la page d’après. Une fois que je suis arrivée à la moitié du livre, donc au moment où il y a un retournement de situation, j’ai commencé à m’arrêter, à cleaner mes planches, et en même temps à réfléchir à comment allait se passer la fin. J’ai continué à storyboarder la deuxième partie, et quand j’ai fait lire la première version à Charles [Ameline] et Cédric [Kpannou] ils m’ont dit qu’on ne comprenait rien, que c’était bien d’être mystérieux, mais que là ça l’était vraiment trop (rire). Du coup je suis revenue au storyboard. C’était un peu un jeu constant de « je board/je dessine/je board/ je dessine/ etc ».

Tu joues vraiment sur le non-dit, comment tu doses ça, le fait de ne pas trop en dire, de dire des trucs mystérieux, mais de s’arranger pour que l’oncomprenne quand même ?

© Romane Granger / éditons Réalistes

Romane : C’était le plus dur, mais je pense que c’est le cas dans tous les trucs d’écriture, la peur de trop en dire et que ce soit trop explicatif pour le lecteur. Pour doser ça, je l’ai fait lire à plein de nouvelles personnes. À chaque fois qu’il y avait une nouvelle version, je le faisais lire à quelqu’un qui ne l’avait pas lu et je lui demandais ce qu’il/elle avait compris. Ça m’a beaucoup aidé, j’ai pu ajuster en ajoutant des dialogues, etc.

Tu avais envie de bosser sur cette notion-là spécifiquement ?

Romane : Oui. Ça parle de quelque chose d’assez intime, et je ne voulais pas que ça soit de l’autobiographie un peu chiante. Je voulais qu’il y ait assez de non-dits pour que les personnes qui lisent puissent mettre un peu de ce qu’elles voulaient aussi dans cette fin. C’est pour ça que je voulais que ça soit assez dosé.

Dans tes planches il y a des jeux constants sur des formes et des motifs qui reviennent, qui se superposent, avec des principes d’animation ; c’est assez peu usité en BD, tu as eu envie de faire ça spécifiquement ou c’est ton autre travail qui t’influence ?

© Romane Granger / éditons Réalistes

Romane : J’aime beaucoup travailler les motifs, et en l’occurrence dans le livre il y a un motif qui revient très souvent c’est le rond. C’est aussi un peu lié à l’histoire. Je voulais que cette histoire de perles, de souvenirs ça se retrouve aussi un peu partout, dans toutes les formes, les carrelages, c’est pour ça que ce motif se répète.

Personne ne le saura à part moi, mais il y a aussi de la symbolique dans les couleurs. On retrouve souvent un orange très très vif, qui symbolise l’oubli et la mémoire. Ça me permettait aussi de faire des choix graphiques en me disant par exemple « là ça va être la séquence d’oubli, donc je vais tout faire en orange ». Les autres couleurs n’ont pas vraiment d’impact narratif, c’est surtout le orange, et de manière totalement arbitraire (rire).

Toujours sur les motifs, tu insères dans tes planches des tableaux, des vitraux, etc, comme des motifs dans le motif, des cases dans les cases, là aussi c’était une envie de faire une double lecture ?

Romane : Oui, notamment sur les vitraux. Je cherchais une manière pour Bettica de raconter son histoire, et je m’étais dit que ce qui serait logique c’est que cette fille n’ait pas d’enfance, qu’elle ait tout effacé, et comme elle est quand même patronne d’une secte, il y a un délire un peu mégalo. Du coup elle s’est créé sa propre église, et c’était important qu’ils aient des vitraux pour le nouveau dieu de l’oubli.

Je dérive un peu, mais il y a un côté Usual Suspect, dans le sens où elle improvise ses réponses. Il y a de ça dans son personnage ?

© Romane Granger / éditons Réalistes

Romane : En tout cas dans les dialogues il y a un peu de ça. Pour tous les dialogues quand je faisais le board de ma planche je ne savais pas ce que les personnages allaient dire. Et donc la nuit avant de m’endormir, dans l’espace entre sommeil et éveil, je m’imaginais comme une scène de film avec mes personnages et j’attendais qu’ils se mettent à parler. C’est peut-être pour ça qu’on a l’impression qu’elle improvise quand elle parle.

On parlait du rond comme motif, il y a aussi les clefs, les serrures, etc. C’était une volonté d’utiliser ces symboles là, ou c’est venu sur le moment ?

Romane : J’avais des images un peu fortes en tête, je savais qu’à un moment il y aurait telle case,  par exemple je voulais vraiment commencer par un coffre dans un plan et faire un effet de zoom. Il y a simplement certains dessins que j’avais envie de faire. C’est aussi pour ça que ça se passe en Ardèche, parce que j’avais envie de dessiner des montagnes (rire).

Quels sont tes outils, tu travailles comment ?

Romane : Je commence par faire un « rough », un brouillon très brouillon sur un carnet, et après je passe direct à l’ordinateur. J’utilise Photoshop.

Tu fais de l’animation et souvent les gens qui font de l’animation sont un peu caméléons, ils s’adaptent à tous les styles. Comment on fait pour trouver un style sans copier ?

© Romane Granger / éditons Réalistes

Romane : J’ai l’impression que c’est sans fin : on cherche tout le temps notre style. Pour la BD en tout cas, ce qui m’a un peu cadré c’est que le format est petit, et donc je voulais un peu épurer le trait.
Par contre, c’est vrai que je dessine différemment sur papier et sur tablette. Sur papier je vais faire plein d’ombrages au crayon à papier, alors que sur tablette j’aime bien dessiner à la ligne claire. Je pense que le style de dessin est venu au fil des années.

Charles Ameline [L’un des éditeurs de Réalistes, lire son interview ici] : Ta question sur l’animation est très intéressante, je trouve qu’il y a beaucoup d’animateurs qui ont été formés à copier puisque ça fait partie des nécessités du métier. Je ne sais pas exactement comment ça se marque ou s’ils perdent leur style avec ça, mais nous en tout cas on ne travaille pas du tout avec des animateurs comme ça, ils ont tous leur style.
Je pense que pour le coup c’est un peu le pendant en bande dessinée du travail que fait Ugo chez Remembers, qui est son studio d’animation, où en effet on retrouve vraiment une palette de styles incroyable. C’est rare d’avoir autant de styles différents dans un studio d’animation et des styles aussi affirmés.

Est-ce que pour les prochains projets tu veux essayer de changer complètement ou prolonger un peu ce style ?

© Romane Granger / éditons Réalistes

Romane : J’aimerais bien, peut-être, ramener du détail. Faire des dessins où on a envie de regarder plus longuement chaque case. 

Valentin Giuili : (rires) Tu vas faire le chemin inverse.
(lire l’interview de Valentin ici où il parle de ses choix graphiques

Comment se passe la sortie de ton premier livre à Angoulême ?

Romane : C’est hyper excitant ! J’ai l’impression d’être passée par plein de phases, j’étais hyper excitée jusqu’à la semaine dernière, ensuite je ne voulais plus y aller, ça me faisait trop peur. C’est hyper particulier. Et oui la première dédicace avant-hier c’était quelque chose.

Valentin : C’est vrai que c’est un peu les montagnes russes en termes d’émotions.

Romane : En tout cas c’est trop cool de voir que des gens font la queue pour avoir un dessin alors que c’est notre premier livre, personne ne nous connaît. En plus, tout le monde est vraiment gentil. Niveau retours sur le bouquin je ne sais pas, ils n’ont pas vraiment eu le temps de le lire (rire).

Charles : Pour Romane notamment, on commence à avoir des retours très pertinents et on est super contents, mais en effet niveau lecteurs c’est tout récents donc ceux qui viennent ils achètent le livre pour le découvrir. Ils peuvent être attirés et impressionnés par le dessin, ce qui est flatteur pour nous et pour eux, mais ils ne peuvent pas donner d’avis sur l’histoire puisqu’ils ne la connaissent pas encore.

Continuez avec 
L’interview de Valentin Giuili pour la sortie de son livre Horizons magnétiques
La discussion avec Ugo Bienvenu & Charles Ameline autour des éditions Réalistes
Et découvrez Bettica Batenica


Toutes les images sont © Romane Granger / éditons Réalistes

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