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Critiques
par Thomas Mourier - le 17/05/2024
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par Thomas Mourier - le 17/05/2024

« La couleur est indissociable du travail des autres auteurs sur un album » Interview de Christophe Araldi pour Reines & Dragons

À l’occasion de la sortie de Reines & Dragons où Joann Sfar ouvre un nouvel univers de fantasy décalé peuplé de reine orpheline championne de close-combat, de dragon joueur de mandoline et de bicyclette magique, nous avons rencontré Christophe Araldi qui a mis en couleur ce livre.

Christophe Araldi © DR

Un conte philosophique, humoristique qui fait la part belle aux scènes de bastons et batailles épiques dans la lignée des Donjon, Commando Barbare ou L’Ancien Temps et qui adopte cette fois une patte plus rocambolesque dont la couleur se fait le miroir ici. Pour ce nouvel univers, Joann Sfar est allé chercher Christophe Araldi, un coloriste qui publie peu après une période où il s’est fait remarquer sur les séries Wollodrïn et Aquablue pour enrichir cette nouvelle saga. Je vous propose un entretien avec lui sur son travail sur Reines & Dragons et les coulisses de cet album.

Comment êtes-vous venu à la couleur en bande dessinée ? 

Christophe Araldi : À l’origine, j’étais graphiste et créateur multimédia, j’avais une formation plutôt orientée design. Je me suis dirigé vers le graphisme, l’infographie et le multimédia.

Puis toute cette aventure a commencé à Lyon, à la fin des années 90, lorsque j’ai eu la chance de rencontrer Denis Falque. Il travaillait à ce moment-là sur Le fond du monde pour les Éditions Delcourt et il n’avait plus le temps de gérer ses couleurs. Tout est parti d’un pari que je lui ai lancé en lui disant que j’étais capable de faire quelque chose en couleur avec mon ordinateur et de là, c’était parti !

Je me suis formé en autodidacte comme coloriste sur la mise en couleur sur Photoshop et Denis m’a choisi en tant que coloriste sur le T5 du Fond du monde. Les Éditions Delcourt m’ont ensuite proposé de travailler sur Quaterback avec David Chauvel et Malo Kerfriden et ce qui a fait décoller les choses, c’est quand j’ai fait un remaster des couleurs du T1 et 2 d’Aquablue.

Comment êtes-vous arrivé sur Reines & Dragons

C.A. : Pour Reines & Dragons, j’avais mis en pause de manière plutôt définitive mon travail de coloriste parce que je suis directeur adjoint d’une école d’arts appliqués et Thomas Ragon m’a contacté pour me parler d’un projet mené par un auteur qui souhaitait que je sois en charge de la couleur.

J’avais l’envie, je pouvais trouver un peu de temps. Il m’a alors dit que c’était Joann Sfar. J’ai cru que c’était une blague, mais s’en était pas une alors j’ai accepté parce que c’est une invitation qui ne se refuse pas. Lors de nos premiers échanges avec Joann, il s’est avéré que ce qu’il l’avait motivé à me contacter pour ce projet, c’était mon travail sur Wollodrïn avec David Chauvel et Jérôme Lereculey. J’ai fait une planche de test pour voir si ça collait et c’était parti.

Comment on s’adapte au trait, à l’univers d’un dessinateur ? Est-ce qu’il y a beaucoup de discussions au préalable ? 

C.A. : Joann souhaitait vraiment que je reprenne la patte que j’avais sur les décors de Wollodrïn. J’ai un travail assez instinctif sur mon approche de la couleur donc je visualise assez vite ce que je peux faire sur le trait d’un dessinateur. 

© Christophe Araldi

Je n’avais jamais vraiment travaillé sur un dessin comme celui de Joann jusque-là, donc on est partis sur des décors assez peinture, des ombrages et des lumières très tranchés sur les personnages pour avoir un rendu presque dessin animé. On voulait des décors plus travaillés que les personnages en termes de texture et de modelé. 

Il y a eu quelques petites adaptations à faire parce que Joann avait une vision précise de ce qu’il voulait faire, mais il m’a laissé beaucoup de libertés. Il savait pourquoi il venait me chercher, et j’ai moi aussi, vite cerné ses attentes. Les choses se sont déroulées plutôt facilement.

Reines & Dragons a la particularité d’avoir énormément de scènes de nuit, on voit que vous jouez beaucoup avec les lumières et les éclairages, ce sont des scènes différentes à traiter ? 

C.A. : J’ai une approche de la couleur où je travaille beaucoup la lumière. Je suis moins sur une approche abstraite de la couleur, mais j’ai plutôt des références cinématographiques dans mon travail. J’adore jouer avec la lumière et les contrastes, même si j’ai pas de préférence entre les scènes de nuit ou de jour. 

C’est vrai que c’est deux approches différentes : dans les scènes diurnes, je vais plutôt poser des ombres, tandis que pour les scènes de nuit je vais travailler par aplats de teintes assez sombres pour venir faire remonter des lumières afin de séparer les différents plans et faire ressortir les scènes et les personnages. 

© Christophe Araldi / Dargaud

C’est aussi un album où le narratif prend le pas sur le dialogue ce qui pousse le dessinateur à créer des cases qui se suffisent, des ruptures fortes (de temps, de lieu), est-ce que c’est plus complexe à mettre en couleur ?

C.A. : Ce qui est complexe, c’est de savoir quand s’arrêter pour ne pas faire disparaître le dessin, tout en gardant la dynamique du trait de Joann sans l’éteindre avec trop de modelés ou trop de textures. C’est cette frontière qui a été la plus difficile à trouver. Ça a été mon plus grand défi !

Je n’ai pas trouvé ces ruptures complexes, au contraire c’était très amusant. Cette variété d’environnements, le fait de passer d’une ambiance à une autre dans les ellipses est plutôt sympa parce qu’on n’est pas sur quelque chose de monotone, on reste jamais dans la même ambiance et ça permet de varier les choses. La richesse du dessin de Joann, tous les détails qui se passent en arrière-plan ou même sur la couverture m’intéressent énormément et ça me laisse de la matière pour bien m’amuser. 

Il y’a une dimension graphique dans votre travail de couleur, est-ce qu’il faut redessiner des objets, matérialiser des emplacements de lumière ou des éléments naturels ? 

C.A. : J’essaye toujours d’être dans une approche respectueuse du dessin. Si le dessin amène à ce travail-là, je vais me sentir obligé de le faire, mais parfois il n’est pas nécessaire d’aller trop loin. Ça dépend vraiment de la composition de la case ou de la page, de l’encrage et de ce qu’il se passe.

© Christophe Araldi / Dargaud

Pour Reines & Dragons, le travail sur les flammes va demander qu’on apporte de la texture alors que la flamme est dessinée d’un trait,  il faudra aussi penser où va porter cette lumière et cette chaleur pour que ça prenne sa juste place sur la page.

Est-ce que pour votre travail vous avez besoin d’avoir une vision d’ensemble ou ça se fait plutôt par groupe de pages ? 

C.A. : Pour ce projet, ça s’est fait par groupe de pages. Je ne savais pas trop où j’allais, d’autant que c’est un travail qui s’est fait sur un temps assez long puisque j’étais pris par mon travail à côté. Il fallait que j’adapte ma méthode au trait de Joann donc il y avait quelques contraintes techniques. 

J’ai eu 2 grosses livraisons de pages et je travaillais sans savoir où j’allais vraiment. Il y avait ce côté un peu « pochette surprise » quand je recevais ces pages où j’ignorais ce qui allait arriver aux personnages. C’était chouette de découvrir les choses au fur et à mesure.

Quels sont vos outils ? Est-ce que vous pouvez nous décrire un peu comment vous travaillez ? 

C.A. : Je travaille en numérique sur Photoshop, j’ai une vieille machine, une ancienne version de Photoshop qui me convient parfaitement et une tablette Cintiq. Avec mon stylet, c’est comme si je travaillais la peinture sur une toile. 

© Christophe Araldi

Je travaille également avec un aplatiste, Joël Costes, dont le travail m’a permis d’avancer plus vite car il vient délimiter chaque zone et chaque élément avec des couleurs assez basiques. Une fois qu’il a terminé ce travail, je reprends ces pages et ça me permet d’avoir tous les éléments délimités et de pouvoir  me concentrer sur le travail de mise en lumière, de texture et d’ombrage de manière plus efficace. 

J’ai pas de gamme prédéfinie, ça fait partie de ma façon de faire car j’ai une vision assez claire de ce j’entrevois sur la page en termes d’ambiance et de couleurs. Je travaille avec très peu de brushes différents, j’en ai un en particulier que j’utilise pour à peu près tout ce que je fais. 

Pour le travail des personnages, je travaille en sélection au lasso et je viens découper les zones de lumière ou les zones d’ombre. J’ai pas de textures externes que je viens rajouter à la couleur, le texturage se fait au pinceau comme si je travaillais à la peinture en traditionnel. 

Dans votre biblio, on retrouve beaucoup de Science-fiction / anticipation ou fantastique, ce sont des choix ? Est-ce qu’il y a des genres où vous êtes plus à l’aise ? 

© Christophe Araldi / Dargaud

C.A. : Ce n’est pas vraiment des choix que j’ai faits durant ma carrière.  

Je pense qu’Aquablue m’a rangé dans une certaine catégorie, il m’a ouvert à la SF et au semi-réalisme. Puis Wollodrïn m’a rangé dans l’heroic fantasy. Quand je faisais de la couleur à temps plein, il fallait que je produise 6 à 8 albums par an, donc j’ai beaucoup travaillé avec les Éditions Delcourt et avec David Chauvel qui est arrivé avec des projets qui se sont imposés à moi.

J’aurais adoré travailler sur des albums en faisant plus d’aplats, mais on est venus me chercher pour des projets plutôt « grand spectacle », avec des effets, de la lumière et très travaillés. 

Les coloristes ont un statut un peu à part, et leur reconnaissance évolue, est-ce que vous pouvez nous parler de sa place aujourd’hui ? 

C.A. : Lors de festivals, j’ai pu animer des conférences durant lesquelles j’ai eu l’occasion de parler de ma méthode de travail. Je pense que le public a bien réalisé ce que représente le travail de coloriste et la plus-value qu’il peut apporter à un album. 

Il y a une vraie reconnaissance du public et des éditeurs sur ce métier. Chez Delcourt et Dargaud, j’ai toujours travaillé dans de bonnes conditions parce qu’on avait des droits et c’est rare que les éditeurs donnent des droits aux coloristes.  

© Christophe Araldi

Le public comprend que la couleur est indissociable du travail des autres auteurs sur un album. La couleur peut faire en sorte qu’un album fonctionne ou qu’il ne fonctionne pas. C’est arrivé que pour certains livres, on vienne me chercher pour soutenir un dessin qui pouvait manquer de perspective ou de profondeur, là où la couleur pouvait pallier ce manque. 

Est ce que vous travaillez sur d’autres albums ? 

C.A. : Non, je ne travaille pas sur d’autres albums pour le moment. J’espère que cet album va fonctionner pour nous permettre de faire un tome 2. Pouvoir offrir une suite des aventures de la petite reine aux lecteurices, c’est un souhait qu’on partage avec Joann. Je ne sais pas s’il à une idée précise en tête, mais la volonté de continuer à travailler ensemble est bien présente.

Ponctuellement, j’ai travaillé sur la couverture de l’intégrale de Wollodrïn. Je peux faire ce genre de petits boulots et ça me fait plaisir parce que je retrouve des personnages et des anciens collègues que j’ai quittés depuis un moment. 

Donc pour l’instant, je ne m’engage sur rien, mais si je dois ressortir le stylet, ce sera pour la suite de Reines & Dragons

Si cette interview à aiguisé votre curiosité, vous pouvez découvrir les premières pages de l’album ici et sur Bubble, un ex-libris est offert pour l’achat de cet album. N’hésitez pas à partager vos impressions en commentaires après avoir lu cet album pour prolonger la discussion. 

Reines & Dragons de Joann Sfar, couleurs de Christophe Araldi, Dargaud 


Tous les visuels sont ©Joann Sfar / Christophe Araldi / Dargaud
et ©Christophe Araldi

© Christophe Araldi / Dargaud
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