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Édito
par Thomas Mourier - le 2/04/2021
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par Thomas Mourier - le 2/04/2021

Des cartes Pokémon pour riches ? : ces comics devenus objets de spéculation

Les auteurs de Dr Strange n’avaient pas encore imaginé cette version de l’univers Marvel, qui va s’étendre à toutes les bandes dessinées, un univers où les illustrations deviennent de la monnaie au même titre qu’un Bitcoin. Plongée en eaux troubles, dans le monde des comics et des NFT…

Une nouvelle approche du marché de l’art qui a permis à Adam Kubert de vendre une illustration de Spider-Man 25 000 dollars et à José Delbo de proposer une Wonder Woman à 452 000 dollars ! Ou encore à Matt Kindt de proposer une œuvre fantôme…

Avant de commencer, il faut que je vous explique ce qu’est une cryptomonnaie. La plus connue et plus utilisée étant le Bitcoin, mais juridiquement c’est un peu flou, la France ne reconnaît pas officiellement ces monnaies par exemple, mais les places dans la catégorie des actifs numériques pourtant on peut les utiliser et certains sites les acceptent comme moyen de paiement. Il en existe d’autres en plus du Bitcoin comme Ethereum qui va nous intéresser ici.

Ces cryptomonnaies sont des unités monétaires virtuelles qui ne dépendent pas d’une bande centrale, et qui sont associées à la fois à aux outils de chiffrement (ou cryptographie), mais aussi aux utilisateurs qui peuvent fabriquer et utiliser cette monnaie. Cette technologie est basée sur la « blockchain ». 

Je vous dis un mot sur la blockchain et on revient à Spider-Man et Wonder Woman.

La blockchain permet de garder la trace de toutes les transactions, à la fois de manière chiffrée et sécurisée, mais aussi en accès libre et partagé. Il est possible de reconstituer tout l’historique des transactions et normalement impossible à falsifier. 

Des planches à la cryptomonnaie

©Adam Kubert

Sur cette base de la blockchain Ethereum sont apparus les NFT (non-fungible token) pour tokens non fongibles. Un NFT est un certificat d’authenticité unique non interchangeable (c’est la petite différence avec le Bitcoin) qui représente une unité ou une propriété numérique. 

Créé en 2017 pour des cartes d’animaux de compagnie virtuels, Cryptokitties, dont la plus chère est partie à 170 000 dollars (vous voyez le rapprochement avec les Pokémon à une échelle plus 💰 ?). Plusieurs plateformes permettent à la fois, d’authentifier l’œuvre que de la mettre en vente en lui attribuant un NFT, mais aussi l’acheter… N’importe qui peut vendre n’importe quoi, si la plateforme accepte votre proposition. 

Cette technologie est reprise par la société Portion pour proposer des œuvres d’art virtuelles. Elle s’est même associée à Marvel, depuis février, pour vendre certaines créations originales, dont ce Spider-Man à 25 000 dollars (plus exactement 12,75 Ethereum) par Adam Kubert : l’œuvre est visible ici.

Plus d’une 60e d’œuvres uniques (liées à Marvel, DC ou Dark Horse) et devenues NFT sont disponibles sur le site : Adam Kubert, Dave Johnson, Klaus Janson, Matteo Scalera, Amanda Conner… qui proposent du Batman, Hellboy, Spider-Man ou Wolverine.

En plus de l’œuvre, on peut voir ici les transactions liées : vous pouvez donc reproduire cette œuvre en fond d’écran, il est possible de vendre des copies parfaites pour décorer le salon, mais il existe un seul propriétaire de cette création numérique et qui pourra la revendre.

Pas de Stephen Strange dans les dessins proposés, mais cette dimension parallèle est en train de s’installer. Le Time Magazine a vendu une couverture virtuelle en NFT et envisage même de laisser la possibilité de s’abonner avec cette cryptomonnaie et prévoit de proposer cette utilisation à d’autres acteurs de la presse et de l’édition. Un usage qui va probablement se répandre dans les années à venir et devenir une composante de l’édition et de la marchandisation de l’art. 

Des auteurs audacieux ?

©José Delbo

L’auteur Omar Spahi a été le premier à proposer sa série Xenoglyphs sous forme de NFT sur le site Rarible. Le premier numéro est en vente et cela fait de lui le pionnier de cette marchandisation d’une œuvre complète (et non plus une simple illustration). L’enchère est en cours et le prix le plus haut à ce jour est de 5 790 dollars.

Pour les records, la Wonder Woman de José Delbo à 452 000 dollars est visible ici (il a vendu 153 versions de cette image pour arriver à ce chiffre).

Une prouesse qui cette fois ne faisait pas partie d’un accord et Jay Kogan, Vice-président du service juridique interne adresse une lettre aux auteurs maison pour expliquer qu’ils ne sont pas libres d’utiliser les personnages DC pour vendre des illustrations en NFT pour le moment. On imagine que le vide juridique sera vite comblé, mais en attendant José Delbo a réussi son coup. 

Autre exemple étonnant qui suit l’exemple de Spahi, la version MIND MGMT : The Artifact de Matt Kindt qui est une histoire inédite liée à la série MIND MGMT qui ne sera pas publiée, mais vendue sous forme de NFT : au nouveau propriétaire de choisir s’il la publie ou non, la diffuse ou la garde pour lui.

Vous pouvez quand même lire la série ici (et notre coup de cœur là, on ne le vend pas en NFT promis). 

La guerre des bulles  

Un petit Batman à 338 000 euros ? (il est dispo !)
©Dave Johnson

La bande dessinée est justement un média basé sur la reproduction de masse, où le produit fini est l’objet imprimé et non l’original qui peut être constitué de planches sur papier ou de dessins numériques ou souvent les 2 pour la couleur. Le marché de l’art s’était déjà approprié l’exposition et la vente des originaux, avec des sommets pour les créations liées à Hergé ou à Enki Bilal pour notre contemporain le plus prisé. 

Aujourd’hui, il est donc possible via Portion et concurrents, que des auteurs puissent vendre des dessins virtuels plus chers que des originaux via le système d’enchères lié à ces NFT. Qu’ils puissent profiter du côté international et des investisseurs occasionnels. 

A priori une bonne chose, mais en creusant, on s’aperçoit que l’on a pas accès aux commissions de ces plateformes ou aux sommes que touchent réellement les auteurs. On trouve sur Rarible, le site qui vend l’œuvre d’Omar Spahi que l’auteur aurait 20% de la somme « 20% of sales will go to creator ». Tout de suite ça fait moins rêver. 

Sur les 25 000 dollars de son Spider-Man, Adam Kubert n’aurait donc touché que 5 000 dollars ? (et, est-ce que Marvel lui prend une commission sur ces 5 000 dollars, il y a peu de chance que la plateforme Portion rogne sur sa part, donc certainement). Si on résumé cette opération : un investisseur anonyme a payé 25 000 dollars (+ les frais) et l’auteur a touché moins de 5 000 dollars sur cette somme folle…

Côté investisseurs justement, on élimine les possibilités de vol, de dégradation ou de problème de stockage/conservation qui complexifie. On a une illustration qui s’achète et se revend comme un titre en bourse dans un portefeuille virtuel. Et cette facilité appelle une nouvelle vague d’investisseurs qui n’auraient pas forcément investi dans des planches pour les raisons évoquées plus haut.  

Et bien sûr, tout cela crée une bulle spéculative qui peut exploser et faire perdre beaucoup d’argent à tout le monde, dont les auteurs qui auraient misé sur ce système… 

Pour les lecteurs, c’est la possibilité de voir passer de belles images, pour les investisseurs c’est un nouvel eldorado, mais pour les auteurs, ces pourcentages à 20% sur des sommes aussi grandes ne présagent pas une bonne nouvelle. Encore une fois les créateurs sont écartés des possibles bénéfices de leur travail au profit de plateformes qui savent comment monétiser le travail des autres.


Illustration principale : © Andy Kubert (oeuvre en vente sur la plateforme)

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