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Édito
par Thomas Mourier - le 28/08/2020
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par Thomas Mourier - le 28/08/2020

Images sensibles : pédo-criminalité, entre condamnation, morale et censure

Sujet sensible, où la frontière entre morale et censure reste floue en ce qui concerne les œuvres ; même si pour les individus condamnés, la question ne se pose plus. La pédo-criminalité est un tabou, en parler ou l’évoquer reste très compliqué.

Plusieurs œuvres, d’auteurs connus ou non, ont fait l’objet de surveillance ou d’accusations ; et la suspension du titre Act-age le 19 août par son éditeur, suite à une condamnation du scénariste de la série, nous a poussé à proposer ce dossier autour de ces livres épineux. 

⚠️ Ces sujets sont propices aux réactions très fortes, aux débats enflammés et aux avis tranchés aussi je vous invite à garder un ton mesuré dans les commentaires ou sur nos réseaux  : Facebook Twitter Instagram.

Une face sombre derrière de grandes œuvres 

Cet été une triste nouvelle a ébranlé le monde du manga, avec l’arrestation et la condamnation pour agression sexuelle sur mineures de Tatsuya Matsuki, scénariste de la série Act-age. Tandis que la justice japonaise se charge de l’individu  et que l’on pense aux victimes, l’éditeur Shueisha a suspendu la suite de la série qui paraissait dans le prestigieux magazine Weekly Shonen Jump. Le prochain chapitre sera le dernier et le manga ne sera ni réimprimé ni distribué en numérique pour cette série qui paraissait depuis 2018 et dont la publication française avait démarré cette année chez Ki-oon. 

Act-age de Tatsuya Matsuki et Shiro Usazaki

L’éditeur français a publié un communiqué annonçant la suspension de la série chez eux également, rejoignant Shueisha. Coup dur pour la jeune dessinatrice Shiro Usazaki, révélée par cette série brillante. On espère la revoir, soutenue par son éditeur, sur un autre projet.

C’est l’un des premiers cas au retentissement international où un mangaka est condamné et sa série annulée par son éditeur. Il y eut un précédent en 2017 avec la condamnation de Nobuhiro Watsuki l’auteur de Kenshin le Vagabond, pour possession d’images pédo-pornographique. Le mangaka à succès a écopé d’une amende et d’une pause forcée dans la publication de son manga et a repris depuis ses activités. 

Que dit la loi ? 

Sujet très sensible, au point que le gouvernement métropolitain de Tokyo a promulgué un texte en décembre 2010, limitant les mangas à contenu pornographique dans la capitale. Un texte qui prévoit de limiter la vente et la distribution de manga ou anime aux scènes jugées obscènes comme les viols, incestes ou actes sexuels avec des enfants ( jido-poruno.) 

© Eric Drooker

En France, il existe depuis le 16 juillet 1949 une loi sur les publications destinées à la jeunesse qui « ne doivent pas présenter sous un jour favorable le banditisme, le vol, la paresse, la lâcheté, la haine, la débauche ou tous actes qualifiés crimes ou délits ou de nature à démoraliser l’enfance ou la jeunesse, ou à inspirer ou entretenir des préjugés ethniques ». Elle est complétée d’une commission de surveillance des publications destinée à la jeunesse qui dépend du ministère de l’Intérieur, veille à l’application de cette loi et établit des rapports sur tous les journaux. Vous pouvez consulter le dossier 49-956 ou la démoralisation de la jeunesse : autour de la loi du 16 juillet 1949 sur le site de la Cité qui revient sur certains cas appliqués à la bande dessinée. 

Le Code pénal français a également mis en place plusieurs loi décrivant l’interdiction de la pédopornographie et les infractions associées ainsi que des dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France. À l’article 227-23 on peut lire que la création, mais également la diffusion, transmission et l’enregistrement d’une image ou représentation d’un mineur avec un caractère pornographique sont punis et catégorisés en fonction du délit. Cette loi est renforcée depuis 2002 en précisant que la simple détention de tels documents est punie.

Dommages collatéraux ou la piste suédoise 

En 2012, Simon Lundström, un expert et traducteur de manga (One Piece, Detective Conan, Full Metal Alchemist…) a été condamné par la Cour Suprême suédoise pour possession de pornographie infantile. 

Panorama de la bande dessinée érotique clandestine de Bernard Joubert

Après avoir fait appel et analyse des images incriminées relevant du genre hentaï, il a été acquitté, le tribunal estimant que ces images non réelles ne pouvaient pas être punies et que Simon Lundström pouvait en justifier la possession et sa bonne foi en tant qu’expert et traducteur de série. Un verdict qui va dans le même sens que les interventions de Björn Sellström, policier spécialisé dans la lutte contre les crimes sexuels sur les enfants liés à Internet maintenant expert à Interpol, qui tient à distinguer ces hentai de choses plus sinistres : « Je suis sceptique sur le bénéfice rendu aux enfants qui souffrent réellement de vrais abus », écrit-il dans le quotidien Dagbladet traduit par Clément Solym pour Actualitté. « Ces enfants qui sont victimes d’abus documentés [enregistrés] méritent mieux que d’être mis dans la même catégorie que ces « créatures à forme humaine. »

« Lolicon » un cas particulier ?

Lolita de Nabokov

Certaines de ces images se rapprochent d’un courant appelé Lolicon (« lolita complex ») au Japon, désignant les productions artistiques mettant en scène des personnages féminins jeunes ou non majeurs. Un mot inspiré de Lolita, le roman de Vladimir Nabokov.  D’autres termes comme shotacon, pour les jeunes garçons, ou toddlerkon pour les enfants plus jeunes s’y associent. 

Si les œuvres associées au Lolicon ne relèvent pas forcément de la pédo-pornographie et certains magazines comme Comic LO s’en sont fait une spécialité. Au Japon ces publications jouent sur la frontière entre pornographie et érotisme, suggestion et distance avec la réalité qui permettent cette offre légale. 

En France, la loi encadre bien la diffusion d’« image ou la représentation d’un mineur lorsque cette image ou cette représentation présente un caractère pornographique » aussi, le simple fait de la consulter (en ligne ou non) tombe sous le coup de la loi et ces publications ne sont donc pas traduites ou diffusées. 

La presque censure de Lost Girls d’Alan Moore & Melinda Gebbie

Lost Girls d’Alan Moore & Melinda Gebbie

Considéré par la critique comme l’un des chefs-d’œuvre de la bande dessinée érotique, Filles perdues d’Alan Moore & Melinda Gebbie failli ne pas être publié par Delcourt sur les conseils de ses avocats qui pensaient que l’œuvre allait enfreindre l’article 227-23 ;  avant que l’éditeur ne prenne conseil auprès de Bernard Joubert, spécialiste de la censure  (Panorama de la bande dessinée érotique clandestine.) le livre a pu paraître et figurer dans la sélection du Festival international de la BD d’Angoulême l’année suivante. 

Le cas Petit Paul de Bastien Vivès

Autre cas de figure avec Petit Paul de Bastien Vivès, un titre pornographique assumé, publié dans une nouvelle collection, qui a mobilisé la presse pendant quelques semaines en 2018 suite à une pétition en ligne réclamant le retrait de l’ouvrage en mettant en avant cet article 227-23 du Code pénal évoqué plus haut. 

Petit Paul de Bastien Vivès

Les éditions Glénat avaient répondu « C’est un ouvrage exclusivement destiné aux adultes. Nous réfutons fermement et catégoriquement les accusations de pédopornographie dont Petit Paul fait l’objet » dans le même temps les librairies Gibert Joseph et les magasins Cultura retirent les ouvrages des rayons, « Aussi obscène et provocatrice qu’on puisse la considérer, cette œuvre de fiction n’a jamais pour vocation de dédramatiser, favoriser ou légitimer l’abus de mineurs de quelque manière que ce soit. Il s’agit d’une caricature dont le dessin, volontairement grotesque et outrancier dans ses proportions, ne laisse planer aucun doute quant à la nature totalement irréaliste du personnage »

De son côté l’auteur, interviewé par Le Parisien, reconnaissait le caractère « limite » en précisant « C’est une BD qui parle de cul de manière décomplexée. C’est clairement pour adultes et c’est sous scellé. On est plus dans le fantasme que dans la réalité. Et quand je parle de mes fantasmes, je parle bien sûr d’être dans la même situation que Petit Paul… Mon truc à moi c’est plutôt les gros seins, pas les enfants… Ce bouquin, c’est comme une grosse blague, pour faire rigoler les gens. Certainement pas une apologie de la pédophilie. »

La Montagne magique de Jirô Taniguchi retiré des écoles

En 2019, nouvelle mobilisation sur les réseaux,  une mère d’élève demande à ce que le manga La Montagne magique de Jirô Taniguchi soit retiré de la bibliothèque de l’école puis une association de parents d’élèves s’en empare et envoie un courrier à l’Éducation nationale en menaçant de porter plainte, il est retiré des listes de titres conseillés pour les enseignants.

Le manga qui n’est pas écrit pour être un livre jeunesse s’est retrouvé la cible de critiques et d’attaques par un public méconnaissant l’œuvre de Taniguchi, pour un dialogue jugé problématique :  

La Montagne magique de Jirô Taniguchi
© Jirô Taniguchi / Casterman

L’arrestation et la condamnation de Tatsuya Matsuki il y a quelques jours arrivent au même moment que l’article du New York Times qui relance l’affaire Gabriel Matzneff où il n’est plus question d’images.


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Illustration principale © Tatsuya Matsuki / Shiro Usazaki/ Ki-oon/Shueisha

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