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Édito
par Thomas Mourier - le 10/09/2021
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par Thomas Mourier - le 10/09/2021

Jean-Paul Belmondo VS Deadly Class : peut-on parler de bande dessinée à l’écran ?

Lundi, deux informations se sont croisées sur mon écran : la mort de Jean-Paul Belmondo et la sortie de la série Deadly Class sur Netflix. Et cette collision a mis en lumière le manque de BD à l’écran ou plutôt la manière de présenter des albums dans les fictions.

Depuis lundi les hommages à Jean-Paul Belmondo s’accompagnent de cases et de dessin de bandes dessinées : l’acteur a inspiré bon nombre d’artistes, véritable modèle physique (ou charismatique) pour les héros Blueberry, Lupin III, ou Cobra

© D.R.

Belmondo c’était surtout l’incarnation de Tintin au cinéma, dans L’Homme de Rio de Philippe de Broca. Ce film sorti en 1964 était conçu pour être une adaptation des aventures d’Hergé, mais le réalisateur change d’avis après avoir vu Tintin et le mystère de la toison d’or de Jean-Jacques Vierne sorti en 1961. Belmondo sera un Tintin qui ne se présente pas comme tel, vivant des aventures similaires : méchants mystérieux, voyages exotiques, bêtes sauvages, musées cambriolés, statuettes volées, bagarres et évasions spectaculaires… avec une fiancée en prime Agnès de Villermosa (jouée par Françoise Dorléac)

Mais Belmondo a un autre rapport à la bande dessinée, il sera celui qui bouquine Les Pieds Nickelés de Louis Forton dans Pierrot le fou (1965). Et il n’est pas le seul (voir les photos plus bas).

Mais c’est cette irruption d’un livre filmé qui a croisé le chemin de Deadly Class, une série TV de Miles Orion Feldsott & Rick Remender adaptée du comics du même nom de Rick Remender & Wes Craig et qui m’a poussé à réfléchir à cette mise en scène des albums à l’écran. 

Parler de comics façon Tarantino ? 

Deadly Class explore le quotidien d’étudiants formés à devenir des assassins d’élite, un collège façon Poudlard, mais en plus punk, sanglant et décalé. Des ados issus des élites criminelles sont formés pour continuer de dominer le monde dans cet établissement sélect’, qui accueille quand même quelques membres de la classe populaire, dont un jeune SDF qui sera notre guide dans cette mortelle académie. Sous couvert d’histoires d’amour trash, de bastons épiques ou de violence décomplexée, la bande dessinée (et la série) parle des années 80, et plus particulièrement de la jeunesse sous le gouvernement Reagan. 

Une série déjantée poussée par le dessin très vivant de Wes Craig, qui multiplie les bonnes idées graphiques, dans les cadrages ou la composition des cases. Avec cette approche, même les scènes les plus trash sont élégantes et les showrunners de la série ont gardé les flash-backs les plus glauques sous forme d’animation dans la série TV. 

En plus de ces scènes qui rappellent aux spectateurs la bande dessinée originelle, Rick Remender introduit un autre élément surprenant, des discussions ou des allusions aux comics. Dans quasiment chaque épisode, il y a une référence aux comics, que ce soit un étudiant qui lit Love and Rockets (grosse influence de Remender), un comics qui sert de planque pour un faux passeport ou un débat comics indé/mainstream façon Big Bang Theory

Mais le réalisateur va même jusqu’à écrire un dialogue façon Quentin Tarantino, où deux jeunes tueurs en route pour leur cible discutent et se disputent autour des X-Men de Chris Claremont & John Byrne pour savoir si la Saga du Phénix Noir est la meilleure histoire (sans menacer de ne tuer personne, je ne peux que vous recommander ce run incroyable des X-Men aussi.)

L’illusion The Big Bang Theory 

Cette mise en scène des comics était à la fois une bonne surprise dans une série grand public et à la fois un rappel sur le fait qu’on voit très peu de discussions ou de prescription de BD à l’écran. 

Dans la série The Big Bang Theory, on trouve un grand nombre de scènes dans la boutique de comics ou liée à la lecture de bandes dessinées (autour d’objets, de déguisements, de conventions) ou même des guests comme Stan Lee qui ont joué dans le show

Mais dans 95% des cas, c’est plus pour illustrer ou renforcer le côté geek que de parler de bande dessinée ou d’en donner une image pertinente. Les réalisateurs donnent l’illusion de les mettre en avant. 

Un peu comme dans l’épisode 9 de la saison 4 de Six Feet Under où arrive à la morgue familiale un collectionneur de comics écrasé sous le poids d’une étagère. L’homme se fait enterrer avec l’édition originale du N° 1 de Blue Twister (dont la fausse couverture reprend celle de Captain America N°1 avec humour).

David (Michael C. Hall) feuillette le magazine devant le cercueil, semble y trouver de l’intérêt avant de tomber sur une pub ringarde et repose le comics. Dommage, les scénaristes ont fait le choix de véhiculer l’imagerie puérile du lecteur de bande dessinée au lieu d’en faire un sujet.  

Même dans le film Kick-Ass de Matthew Vaughn (2010) qui met à l’écran ces jeunes héros dans un magasin de bandes dessinées n’en parlent pas comme dans la BD de John Romita Jr. & Mark Millar où Dave (Aaron Taylor-Johnson) parle de son amour pour les X-Men de Joss Whedon. 

Les auteurs, ces héros 

Pas mal de personnages d’auteurs de BD ont été incarnés à l’écran, mais souvent cette profession servait d’illustration. Thierry Lhermitte a été auteur dans L’Année prochaine… si tout va bien, de Jean-Loup Hubert (1981), Michael Caine dans La Main du cauchemar d’Oliver Stone (1981), Ben Affleck dans Méprise multiple de Kevin Smith (1997), Guillaume Canet dans Narco de Gilles Lellouche (2003), Mathieu Kassovitz dans La Vie d’une autre de Sylvie Testud (2012) et la liste est encore (très) longue. 

Mais il y en a un qui se démarque : American Splendor de Shari Springer Berman et Robert Pulcini (2003) avec Paul Giamatti qui raconte la vie d’Harvey Pekar, entrecoupé de scènes avec Harvey Pekar jouant son propre rôle. Une mise en scène méta qui reprend le concept des comics de Pekar racontant sa vie dessinée par d’autres. Elle est complétée par des incursions de cartouches, de cases ou autres dispositifs propres à la bande dessinée sur l’écran. 

Pas facile de mettre en scène la lecture ou les discussions autour de la bande dessinée, sans en faire uniquement un accessoire ou un décor. Je vous conseille de voir American Splendor qui est un excellent film/documentaire sur le comics et la scène américaine qui a gravité autour de Pekar et Crumb.
Pour Deadly Class je vous recommande le comics surtout. Même si la série a plein de bonnes idées, elle souffre un peu du côté série pour teenager je trouve.













Quelques (autres) lectures à l’écran pour finir

Tintin à la côte dans les figurations :

Un militaire lit L’affaire Tournesol dans Le cerveau de Gérard Oury (1969).

Dustin Hoffman bouquine avec son fils Le trésor de Rackham le rouge dans Kramer contre Kramer (1979). Patrick Dewaere lit Le Lotus Bleu dans Beau-père de Bertrand Blier (1981).

Kate Winslet se fait lire Les Sept Boules de cristal dans The Reader (2008).

Coluche fait lire Astérix chez les Belges dans Le maître d’école (1981), et dans Les Nuits de la pleine lune d’Éric Rohmer, Pascale Ogier sort un exemplaire de L’Incal noir de sa bibliothèque (1984)

Et encore beaucoup d’autres, n’hésitez pas à en ajouter dans les commentaires (en précisant les films et quel titre pour qu’on puisse aller regarder)


Illustration principale : © Rick Remender / Wes Craig / Urban Comics

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