Au sommaire
Biographies en bandes dessinées :
✍️ Edgar P. Jacobs – le rêveur d’apocalypses de François Rivière & Philippe Wurm, Glénat
✍️ Bill Finger, dans l’ombre du mythe de Erez Zadok & Julian Voloj, Urban Comics
Documentaires en bande dessinée :
🔎 Tome et Janry – Deux vies en dessins de Charles-Louis Detournay, Dupuis / Champaka
🔎 La ballade d’Hugo de Mauro De Luca & Bepi Vigna, Glénat
🔎 J’avais un rendez-vous d’Hugo Pratt, Le Tripode
Edgar P. Jacobs – le rêveur d’apocalypses de François Rivière & Philippe Wurm, Glénat
Raconter une vie en bande dessinée sans trop romancer, voilà un pari difficile, relevé ici par un dessinateur dont le style rend hommage à son sujet et par un scénariste spécialiste des auteurs de cette époque. Les auteurs parlent de travail de « (re) création et de mise en scène » basé sur des interviews d’Edgar P. Jacobs, des propos rapportés et de la rencontre du scénariste avec Jacobs.
Cette biographie s’organise autour de grands thèmes, mais aussi des lieux qui ont marqué la vie du dessinateur. On y découvre sa vie amoureuse, ses carrières de chanteur puis de dessinateur par accident, la naissance de son style, son passage clef chez Hergé et ses relations avec lui, mais aussi avec Jacques Van Melkebeke, apporteur d’idée — dans l’ombre — de certains albums de Tintin et de Blake et Mortimer. Du Rayon U au Secret de l’Espadon, son passage au Journal de Tintin, on découvre sa relation à la BD, à sa propre série, à la célébrité et sa retraite au vert.
La surprise vient du dessin, où Philippe Wurm propose un trait qui rend hommage à cette ligne claire fouillée que Jacobs a initiée avec Hergé, et les planches proposent des variations graphiques, des compositions audacieuses qui viennent casser à des moments clefs le côté classique des planches. Pas mal de clins d’œil aux albums ou à des situations de Blake et Mortimer, mais également des scènes très visuelles qui rappellent les influences de Jacobs ou des clefs de compréhension de son œuvre. Les sept dernières pages proposent un beau moment de poésie graphique en hommage au maître.
Enfin une biographie en bande dessinée qui se sert habilement des codes de la bande dessinée, sans rester en surface ou trop illustrative. Une lecture que vous pouvez compléter par les essais de François Rivière sur le sujet : Edgar P. Jacobs ou Les entretiens du Bois des Pauvres, Edgar P. Jacobs – Un pacte avec Blake et Mortimer (avec Benoît Mouchart) ou encore une version sonore de 2h où on entend Edgar P. Jacobs répondre aux questions de François Rivière et Olivier Martial Thieffin réalisée en 1975.
Bill Finger, dans l’ombre du mythe de Erez Zadok & Julian Voloj, Urban Comics
Après la très bonne biographie de Joe Shuster : Joe Shuster, un rêve américain avec Thomas Campi au dessin, Julian Voloj revient avec une nouvelle biographie de l’un des fondateurs du comics. Comme pour le portrait de Joe Shuster, ce Bill Finger, dans l’ombre du mythe s’attache à réhabiliter un auteur quasi oublié de l’industrie.
Alors qu’il travaille avec Thomas Campi sur sa biographie des créateurs de Superman, racontant comment leur éditeur avait détourné leur création et comment ils avaient vécu une vie difficile alors que le personnage est l’un des plus populaires et rentables au monde ; Julian Voloj rencontre Marc Tyler Nobleman, un historien qui cherche à réhabiliter le nom de Bill Finger. Ce nom, c’est celui du co-créateur de Batman écarté par le gourmand Bob Kane qui signa — et toucha de l’argent — seul pendant longtemps. Bien avant le combat de Marc Tyler Nobleman, raconté dans cet album, bon nombre de personnes ont défendu l’héritage de Finger, mais son nom n’a pas été associé au personnage systématiquement avant les années 2010.
Cette biographie met en scène Bill Finger et Bob Kane, ainsi que les artistes qu’ils ont côtoyés, mais aussi Athena Finger, petite fille de Bill, et Marc Tyler Nobleman dans un jeu d’aller-retour temporels pour parler de l’homme et de son héritage. Un point de vue légèrement différent de Joe Shuster, un rêve américain qui offre un côté un peu trop pédagogique. Si on apprend pas mal de choses, on perd un peu le côté immersif de la biographie romancée et c’est un peu dommage, car les documents annexes faisaient déjà bien le job.
Le dessin d’Erez Zadok marche bien pour ce type d’histoire avec son trait très cartoon rehaussé d’effets de texture dans la couleur qui offre un rendu très incarné et lui permet de faire des variations de styles pour glisser des clins d’œil aux auteurs de l’âge d’or. Les planches mettent en valeur ce travail de recherche qui a toute sa place dans vos lectures pour mieux cerner cette époque fondatrice des comics, même si on regrette que l’album n’ait pas la force du premier sur Joe Shuster et Jerry Siegel. Un ouvrage à lire, et un auteur à surveiller pour ses prochaines biographies qui seront probablement sur Will Eisner, Jack Kirby ou Stan Lee…
Tome et Janry – Deux vies en dessins de Charles-Louis Detournay, Dupuis / Champaka
Ce livre s’inscrit dans la collection « Une vie en dessins » de Champaka qui propose de mettre en lumière le travail d’un artiste à travers un important catalogue de planches, dessins, croquis connus ou inédits mis en regard d’entretiens et de textes éclairants. Pour cette nouvelle livraison, c’est le duo Tome & Janry est mis en lumière de leurs débuts à leur passage culte sur l’univers de Spirou, en passant par l’invention du Petit Spirou. Philippe Tome nous a quittés en 2019, et ce livre est aussi un hommage à la moitié du duo par son autre moitié.
Le livre se compose de deux parties, une première classique qui revient sur la carrière des auteurs, qui donne des clefs de lecture sur leur œuvre à travers des extraits d’interviews, des anecdotes ou des témoignages. Conçus autour de leur passage sur Spirou, ces textes éclairent l’amitié éditoriale de Tome & Janry, réalisant à deux leurs premières histoires de Spirou puis se partageant le travail en tant que scénariste et dessinateur jusqu’à l’album incompris qui marque la fin de leur règne sur la série. Ils ont, sans conteste, proposé quelques-uns des meilleurs Spirou et Charles-Louis Detournay qui signe ces textes prend le temps de revenir sur les moments clefs de cette aventure, sur le contexte éditorial, sur les défis techniques et artistiques…
Et une seconde partie — plus imposante — qui rassemble une imposante iconographie : planches crayonnées, ancrées, détails, croquis, zoom sur certaines cases ou encore illustrations promotionnelles et photos : la documentation est riche et certaines pages bénéficient d’un commentaire de Janry. Superbe écrin pour découvrir ou redécouvrir ces planches sous un angle nouveau, le livre est soigné et la maquette met en valeur les planches et illustrations par ses choix de cadrages ou de mises en page.
Un gros livre de 250 pages à un tarif un peu plus élevé pour une découverte, mais passionnant pour les amateurs de Spirou ou ceux qui aiment les coulisses du métier.
La ballade d’Hugo de Mauro De Luca & Bepi Vigna, Glénat
J’avais un rendez-vous d’Hugo Pratt, Le Tripode
Deux livres hybrides autour du travail et de la vie d’Hugo Pratt sont à signaler dans cette sélection de livres récents même s’ils datent de l’an dernier.
🗞 Le premier est un album double La ballade d’Hugo de Mauro De Luca & Bepi Vigna propose une histoire romancée des premières années de Pratt, de sa découverte du dessin à sa passion pour les voyages en passant par son départ pour travailler en Amérique. Ces planches toutes à l’aquarelle forment un hommage au maître avant les grandes heures de sa carrière qui est une sorte de prologue un peu anecdotique au livre qui propose ensuite une série de documents passionnants autour de la revue Sgt. Kirk.
Une revue taillée sur mesure pour le dessinateur, que le mécène Florenzo Ivaldi financera pour mettre en avant le travail du créateur de Corto Maltese lui laissant carte blanche pour créer. Une liberté qui marquera la naissance de Corto et sa Ballade de la mer salée. Ce livre regroupe photos, témoignages de proches de Pratt et même de la fille de Florenzo Ivaldi, Paola Ivaldi pour raconter cette amitié à l’origine de quelques-unes des plus belles planches et aquarelles d’Hugo Pratt. Pas mal d’extraits, de croquis viennent compléter ces témoignages, mais surtout un très beau cahier graphique reproduisant les illustrations originales et les couvertures de la revue, mais aussi des 4e de couverture et des illustrations non publiées.
🗿 J’avais un rendez-vous est la réédition d’un beau livre d’Hugo Pratt, un carnet de voyage illustré à travers les îles du Pacifique, cet océan à l’origine de sa plus mythique création. Deux cents pages de dessins, d’aquarelles, de planches agrémentées de documentation et de photos articulées autour des textes d’un journal de bord. Hugo Pratt voyage d’abord par l’imaginaire et chaque texte raconte les lieux à travers des anecdotes, des histoires rapportées, des recherches, des grandes figures ou des souvenirs.
Ce livre est le carnet de voyage rêvé de ses dernières grandes expéditions dans le Pacifique entre 1988 et 1992 dont l’inspiration portera l’ultime album des aventures de Corto Mū. Ce livre en est une sorte de prolongement. Et pour ne rien gâcher, les éditions Le Tripode ont particulièrement soigné la fabrication de ce livre indispensable pour les amateurs de Pratt.
Illustration principale © Philippe Wurm / François Rivière/ Glénat