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par Sullivan - le 7/11/2016
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par Sullivan - le 7/11/2016

Quai des Bulles 2016 : l'interview de Guillaume Singelin (PTSD, Doggybags...)

(c) photo : Ty-Bull Tome 2

Artiste brillant officiant depuis de nombreuses années déjà au sein du Label 619 avec l'excellent The Grocery ou encore ses nombreux chapitres de Doggybags, Guillaume - Blacky - Singelin est également l'incarnation de cette génération d'auteurs européens biberonnés aussi bien à la culture Japonaise qu'à la culture Hollywoodienne. 

Véritable symbole d'une BD en constante mutation et grand nom en devenir, l'artiste prouve également l'adage qui veut que personne n'est prophète en son pays, que ce soit avec la publication de son artbook en suède, sa communauté de fans plus internationale que française et son prochain projet, PTSD, publié d'abord aux Etats-Unis avant de revenir chez nous, en France. Voici autant de sujets que nous avons abordé avec lui fraîchement débarqués du train à St Malo lors de l'édition 2016 de Quai des Bulles, autour d'un café et dans une ambiance bon enfant. 

Guillaume Singelin, l'entretien 

Hello Blacky ! On va commencer par Doggybags Tome 12, ton actu' la plus récente, déjà pour te féliciter de cet incroyable chapitre sur les Samouraï, ensuite pour te demander si tu seras de la fête sur le treizième et dernier tome de la série ? 

Hello ! Malheureusement non, ça fait longtemps que je suis sur Doggy', j'en ai déjà fait quatre ou cinq et ça a été une super expérience. Je sais que Run voulait faire un tome spécial Japon depuis longtemps, c'est vraiment quelque chose qui le passionne, à chaque fois qu'on va au Japon il prend des milliers de photos et il était tombé sur un documentaire sur l'envers du décor des Samouraï et on avait vraiment accroché sur cette histoire. J'étais au Japon à l'époque et j'avais fait le plein de bouquins de références, pour trouver le juste milieu entre l'exploitation et les estampes, c'était vraiment génial à travailler.

Et pour donner une idée aux lecteurs, ça te prend combien de temps une histoire comme celle de Doggybags Tome 12 ? 

Je pense que tout condensé, j'en ai eu pour deux mois, peut-être trois avec l'encrage et les couleurs. Je fais le dessin de manière traditionnelle et le reste en numérique. 

J'imagine que c'était un honneur de passer après Atsushi Kaneko dans le bouquin, lui qui est une vraie légende du Manga ?

Carrément, d'autant que j'aime vraiment ce qu'il fait, récemment j'ai lu ses Wet Moon, j'ai adoré. Il a un graphisme vraiment entre-deux, qui collait vraiment bien à Doggybags et c'est vrai qu'avoir un auteur japonais à nos côtés donne une sacrée légitimité au projet. 

Tu as un futur proche du côté du Label 619 ou c'est le moment où tu prends un peu tes distances pour mieux revenir ?

Pour le moment c'est vrai que j'ai mis pas mal de projets avec Ankama en pause pour me concentrer sur PTSD, qui paraîtra chez First Second, mais même si pour l'instant je n'ai rien de prévu, je sais que je retravaillerai avec eux parce que c'est l'éditeur avec qui je m'entends le mieux. C'est une petite famille, on fonctionne vraiment entre nous.

Donc en ce moment, c'est uniquement PTSD sur le feu ?

Alors, PTSD oui, mais je fais aussi un peu de BD érotique à côté pour un site numérique uniquement. Mais c'est bien, ça me fait un projet très long avec PTSD, sur lequel j'ai déjà passé deux ans et qui va encore m'occuper sur 2017, et ce projet dont j'ai déjà sorti deux nouvelles de 15 pages qui m'occupe à côté.

C'est ta première expérience dans la BD érotique ?

De manière publiée oui, j'en ai déjà fait en perso' évidemment, tous les artistes passent un peu par là. *rires*

Donc en ce moment c'est du cul, du trauma' et de la violence, un bon programme. Passons à PTSD, est-ce que tu peux commencer par me parler de tes références sur le projet ? 

Ouais, c'est complètement ça ! Alors mes grosses références sur PTSD, c'est Voyage au bout de l'enfer de Michael Cimino (The Deer Hunter en VO) et Metal Gear Solid, surtout le 3. 

Un peu du 5 aussi nan ? 

Un peu du 5 mais maintenant. Mon héroïne a un eyepatch, j'essaye de rendre hommage à ce côté soldat de l'après-guerre. Après il y a aussi tout le cinéma Hong-Kongais et ce qui m'anime depuis quelques années. Certes, MGS et Deer Hunter sont mes deux grosses références, mais puisque là j'avais carte blanche, j'ai vraiment mis tout ce que je voulais dedans. 

C'est donc la première fois que tu vas publier un projet directement à l'étranger. Comment s'est faite la rencontre avec Mark Siegel, qui gère le label First Second ? 

Je ne sais pas vraiment, pour te dire la vérité. Je pense qu'il m'a repéré sur le net et il m'a tout simplement envoyé un mail, à l'époque où ils commençaient à importer des BD françaises aux US et il voulait faire des collab' entre des scénaristes américains et des dessinateurs étrangers. Il m'a proposé un scénar' un peu S-F qui me bottait pas particulièrement et je lui ai pitché mon idée sur PTSD, qui lui a plu.

Je veux pas dire de bêtises mais le personnage de PTSD, tu l'avais créé avant de développer un bouquin autour, non ? 

Absolument, c'est déjà quelque chose que je bossais depuis longtemps d'un point de vue graphique et l'occasion s'est présentée de développer une histoire autour de ces concepts, il m'a dit ok et on était partis. 

Et cette histoire justement, tu peux nous en parler un peu ?

Bien sûr ! C'est une histoire qui est vraiment centrée sur un seul personnage, celui de mon héroïne et ça raconte comment une vétéran vit son retour au pays après un conflit. A la fois pour traiter des soldats qui sont laissés pour compte, et aborder l'aspect psychologique, des traumatismes de la guerre etc.

C'est pour ça que le bouquin s'appelle PTSD (Post-Traumatic Stress Syndrom) ?

Exactement. Au départ je voulais l'appeler Trauma-Soldier puis on a rallié ça au PTSD, l'ambition étant de raconter les différentes étapes que traverse un soldat de retour du front.

On peut s'attendre à un aspect fantastique, ou c'est une histoire plus terre-à-terre ?

C'est plutôt très pragmatique. Je voulais pas utiliser de rêves, d'images subliminales et d'autres procédés comme ça, j'ai juste intégré quelques flashbacks pour donner une cohérence à l'histoire et qu'on comprenne comment elle en arrive là. Après, c'est un univers imaginaire, dans une ville qui pourrait tout à fait exister dans notre monde certes, mais qui n'est pas aux Etats-Unis par exemple, je ne voulais ni être trop politique, ni trop près du sujet d'un point de vue réel, ce n'est pas quelque chose que je maitrise totalement.

Tu as pourtant pris un parti fort, celui de raconter les histoires d'une femme, asiatique de surcroît, qui revient de la guerre.

C'est pas dit clairement qu'elle est asiatique, mais c'est un univers qui s'en inspire donc on peut imaginer ça oui. Quant au fait d'avoir choisi une femme, ça m'est venu naturellement.

C'est également ton bouquin le plus long, puisqu'on parle d'un one-shot de 200 pages. Tu penses déjà à une suite ou tu comptes en rester là ?

Au début j'avais proposé d'en faire deux tomes et c'est Mark qui m'a conseillé de faire un one-shot. Pour eux, c'est une manière de prendre un risque modéré, et ça correspond à leurs méthodes. Et finalement, le projet est assez atypique et correspond bien à l'aspect one-shot. Je l'imagine plus comme un gros film que comme une série, avec un sentiment d'à suivre. Il y aura une fin à l'histoire, mais elle reste assez ouverte. Pas forcément que j'ai envie de la poursuivre ensuite, mais ça reste une tranche de sa vie.

Le fait de travailler directement pour le marché américain, c'est un défi pour toi ? 

Je dois avouer que c'est un marché que je ne connais absolument pas, pour le moment j'écris tout en français et il y a un vrai traducteur qui est derrière nous, malgré l'aide de Mark. C'est une grosse curiosité pour moi de bosser pour les américains, autant je connais vaguement l'univers des Comics et du circuit mainstream, autant celui des auteurs "indés" m'échappe. Je ne sais pas trop comment ça marche, mais c'est excitant et je suis hyper curieux de voir l'accueil qui lui sera réservé.

Si je ne m'écoutais que moi, le bouquin pourrait même rester aux US mais s'il y a des propositions pour le faire en france, ce sera un bonus. Ma fanbase, même si je n'ose pas l'appeler comme ça, est vraiment située en dehors de la france, particulièrement sur le territoire américain. J'étais toujours triste de sortir des bouquins qu'ils ne pouvaient pas lire directement, si bien que PTSD est un peu mon cadeau pour ce public. 

Tes sketchbooks justement, il y a une possibilité de les voir publiés en france un jour, chez 619 par exemple ?

J'ai récemment bossé avec un éditeur suédois (Peow Studio) qui a sorti mon artbook Junky, je les connais bien et ils sont devenus des bons potes. Au début je voulais leur proposer des histoires classiques, et ce sont eux qui sont venus avec l'idée de l'artbook. Ils ont fait un super boulot, à partir de 4-5 ans de sketches, qu'ils ont augmenté d'interviews etc.

Après, je suis très content de l'avoir fait avec eux parce qu'ils font un travail super original, que ce soit sur la BD indé', des artbooks, de l'illustration. Je ne l'ai pas proposé à Ankama parce que vendre un artbook en france, c'est super compliqué. A part sur des auteurs énormes, ça reste un trop gros risque de faire ça, surtout avec ma renommée ici.

Tu l'expliques, justement, que cette renommée te vienne plus de l'international que de la france ? 

J'ai la même impression que vous, les artistes qui essayent un peu de sortir du carcan franco-français de la BD ont plus de facilité à l'étranger que chez nous. Je connais pas assez bien le marché pour être sûr mais on se repose beaucoup sur nos classiques et que les auteurs qui sortent du lot ont encore beaucoup de mal à se faire une place.

Tu notes un changement quand même, depuis tes débuts ?

Un peu, avec le succès de Doggybags, avec Lastman qui apporte un truc, le Shangri-La de Mathieu (Bablet) qui mérite son beau succès et qui prouve que les lignes bougent. J'ai aussi l'impression qu'avec l'essor d'Internet et les connexions qui se font à travers les continents, il y a un style un peu mondial qui émerge de notre génération. Je sais que beaucoup d'artistes que j'admire se trouvent aux US, en suède, au Japon et que cette génération nouvelle est en train de se faire repérer.

C'est pour ça que j'imagine que c'est un honneur de bosser avec Mark Siegel, qui est un grand nom de la BD américaine.

Carrément ! Je devais le rencontrer en avril quand j'étais à New-York mais il a eu un accident de ski et j'étais comme un con devant le FlatIron Building (où se trouvent les bureaux de First Second, le building qui a donné ses traits au Daily Bugle des films Spider-Man de Sam Raimi), mais bientôt, j'espère.

La prochaine étape, si on suit la logique, c'est donc le Japon ? 

Hmm, le Japon... Autant les US s'ouvrent carrément sur l'extérieur, et ce depuis un moment mais encore plus aujourd'hui, avec Bengal et d'autres qui travaillent pour eux, autant le Japon n'est pas encore prêt à accueillir ce marché. Pour y avoir vécu, j'ai l'impression que le temps qu'ils fassent la transition, on a encore le temps de voir venir.

Et tu ne crois pas que cette génération d'artistes dont on parlait pourrait être celle qui amène cette BD différente jusqu'à eux ? Je pense à Lastman, qui a commencé à sortir là-bas, à l'instar de Radiant, par exemple.

Peut-être, je pense qu'il y a un futur pour plein d'auteurs là-bas, mais pas avant une dizaine d'années. Ils ont encore beaucoup de travail à faire sur leurs propres productions, en témoigne l'animation où ils exploitent beaucoup de licences un peu à l'arrache alors qu'ils ont un talent fou sur place. 

Il y a quand même quelques auteurs, Hiroyuki Imaishi, Masahiko Otsuka...

Heureusement, mais ce sont justement les studios comme Trigger qui commencent à apporter ce renouveau. Ce sont d'ailleurs des séries qui marchent super bien en occident, pour la bonne raison qu'elles sont juste bien faites.

L'animation, c'est un secteur dans lequel tu te verrais d'ailleurs ?

Pas vraiment, même si ça dépend du poste. Je crois que je me suis trop habitué à la BD où tu es le seul maître à bord et où tu fais globalement ce que tu veux, avec des comptes à rendre à toi-même et pas quelqu'un d'autre. L'animation, dès les courts-métrages, c'est tout de suite une machine de guerre et j'aurais du mal à m'imbriquer dans une équipe. 

Tu ne rêverais pas d'un PTSD adapté par un studio japonais par exemple, histoire de boucler la boucle ? 

Bien sûr que j'en rêve ! Surtout que c'est un type de narration où je m'inspire beaucoup du cinéma et de l'animation asiatique, mais tout de suite je repense au côté prod' et ça me paraît tout de suite plus complexe. C'est beaucoup de politique et y a un côté très perso' dans ma narration. Je sais pas si j'arriverais à l'exprimer à une équipe. 

Revenons à l'album pour le moment, la sortie visée, c'est 2018 ?

Je pense oui. Le bouquin sera fini dans l'année, mais le temps de le peaufiner et de tout bien préparer, je pense qu'on peut plus tabler sur 2018. 

Et tes projets pour le futur ? Je sais que tu ne t'arrêtes jamais et que tu penses déjà à la suite.

J'aimerais bien faire un projet de S-F, plutôt Hard-Science même, un délire de cosmonautes. Plus j'avance, plus je me dis que tous les univers sont intéressants à bosser, il faut juste à chaque fois que je trouve ce petit quelque chose qui va me plaire et qui va me permettre de me lancer. Là récemment, j'ai revu Star Wars et j'ai beaucoup aimé retrouver cet aspect Fantasy-SF, avec une super Direction Artistique dans les costumes etc. C'est quelque chose vers lequel j'aimerais aller un jour, même si j'ai aussi des envies de projets bien terre-à-terre, plus historiques... Par exemple ce qu'on a fait sur Doggybags, ça prend racine dans l'Histoire, qu'on ouvre ensuite avec notre propre histoire.

Dernière question : combien d'heures tu bosses par jour ? Tu sais que les gens ne comprennent pas comment tu fais pour être si productif !

Depuis quelques temps je bosse sur des heures de bureau plutôt normales, dans un atelier. C'est un studio de motion-design où se trouve un autre auteur de BD, Baptiste Pagani, il y a des gens qui travaillent pour les costumes de cinéma, d'autres dans la VR etc. C'est super intéressant et enrichissant et j'y reste de 9h à 19h avec une heure de pause le midi. Et puis un peu d'extra le soir sur mes projets annexes. Après, je m'éclate vraiment à dessiner, j'en ai besoin.

Merci, Blacky, bon festival et à bientôt, j'espère !

Merci à vous ! 

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