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par Corentin - le 4/12/2017
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par Corentin - le 4/12/2017

Rencontre avec Laurent Sarfati et Jérémie Périn, créateurs de l'adaptation animée de Lastman

À l'occasion de la sortie en blu-ray de Lastman, préquelle animée à l'oeuvre de VivèsBalak et Sanlaville éditée par WildSide, nous avons rencontré Laurent Sarfati et Jérémie Périn. L'un scénariste, l'autre réalisateur des vingt-six épisodes de cette première saison diffusée sur France 4 dans le courant de l'année.

Projet intéressant, qui relance la question de l'animation pour adulte à la télévision "tous publics", et des adaptations d'oeuvres transversales à mi-chemin entre les trois cultures de l'art séquentiel général. Assis autour d'une table où trônait l'édition collector de la première saison, les auteurs ont commencé par nous expliquer la genèse du projet.

Lastman : alignement des planètes sur les ondes TV

LS : Ça a commencé avec Didier Creste, le producteur d'Everybody on Deck, qui produit l'adaptation cinématographique de Paulina de Bastien Vivès. Bastien lui a filé ses BD, Didier a vu Lastman et lui a dit "vous devriez en faire le dessin-animé !". Eux étaient pour, ils ont vendu les droits, en pensant que ça ne se ferait jamais. Parce qu'on ne fait pas d'adaptations "ado-adultes", et Lastman, c'est de l'ado-adulte.

La grande force de Didier Creste, c'est qu'il n'avait jamais fait de dessin animé, donc il est allé voir France Télévisions avec sa bonne humeur, son sourire, et là où normalement on lui aurait répondu "c'est pas possible", justement là ils ouvraient une case. On a eu un bol de fou. Il a ensuite demandé aux auteurs qui ils voulaient pour l'adaptation, ils ont répondu : Jérémie Périn, pour son boulot sur Dye Fantasy, un clip qu'on avait écrit ensemble.

Dye Fantasy, c'était un clip vidéo mélant horreur et érotisme. Son succès, et la patte de Périn et Sarfati, aura été un catalyseur de ce choix : s'il fallait se battre contre les diffuseurs, comme ce genre de projets l'exige régulièrement, BalakVivès et Sanlaville savaient qu'ils pourraient compter sur l'appui de ces collaborateurs animés pour ne pas travestir le projet de départ. Leur collaboration a tout de suite fonctionné.

LS : On a tout co-écrit avec Balak, c'était un de mes co-scénaristes. Son travail a été hyper précieux, on avait cette validation automatique. Il nous disait tout de suite si les choix pris étaient cohérents avec la BD, le caractère des personnages, si les prochains tomes allaient pouvoir répondre à certaines directions de l'intrigue, donc en permanence on était validés ou invalidés par Balak. Bastien, d'une manière plus distante aussi, surtout au début. On leur renvoyait les character-designs, pour la cohérence d'ensemble. Ils ont été nos premiers spectateurs.

JP : En fait, dès le premier animatic, quand je commençais à travailler dessus dans mon coin, j'avais du faire un tiers de l'épisode 1 que je leur ai montré en storyboard. Quand je leur ai montré, ils ont regardé et leur réaction a été "ah ouais, c'est cool". Ils ne sont presque plus jamais intervenus ensuite sur des histoires de designs ou autre. Ils avaient envie d'être surpris, et que le dessin animé en général se réapproprie le truc.

Du côté de la diffusion, Lastman, c'est un peu de violence, pas mal d'horreur, du langage fleuri et le goût pour les poitrines (on va dire) voluptueuses de certaines héroïnes. Bref, un cauchemar pour le CSA et Familles de France, mais vous allez rire : étonnamment, personne ne s'est plaint.

Liberté de ton et cultures de niches

Sarfati et Périn font en effet état d'une collaboration harmonieuse avec France 4. La chaîne (relativement jeune) du paysage France TV, aura en effet tenu bon sa promesse de proposer un contenu plus diversifié à une génération que le PAF qualifie à tort ou à raison de "jeunes adultes". Grand bien leur aura fait, puisque la série aura brisé quelques records en interne. 

LS : Dans les projets de France 4, il y avait donc cette envie de créer une case à destination des production ado-adultes. On a profité de cet incroyable alignement des planètes : ils ont ouvert les choses avec ce dessin animé, L'Attaque des Titans - qui est hyper violent ! - donc quand nous, on décrivait nos idées, on avait cette marge de manoeuvre qui sous-entendait "on a le droit d'aller jusque là".  En définitive, pour une diffusion TV sur France 4 à 23 heures, on a fait un pic d'audiences, et les audiences n'ont fait que monter. Au final on a fait 240 000 le dernier soir, ou 250. Moi ça me semble très très peu, mais eux étaient super contents. La force de Lastman était aussi d'être un contenu exclusif et nouveau, produit directement en interne et que donc, personne n'avait vu. 

JP : Ça fait plus de spectateurs, ce chiffre représente les foyers. Après, eux ont des équations qui quantifient le nombre de spectateurs en moyenne. Chez France 4, ils étaient en tout cas hyper contents, ils n'avaient jamais fait un score pareil sur leurs chaînes dans ces conditions là, à côté de l'Attaque des Titans qui avait fait un four.

Mais le succès de Lastman est proprotionnel à un créneau, et à des attentes de diffusion. Or, même sur France 4, difficile de dire qu'on croyait à un phénomène tonitruant - le ressenti de la chaîne était visible jusque dans le budget, monstrueusement inconfortable, qui témoignait d'emblée une confiance toute relative dans le boulot de Balak, Vivès et Sanlaville, et la capacité de Périn et Sarfati à atteindre ce pic d'audiences.

Ce problème est plus général à la culture française, qui a assez peu évolué sur la question du genre et des adaptations de BD moins tous publics que le gaulois, le journaliste à houpette et le cowboy avec son ombre à retardement. En 2017, plusieurs décennies après l'import du premier manga dans la première librairie francophone, le retard à l'allumage est toujours aussi grand chez les médias généralistes.  

LS : Pour la sortie, le seul truc qu'on a pu faire, c'est envoyer des DVDs aux magazines. On a eu aucun retour, sauf un vieux monsieur qui m'appelle de Télé Loisirs, qui ont été les seuls à nous interviewer pour la sortie du premier épisode, avec peut-être 20 minutes. On a peut-être eu une note sur Télérama - on a eu deux T noirs ! - mais personne n'a parlé de Lastman, c'est hallucinant, il y a eu beaucoup plus d'articles sur le net que dans la presse.

JP : Le paradoxe, c'est qu'en France, en bande-dessinée, ça fait très longtemps que le genre ado ou adulte existe, et qu'on a aucun problème avec. Depuis Pilote et Métal Hurlant, il y a une scène de science-fiction, de polar, mais à la télévision... C'est encore pire au cinéma. On savait que ce serait dur. Même si on avait eu un budget gigantesque, ça aurait été dur quand même, de toutes façons les exigences n'auraient pas été les mêmes. A chaque fois, tu veux que le moindre centime soit bien dépensé. Mais le genre, c'est surtout difficile en France parce qu'on n'a pas la culture du genre. C'est quelque chose de général à l'audiovisuel local, mais le cinéma de genre existe depuis des décennies, et le public français comme américain va voir les mêmes films que tout le monde. Quand Easy Rider sort (attention à la comparaison), ils ne savent pas encore, il leur a fallu des années à prendre le tournant.

LS : Même pour notre génération, qui a grandi avec le Club Dorothée, Ken le Survivant etc, la télévision et le cinéma encore plus mettent hyper longtemps à se transformer, et même avec les chiffres, le temps que l'information aille au cerveau, c'est très très lent. Parce qu'on est des gros prétentieux, parce qu'on veut faire de l'art, et que c'est antinomique avec le "pop". Personnellement, j'étais sûr que Lastman serait une révolution, qu'il y aurait un avant et un après. En fait, ce n'est que le point sur une courbe qui est très lente à monter. 

Voyage dimensionnel dans la culture des autres

La lenteur des pensées locales, et la difficulté à se faire financer confortablement, aura poussé Sarfati et Périn à lancer le pari de l'export à l'international. Aller chercher dans les cultures qui auront inspiré Lastman, la BD, et voir si la pérénité du projet ne se trouverait pas justement dans cet ailleurs, plus ouvert aux idées nouvelles.

Ce sera la priorité des prochains mois pour les deux créateurs, et l'une des conditions de faisabilité d'une éventuelle suite, si celle-ci doit voir le jour.

LS : S'il y a une saison deux de Lastman, une des conditions c'est qu'il n'y ait pas de Kickstarter justement. Qu'on ait un budget suffisant tout de suite. C'est pour ça qu'il y a des projets en attente, de diffusion de la série ailleurs, la sortie des DVD/blu-rays etc, en gros que la série continue de vivre, de susciter un engouement et que d'autres diffuseurs, idéalement plus internationaux, participent à la création d'une saison 2 si elle doit arriver. 

On passe en ce moment sur un network qui vient d'arriver aux Etats-Unis, ils diffusent un épisode par semaine pour une fin de diffusion prévue pour la fin décembre, et au fur et à mesure ça fait un effet boule de neige hyper agréable à suivre sur les réseaux. 

JP : La différence c'est qu'aux Etats-Unis ils savent faire de la promotion, ils en font à chaque sortie d'épisode. Nous de notre côté, au moment de la sortie on n'avait même plus de quoi se payer des attachés de presse.

Amusant d'ailleurs d'écouter les deux auteurs quand ils parlent de l'accueil réservé à Lastman en dehors de nos frontières. Si on peut d'emblée citer les références les plus évidentes à la BD, souvent américaines ou japonaises, les pays concernés ont du mal à voir les aventures de RichardSiri et Tomie comme autre chose qu'un produit franco-Français.

LS : L'animation en général n'a pas de pays, puisque c'est doublé. On nous dit souvent que Lastman fait Japonais, mais les Japonais ne trouvent pas ça Japonais, les Américains ne trouvent pas ça Américain. Pour eux, ça ne rentre dans aucun cadre, c'est de l'horreur de la boxe, c'est tout à la fois.

JP : A San Francisco, on me sortait une formule, "c'est HBO mélangé à de l'animation". Chaque public a son regard sur la question. Au Japon, ça ne correspond pas à leur style. J'ai voulu travailler avec des animateurs de là-bas, quand on cherchait des solutions de repli pour gagner du temps, et le premier truc qu'on m'a dit, c'est qu'à moins de tomber sur les animateurs super-stars très très forts, personne ne saurait jamais dessiner ça parce que ça ne ressemble pas à leurs codes visuels à eux.

LS : Le côté français de Lastman part aussi du fait qu'on ait regardé le Club Dorothée, et cette tradition des dessins animés doublés par des gens qui n'y comprenaient rien ou n'en avaient rien à foutre, ou qui essayaient de diminuer le côté violent agressif avec des blagues, sur les couteaux et les fourchettes, c'est quelque chose d'assez unique. Lastman c'est un peu l'enfant du Japonais doublé par des Français. 

6000 dolls à 50%

A côté de ce projet d'internationalisation, les créateurs le répètent : le challenge Lastman n'était pas impossible, puisqu'ils y sont parvenus. Mais si France 4 n'aura pas posé de conditions au contenu, à la violence ou aux scènes les plus "graphiques" de cette première, s'est rapidement posée la question du budget. Largement insuffisant. Un facteur essentiel, qui aura conduit les deux collaborateurs à des choix difficiles (et épuisants).

JP : On a fait un montage financier de la série, qui représentait un petit budget pour un dessin animé qui avait l'ambition d'être réaliste dans les dessins, avec une certaine exigence. Théoriquement, ça ne permettait pas d'accidents, mais il y en a eu. Un, puis un autre, puis un autre, et finalement ça a été une série d'explosions, de réactions en chaîne. On s'est retrouvés à court d'argent en fin de production, et la seule solution qu'on avait à ce moment là pour tenir la date de diffusion qu'on ne pouvait pas dépasser, on ne pouvait pas mettre la machine en pause sinon la série ne se faisait pas du tout, donc on a du trouver de l'argent très vite. Chercher un autre diffuseur aurait pris des mois voire des années, donc on a du faire ce Kickstarter.

Ça a été très bien pour finir la série, ça a été un outil promotionnel assez génial, mais ça a demandé un travail assez lourd déjà pendant la création, et ensuite pour donner des cadeaux aux gens. Sauf que quand on a fini Lastman, on n'avait plus d'argent, il a fallu que chacun aille bosser sur des productions à droite à gauche pour se renflouer, et en même temps faire les rewards promises aux backeurs. D'où le retard énorme qu'on a connu.

LS : C'était une idée qu'on avait déjà eu en début de production, puis qu'on avait abandonné devant le travail que ça représentait, et en définitive on l'a ressortie. Si on avait eu le choix, je préférerais ne plus jamais avoir à en faire ! (rires). 

Tu sais, moi, les moustachus...

Quant à évoquer ce qui serait à changer pour la saison 2, Sarfati et Périn sont eux mêmes divisés. Pour les amateurs de l'oeuvre papier, un critère gène le père visuel des storyboards animés : la fantasy, ce n'est pas son truc, et Périn ne sera donc pas au menu des festivités dans le cas d'une prochaine saison.

Puisque celle-ci devrait mener à la Vallée des Rois, on retrouvera le créateur accompagné par Laurent Sarfati sur d'autres travaux, mais le bonhomme raccroche les gants tel Dave McKenzie pour la prochaine génération.

LS : Pour une saison 2, la principale exigence serait un budget plus souple, ou plus confortable. Là, c'était plus qu'inconfortable, c'était infaisable. Personnellement je suis à fond sur l'idée de faire une saison 2, l'histoire est en suspens, on est dans une histoire qui veut rejoindre la BD. Il y a une fin à la série qui n'est pas le début de la BD, donc il manque encore des étapes que j'aimerais raconter. Et puis une série n'existe pas sans plusieurs saisons. 

JP : De mon côté, en tant que réalisateur, ça m'intéresse moins. Je n'ai pas envie de continuer sur Lastman, par rapport à mes marottes, j'ai du mal à voir l'intérêt de faire une saison 2. Je ne vois pas ce qui m'intéresserait de raconter, d'autant que je ne suis pas du tout fan d'heroic fantasy. S'il y a une suite, il y a de grandes chances que ça se passe plus dans la Vallée des Rois qu'à Paxtown, et ça, non. 

LS : Quand on a écrit Lastman, à chaque fois qu'on parlait de la Vallée des Rois, Jérémie blémissait et nous disait "moins il y aura d'heroic fantasy, et plus je serais content". Donc c'est aussi pour cette raison que la saison 1 se passe principalemet à Paxtown, alors que la 2 se déroulerait plus dans la Vallée des Rois. 

On remercie les auteurs de leur temps précieux, en espérant les retrouver bien vite sur d'autres projets - sans heroic fantasy. Actuellement, Sarfati et Périn travaillent notamment sur un projet de "vraie" science-fiction, gageons donc que l'écriture et le style fou du duo aura matière à régaler le public dans un autre style dans un avenir incertain !

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