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par AntoineBigor - le 4/05/2016
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par AntoineBigor - le 4/05/2016

Suiciders - Tome 1, la critique

Nombreux sont les dessinateurs à vouloir devenir scénaristes. Évidemment, à force de travailler en étroite collaboration avec de nombreux auteurs, à devoir traduire leurs mots narrativement et graphiquement, l'envie d'écrire ses propres histoires se fait très vite ressentir. Lee Bermejo, qui a pu être à la bonne école aux côtés de Brian Azzarello, s'est définitivement lancé dans l'écriture il y a deux ans avec Batman : Noël, récit personnel et fantastique s'inspirant largement du Chant de Noël de Charles Dickens. Après ce premier essai, l'auteur américain s'est enfin lancé dans sa propre série, sous le label Vertigo et fort d'une ambiance radicalement différente, avec le monde post-apocalyptique de Suiciders

• Lire aussi : la preview de Suiciders - Tome 1

L'histoire de cet ouvrage se déroule dans un Los Angeles dévasté par un tremblement de terre, couplé d'une petite apocalypse et reconstruite autour des riches survivants en New Angeles, une terre refermée sur elle-même, où les modifications corporelles et les combats à mort dans des arènes sont devenu la norme. Les Suiciders, gladiateurs modernes, sont devenus des rock-stars, à tel point que le Saint, le champion local, est devenu la véritable incarnation de la ville et ses habitants. Pourtant, le passé de cet homme semble bien différent de l'image qu'il a aujourd'hui et va finir par le rattraper. Une dramaturgie intéressante et touchante que Lee Bermejo va developper en filigrane tout au long d'un récit développé en deux histoires bien distinctes appelées à se rejoindre. 

Au delà de son univers post-apo des plus brutes et des plus cyniques, c'est la construction de son récit qui marque le début de la lecture de Suiciders. Son auteur va developper deux histoires en parallèle, celle du Saint au moment le plus glorieux de sa carrière et celle d'un immigré latino à la recherche de repères après le cataclysme ayant rasé une bonne partie de la Californie. Un schéma assez classique, qui liera les deux histoires parallèles, et qui va se révéler assez pesant pour le lecteur, tout en étant un des attraits majeurs de l'ouvrage. Une dichotomie étrange, causée par un rythme des dialogues assez mal pensé : Lee Bermejo tartine par moment ses planches de longues tirades, alors que certains chapitres laissent la part belle au sens par l'image. L'auteur va d'ailleurs jouer avec cette structure pour amener le lecteur dans le faux, avant une conclusion plutôt bien amenée.

Malgré tout, le propos du scénariste/dessinateur reste clair : cette série est son oeuvre la plus personnelle, où il signe une critique acerbe de notre société contemporaine. Car, comme tout bon récit d'anticipation, Suiciders en dit beaucoup sur les habitudes occidentales et les travers de l'Homme en peu de pages et avec un univers assez radical. L'intrigue va même plus loin en pointant du doigt la gestion des frontières, la ségrégation ou encore notre rapport au symbole et au divin. Il faut dire que le scénariste est passé par bonne école, en mettant en image plusieurs écrits de Brian Azzarello. Son influence se ressent dans l'écriture de ses dialogues et dans les thèmes invoqués. Surtout, réalisant lui-même les dessins, Bermejo se révèle être incroyablement bon dans toutes les séquences muettes, où tout le propos et la sensibilité de son auteur ressortent comme à aucun autre moment de l'ouvrage. 

Le dessinateur américain est connu pour son style et ses peintures si particulières, la plupart du temps au service d'une ambiance mettant en relief une certaine brutalité et une ambiance navigant sans cesse entre chaud et froid. Ici, l'auteur fait preuve de tout son talent pour la composition de grandes planches, le découpage dynamique de l'action et la représentation massive de ses héros gladiateurs d'une autre époque. Bermejo semble également bien plus régulier que sur quelques uns de ses précédents travaux, notamment Luthor, où les couleurs pouvaient changer d'une page à l'autre. Ici épaulé par le coloriste Matt Hollingsworth, déjà à l'oeuvre sur les récents The Wake et Tokyo Ghost de Sean Murphy, l'auteur économise un peu plus ses traits et laisse beaucoup plus de place aux couleurs et aux différentes ambiances et palettes qui vont s'enchainer. En ressort un travail beaucoup plus propre, carré et solide que ce à quoi nous pouvions nous attendre. Surtout, le récit gagne en cohérence, achevant de construire un univers intéressant qui ne demande qu'à être développé à l'avenir. Et ça tombe bien, puisqu'une second série Suiciders, sous-titré Kings of Hell.A, est déjà en cours de publication sur les terres de l'Oncle Sam.

Avec Suiciders, l'artiste autodidacte se paye enfin le luxe d'être seul à la barre de sa propre série, au propos politique brut et intéressant et aux planches hyper efficaces. Ce savant mélange entre action, critique sociale et drame humain prend assez difficilement mais se révèle après plusieurs chapitres d'une petite richesse insoupçonnée. Le label Vertigo peinant à renouveler son catalogue de titres et d'auteurs, cette série arrive à point nommé comme la relève de la branche adulte de DC Comics. Inspiré et investi, Lee Bermejo livre un très joli travail, malheureusement ponctué par des défauts nés du fait qu'il n'est pas scénariste de formation, mais l'artiste se rattrape sans mal sur des dessins et des concepts passionnants. 

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