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Incontournables
par Thomas Mourier - le 22/12/2018
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par Thomas Mourier - le 22/12/2018

Black Hole de Charles Burns

Plongée dans la jeunesse des banlieues de Seattle touchée par une maladie sexuellement transmissible qui provoque des mutations. Cette œuvre incarne ce moment clef du passage à l’âge adulte, avec beaucoup de poésie derrière la noirceur du dessin.

Il vous est déjà arrivé de ne pas pouvoir dormir après avoir refermé un livre tant les images vous hantent ? Black Hole fait partie de ceux-là : une œuvre qui laisse un souvenir âpre, délicieux & inoubliable.

Black Hole de Charles Burns, Delcourt

Illustrateur de talent, venu sur le tard à la bande dessinée, Charles Burns dessine des histoires noires sur fond noir. Il démarre sa carrière avec des pastiches de récits d’horreur et de polars étranges réunis dans El Borbah puis Big Baby avant d’attaquer Black Hole. Il aura fallu 10 ans pour aboutir à ce chef d’œuvre, livré en 12 volumes. Comme chez Clowes, on reste dans l’adolescence & ses grandes questions : la sexualité, la quête de soi et cette difficulté de trouver sa place.

Plongée dans l’univers ado des banlieues de Seattle à la fin des années 70, un monde marqué par l’arrivée de « la Crève », une maladie sexuellement transmissible qui n’est pas sans rappeler le SIDA apparu à la même date. Mais cette « peste ado » provoque des mutations physiques sur les personnes infectées : excroissances, malformation et boutons puissance mille apparaissent sur les visages & les corps des contaminés. Toute cette jeunesse va faire l’expérience de ce nouveau fléau qui va parasiter les relations amoureuses. L’auteur mélange romance et ambiances glauques pour créer un genre de « creepy soap » passionnant.

Un mot également sur ToXic (Lire l’incontournable), l’autre grand chef d’œuvre de Burns, qui prolonge Black Hole. Cette trilogie raconte le passage de l’enfance à l’âge adulte et explore la thématique de la paternité. Une paternité vue à plusieurs niveaux avec cette nouvelle œuvre qui réinvente l’univers de Tintin (Lire l’incontournable) à travers un prisme étrange et dérangeant. L’auteur entraîne le lecteur sur de fausses pistes, des croyances et des quiproquos à l’image de ceux qui traversent l’esprit du personnage. Hergé, évoquait son héros comme un masque neutre auquel n’importe qui pourrait s’identifier, Charles Burns prend cette belle phrase au pied de la lettre et nous montre qui pourrait être l’homme derrière le masque.

Sa maîtrise de l’encrage met en lumière les compositions très graphiques & symboliques de ses planches, offrant au lecteur plusieurs niveaux de lecture à chaque page. Avec un équilibre délicat entre évocations sensuelles et inquiétantes, images grandioses et fragments intimes, le dessinateur cherche le motif dans la ligne claire et passe du figuratif à l’expressionnisme dans ce jeu de noir & blanc intense.
Toute la grâce de ce livre réside dans ses moments de beauté et de poésie au milieu de cette atmosphère angoissante. Son grand talent est de parler aussi bien du genre humain dans son ensemble, des privilégiés aux marginaux, de ces ados tous différents malgré leurs similitudes, sans jamais verser dans le cliché ou le pathos. Sans régler la question, cet album incarne ce moment clef de la fin de l’enfance & la fuite vers ce futur incertain, que l’on doit bâtir dans les brumes de la révolte ou de l’incrédulité.


Illustration principale © Charles Burns / Delcourt

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