Ce n'est ni le shônen le plus impactant de sa génération, coincé entre Dragon Ball et l'apparition des grosses machines comme Naruto, Bleach et autres One Piece, ni le manga à l'univers le plus original (cela reste une histoire de samouraïs après tout), mais Kenshin le Vagabond possède une côte d'amour tout à fait normale si l'on considère ses qualités intrinsèques.
Battosaï l'assassin
Quand le Shônen Jump offre à Nobuhiro Watsuki, qui est en 1994 encore l'assistant de Takeshi Obata, la possibilité de proposer une série régulière, celui-ci se creuse la tête pour trouver une histoire qu'il saura mener à bien. Ce passionné d'histoire et d'arts maartiaux se penche naturellement vers un récit de samouraï. Ayant lui-même pratiqué le kendô dans sa jeunesse, même s'il avoue volontier qu'il n'était pas très bon dans ce sport, il connait parfaitement les possibilités graphiques que représentent les combats de sabre. Pourtant, de nombreuses œuvres de l'époque traitent du sujet (peu de temps auparavant, Jirô Taniguchi a sorti le petit chef-d'œuvre qu'est Kazé no Shô) et il lui faut trouver un angle d'attaque plus original. Ce qu'il va faire en se replongeant dans ses livres d'histoire où il redécouvre les récits entourant les assassins qui à la fin du 19ème siècle mirent fin à l'ère Edo.
Cette époque troublée du Japon est secouée d'une véritable révolution quand se soulève le peuple pour mettre à bas le système féodal et ouvrir l'île sur le monde extérieur. Ce sera le début de l'ère Meiji. Mais celle-ci ne s'est pas installée sans douleur, et on relate l'histoire de nombreux assassins qui officièrent durant ces batailles sanglantes. L'un d'eux, Battosaï, va très librement inspiré Watsuki pour créer son personnage. Le mangaka imagine que ce dernier n'est pas mort sur le champ de bataille et qu'il parcourt désormais le Japon. Pour assister à l'émergence de ce nouveau monde qu'il a contribué à créer au fil de son sabre, mais aussi pour trouver la rédemption pour ses actes sanglants.
Kenshin le vagabond
C'est là tout le cœur de ce manga : une quête pour se racheter de ses erreurs. Quand on découvre celui qui se fait désormais appeler Kenshin, on est loin de se douter qu'il cache un passé fait de morts violentes, de trahisons en tout genre et d'une tragédie qui l'aura changé à jamais. C'est un homme plutôt enjoué que l'on croise pour la premier fois, qui porte un sabre étrange puisque la lame a été inversée, le tranchant étant du mauvais côté pour ne tuer personne. C'est dans cet état d'esprit qu'il va croiser Kaoru Kamiya, jeune femme qui cherche à défendre le dôjô hérité de son père contre des voyous qui veulent s'en emparer. Kenshin va la défendre et montrer par là l'aspect totalement redoutable de sa technique, et qui laisse penser qu'il est bien plus qu'un vagabond.
Il va même prendre le parti de rester auprès de Kaoru, séduit par son idéal du sabre qui sert à défendre et non pas à tuer. Il n'y croit pas une seconde mais trouve l'idée magnifique. Il va aussi prendre sous son aile le jeune Yahiko Myôjin, montrant par là l'importance de la transmission, le rachat par la formation des générations futures. Le point fort du manga de Watsuki, c'est qu'il ne propose jamais une lecture manichéenne des personnages, tous les intervenants sont libres de travers la barrière qui sépare le bien du mal, et ont la possibilité de se racheter de leurs erreurs. C'est ce que cherche à faire Kenshin, qui s'il emporte tout de suite notre sympathie révèle au fil des chapitres un passé où il était un monstre sanguinaire totalement dévoué à sa cause.
Ce qui vaut pour le personnage principal vaut pour ses ennemis. Ceux-ci reprennent d'ailleurs souvent de designs des X-Men de Jim Lee, le mangaka étant un grand admirateur du dessinateur américain. Ces adversaires sont souvent d'anciens collègues ou adversaires de Battosaï, et il apparait qu'eux aussi peuvent changer, que le héros peut parfois les remettre sur le droit chemin par la parole plutôt que le katana. Comme lorsqu'Aoshi va s'amender alors qu'il n'était pas loin de le tuer. Tout n'est en fait qu'une question de choix, celui que fera Makoto Shishio, grand vilain du manga, étant d'autant plus important qu'il verse sciemment dans la folie meurtrière, refusant toute rédemption pour assouvir sa vengeance. D'ailleurs, il vaut mieux s'arrêter à cet arc magistral. Comme tout bon shônen, il atteint un moment où il vaut mieux ne pas continuer, où l'on sent que l'auteur a dit tout ce qu'il avait à dire et que le reste n'est que du tirage de corde de l'éditeur. Et c'est peu dire que la suite de Kenshin le Vagabond est compliquée à assumer. Tout le reste pourtant relève du génie. Et c'est ça qui compte !
Pour la toute petite anecdote qui fait plaisir, Nobuhiro Watsuki fut l'un des mangakas les plus veinards en terme d'assistants puisqu'il pourra compter pour ce manga sur le soutien de Hiroyuki Takei (qui fera plus tard Shaman King) et surtout Eiichiro Oda, le gros génie qui va créer juste derrière One Piece.