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par Léonard Fougère - le 15/04/2022
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par Léonard Fougère - le 15/04/2022

Colocations en mangas ou comment apprécier ses différences

La colocation est un rêve pour certains, une plaie pour d’autres mais en fiction, c’est surtout une manière astucieuse de confronter deux personnages que tout oppose. Aujourd’hui, nous vous proposons une sélection de trois mangas en colocation où ces différences viennent enrichir leurs vies !

Faire une colocation, c’est avant tout partager son espace de vie quotidien avec quelqu’un d’autre que l’on ne connaît pas forcément bien. C’est à la fois dévoiler son intimité tout en essayant de la préserver, un équilibre souvent difficile à trouver. Mais ce qui est certain, c’est que ce contexte est un terreau idéal pour construire des histoires ! 

Souvent en “tranches de vie”, de la comédie au fantastique, il permet d’opposer au plus proche la vision et manière de vivre deux personnages radicalement différents. On vous propose une sélection de trois mangas basés sur cette dynamique partagée.

🎮 Mon Coloc est une Gameuse, par Renjuro Kindaichi, Delcourt-Tonkam

Cette comédie feel good pose rapidement un cadre très orienté jeu-vidéo, et en particulier autour de Dragon Quest X™, MMORPG tiré de la célèbre saga. Nos deux protagonistes sont donc des joueurs très actifs de ce titre et incarnent respectivement Powder, une adorable petite Plaisantrin, et Goro, un ogre bagarreur en armure lourde. Ils évoluent ensemble dans la même guilde depuis plus d’un an et suite à certaines circonstances, vont commencer une colocation. Mais leur plan prendra une toute autre tournure lors de leur première rencontre « IRL » en découvrant que l’adorable petite Powder est en réalité Takumi Satsuki, un jeune homme peu sociable, tandis que le colosse Goro est Miyako Okamoto, une jeune femme présentée comme girly. 

Passé la surprise de cette soudaine révélation, les deux nouveaux collocs’ vont tout de même maintenir leurs plans. Va ainsi débuter une cohabitation plus singulière que prévue, mais où leur passion commune pour Dragon Quest sera un lien vidéoludique primordial. Une ambiance feel good prend forme au travers de leurs péripéties de gamers du quotidien, joyeusement illustrées par le style rondouillet de Renjuro Kindaichi. Une patte qui s’incarne d’autant plus avec les passages « in game », à comprendre dans le jeu qui passionne tant nos deux jeunes protagonistes. Et jouant sur le contraste entre la mignonne Powder et l’imposant Goro. 

Un décalage souligné par leurs identités réelles, s’éloignant des stéréotypes de genres habituels. Une manière intelligente de parler de ces sujets-là pour les déconstruire et de les accepter. Malgré qu’il soit un garçon, Takumi préfère incarner paisiblement un petit personnage mignon tandis que Miyako ne pense qu’à affronter d’autres joueurs au Colisée. Un jeu sur les apparences qui se retrouve même en dehors du jeu, quand le jeune femme abord une apparence bien moins apprêtée, au point d’avoir l’air d’être une toute autre personne. L’habit ne fait pas le moine, et l’avatar ne fait pas le joueur, en somme !

Un autre pan du manga consiste à questionner la possibilité de relations platoniques entre un homme et une femme, puisque cette colocation implique donc un certain partage de la vie quotidienne. Des interrogations qui traversent surtout le timide protagoniste qui apprendra à mieux connaître sa colocataire. 

©2015 Renjuro Kindaichi/SQUARE ENIX

Si l’exécution est parfois maladroite, Takumi ayant certaines réflexions faisant un peu datées, le fond n’en reste pas moins bienveillant et cherche à faire réfléchir sur ces thématiques en se jouant des préjugés. Le sujet n’est pas nouveau, on peut penser à Blue Flag qui l’abordait avec une sincérité fracassante. À voir quelle évolution cela prendra ici – on n’est pas à l’abri d’une romance malgré tout – mais les bases sont déjà là.

🍱 Chacun ses goûts, par Machita, Kana

On quitte l’univers de Dragon Quest pour une colocation davantage marquée par la cuisine. Celle de Chacun ses goûts débute sur un coup de tête, ses deux protagonistes s’étant décidés de cohabiter à la suite d’une soirée bien (trop) arrosée. Mais ainsi débute la vie en commun de Haru, jeune femme (très) otaku, et d’Ao, charmant jeune homme efféminé.Sans oublier Pichan (le chat). 

La colocation, c’est sympa sur le papier, mais concrètement comment on fait ? Surtout quand c’est décidé sans réfléchir avec un inconnu. Une chouette idée viendra se mettre en place entre Haru et Ao pour apprendre à se connaître au fur et à mesure : le partage de bento. Une fois par semaine, l’un doit préparer le déjeuner de l’autre. Une idée aussi simple que géniale, autant pour les personnages que d’un point de vue narratif. Déjà parce que l’on se régale en voyant chaque nouveau plat concocté et dont la recette conclut chaque chapitre. Mais aussi parce que ça suggère une écriture subtile, où chacun doit faire un bon plat tout en réfléchissant à ce qui plaira à l’autre. Faire des carottes râpées acidulées et sucrées pour les faire apprécier à Haru qui adore les pâtisseries mais déteste ces légumes est un bon exemple de cet exercice. La cuisine prend ainsi une place centrale dans le récit, s’illustrant par son aptitude à transmettre des sentiments, émotions et souvenirs à une autre personne. 

© 2018 by MACHITA/COAMIX​

Plus largement, cette volonté de préparer quelque chose de bon en pensant à ce que l’autre aime transcrit l’autre penchant bienveillant du récit. Il accorde ainsi une grande importance à respecter les préférences de chacun, allant des passions et hobbies jusqu’à la manière de vivre et d’apprécier les choses. 

Le titre français traduit astucieusement cette idée en insistant bien sur le fait que, et bien, « Chacun ses goûts » ! Il est alors très plaisant de voir comment Haru apprécie ses plaisirs d’otakus, même si beaucoup dans son entourage ne la comprennent pas. De même pour Ao dont la masculinité efféminée assumée ne lui mène pas toujours la vie facile. Dans les petits plats comme dans la vie, l’œuvre invite à apprécier les différences de chacun et de soi-même, s’ouvrant aux découvertes tout en protégeant son petit espace personnel. En résulte une colocation pleine de bonne humeur et chaleureuse, joliment illustrée par le trait doux et expressif de Machita

🌼 L’Enfant et le Maudit, par Nagabe, Komikku

Le dernier titre nous embarque dans un monde bien différent des deux tranches de vie citadines : L’Enfant et le Maudit se dévoile à la fois élégant et poétique. Une petite fille, Shiva, vivant aux côtés du « Professeur », un être humanoïde à l’apparence monstrueuse — et surtout dépeint d’un noir profond. Il doit cette apparence à une malédiction qui le contraint également à éviter tout contact physique avec sa jeune protégée, au risque de la maudire à son tour. Et si leur quotidien s’apparente à des petites tâches ménagères ou des promenades dans les bois, rien n’est réellement facile dans ce monde mystérieux. 

Le titre joue magnifiquement de cette dualité entre douceur et monstruosité. Shiva et le Professeur entretiennent une relation chaleureuse, presque familiale, malgré les évidentes étrangetés qui les entourent. Un village abandonné, des silhouettes mystérieuses et des soldats prêts à tirer sur une enfant pour se protéger, leur monde n’est pas aussi tendre et doux qu’on pourrait le croire. Le tout est accentué par la candeur naturelle de l’héroïne qui apporte un regard naïf sur ce qui l’entoure. Une vision qui permet de contraster avec celles des adultes, du Professeur aux soldats, ou des villageois et autres créatures. Les inquiétudes et appréhensions du Professeur paraissent ainsi plus futiles, comme s’il lui fallait aussi profiter de plaisirs simples de la vie malgré leur situation. Les peurs des villageois, qui se traduisent par une paranoïa exacerbée envers « les êtes de l’extérieur » – ceux touchés pas la malédiction – semblent bien vaines à côté. 

© nagabe / MAG Garden

Un rapport entre une douceur enfantine et la brutalité des adultes qui s’illustre à merveille avec le trait de Nagabe. Naviguant entre sobriété et réalisme, le dessin joue beaucoup sur le terrain du contraste entre noir et blanc. Sheeva est représentée d’une blancheur éclatante, ce qui ne rend la noirceur des « êtres de l’extérieur » d’autant plus marquante qu’elle est profonde. Une manière aussi de jouer avec la lumière – ou l’obscurité – et la composition des planches, avec ces sombres forêts qui nous happent quand la faible lueur d’une bougie rassure. À la fois généreux dans ses décors tout en étant particulièrement économe sur les expressions de ses personnages, L’Enfant et le Maudit nous marque graphiquement. 

Suivre la cohabitation de ces deux êtres que tout oppose permet de percevoir deux visions contrastées. En résulte un point brouillé, grisonnant si l’on peut dire, qui met en exergue les différences tout en les adoucissant. Cette « colocation » fait cohabiter non seulement deux personnalités différentes, mais surtout deux mondes distincts. 

© nagabe / MAG Garden
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