L’épidémie de Coronavirus a fait la démonstration d’un fait que peu avaient compris auparavant. Les caissières et caissiers de supermarché sont des travailleurs indispensables à la bonne marche d’une société. Le manhwa (manga) coréen Intraitable en fait la démonstration tandis que l’éditeur Rue de l’échiquier sortait son deuxième volume au tout début du confinement. Parlons donc syndicalisme et défense des intérêts des travailleurs sud-coréens avec Choi Kyu-Sok.
Début des années 2000, la chaîne française de supermarché Les fourmis tente de s’implanter en Corée du Sud. Dans un de ses magasins, le manager Lee Soo-in ne supporte pas l’injustice des traitements subis par ses équipiers. Ancien officier de l’armée, sa droiture l’amène à faire la rencontre d’un surprenant conseiller syndical. Il crée une section syndicale pour défendre les salariés, quitte à mettre une cible sur sa tête. Mais seul il ne peut rien, il doit donc recruter.
Travailleurs, travailleuses coréennes, on vous ment...
Quand le premier tome avait entrepris de nous présenter le personnage de Lee Soo-in et le contexte du monde de l’entreprise Sud-Coréen, ce deuxième volet met les mains dans le cambouis. Il donne à voir les mécanismes psychologiques induits par le management afin de casser les éventuelles solidarités entre employés, dans le but de les remplacer par des travailleurs intérimaires encore moins revendicatifs. Forcément, si la doxa officielle des trente dernières années vous a convaincu que le syndicalisme était une impasse, ce manga n’est pas pour vous, il vous horripilera de bout en bout.
Quand bien même les salariés y sont décrits sans complaisance, comme “des imbéciles faibles à protéger des imbéciles forts”. L’auteur crée sans aucun mal l’adhésion (non, pas au syndicat, ne signez pas tout de suite votre formulaire) au groupe de salariés. Il s’attache à en décrire un petit nombre, au fil des pages. Ceux qui évoluent pour rejoindre la lutte pour le respect de leurs droits et de leur humanité. Mais même ceux qui restent en arrière, bons petits soldats d’un système d’encadrement culpabilisant, en deviennent touchants quand ils interagissent avec les personnages actifs. On comprend leurs choix, ils ont du sens. Ils peuvent faire preuve de lâcheté, de médiocrité, mais dans le fond, Choi Kyu-Sok ne les juge pas.
Une leçon à tirer pour la France ?
Intraitable est un manga passionnant sur les réalités du monde du travail sud-coréen. Un récit fictionnel inspiré par l’implantation de Carrefour dans le pays du matin calme. Mais peut-on en tirer des leçons en miroir, sur notre propre situation ? Évidemment, le contexte sociologique Sud-Coréen joue. Le rapport à la dictature militaire pas si éloignée temporellement parlant, est clairement un élément de compréhension des rapports entre “partenaires sociaux” coréens. La Corée n’a pas l’historique de la France en la matière. Les droits syndicaux y sont bien plus solides et respectés.
Mais pourtant, il y a à méditer pour nous, de cette histoire qui se conclura au tome 3. Les lâchetés humaines, qu’elles soient celles de cadres ou de simples exécutants, sont autant les nôtres que les leurs. Le discours ambiant traitant les syndicalistes de terroristes et les actes, refusant toute efficacité à l’action collective, sont une réalité française. L’humain est un loup pour l’humain. Seul, la moindre faiblesse lui sera fatale. En groupe, il peut se protéger, évoluer, construire un avenir. C’est l’histoire de notre espèce, Homo Sapiens. Il ne s’agirait peut-être pas de l’oublier. Sans ces caissières et caissiers de supermarché, aucun d’entre nous n’aurait pu se nourrir pendant le confinement. En diminuant les budgets de l’Hôpital, on le rend inapte à nous protéger efficacement en cas de crise sanitaire. Divisés nous tombons, unis nous faisons face. Les deux premiers tomes d'Intraitables sont disponibles aux éditions Rue de l'échiquier.