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Critiques
par Jaime Bonkowski De Passos - le 22/04/2021
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par Jaime Bonkowski De Passos - le 22/04/2021

Tokyo Revengers : une chance de tout recommencer

Les fans de manga ne sont sans doute pas passés à côté du phénomène de ce printemps : Tokyo Revengers. La série démarrée en 2017 revit sous l’impulsion d’un anime démarré cette année : l’occasion de revenir sur un titre excellent.

Le furyo manga est un genre particulier du manga qui met en scène des « racailles » typiquement japonaises, les furyos. Axés sur la violence et les confrontations entre les différentes bandes, les récits s’inscrivant dans cette tradition s’attachent souvent à illustrer le mal-être de ces marginaux et leur quête de rédemption lorsque, confrontés à l’âge adulte, ils découvrent le gout amer du regret.

Le furyo manga a longtemps été boudé en France (à l’exception notable de GTO), mais le genre connait ces derniers temps un regain d’intérêt grâce à un challenger de poids : Tokyo Revengers de Ken Wakui. La série, démarrée en 2017 et qui dénombre une vingtaine de tomes à ce jour, embrasse les codes du furyo tout en se dotant d’une griffe particulière tant graphique que narrative. Portée par un anime au succès incontestable, la série vit en ce moment une seconde naissance : vue d’ensemble d’un phénomène.

Guerres de gangs et sauts dans le temps

© Tokyo Revengers / Ken Wakui / Glénat

Durant ses années collèges, Takemichi Hanagaki était un furyo de petite envergure, du genre à recevoir plus de roustes qu’il n’en donnait. Une fois adulte, son quotidien fait de petits boulots peu gratifiants et de glande devant la télé l’enfonce petit à petit dans une morne apathie. Mais un jour devant la TV, il apprend qu’Hinata Naoko, la seule petite amie de sa vie, est morte des suites d’un conflit engendré par le Tokyo Manjikai, un des gangs les plus dangereux de la capitale.

Chamboulé par la nouvelle, il n’est pas au bout de ses peines lorsque, aux portes de la mort en chutant sur les rails du métro, il se retrouve propulsé 12 ans en arrière, dans son corps de collégien. Perdu, il découvre alors qu’il a non seulement le pouvoir d’influencer le futur, mais aussi de contrôler ces sauts temporels. S’offre alors à lui une chance de réparer ses erreurs de jeunesse et de prendre des meilleures décisions pour, à terme, sauver la vie d’Hinata. Pour ça une seule solution : infiltrer le gang responsable de sa mort et désamorcer la menace qu’il représente dans l’œuf.

D’emblée, Tokyo Revengers s’impose comme une série atypique. Adepte du regular with a twist, le titre s’empare du schéma furyo classique (un ancien loubard qui, adulte, regrette ses erreurs de jeunesse et s’engage sur la voie de la rédemption) en y ajoutant le principe du voyage dans le temps. Plus un prétexte narratif qu’un véritable parti pris, ces voyages dans le temps sont très vite mis en retrait par l’auteur au profit du véritable sujet de sa série : l’infiltration de Takemichi dans le gang, et le regard qu’il jette sur ses exactions de jeunesse. Lors de ses retours dans le présent, il peut en outre poursuivre son investigation, et constater directement les conséquences parfois désastreuses de ses choix, ainsi que les destins de ceux qu’il croise dans le passé.

Une chance de tout recommencer

Takemichi revit ses années collège tout en conservant son esprit d’adulte, ce qui l’amène à reconsidérer très sérieusement cette époque de sa vie, depuis le style vestimentaire de sa bande jusqu’à leurs motivations. Il se confronte à une réalité qu’il a plus ou moins refoulée en grandissant : un quotidien fait de violence, d’humiliation et de vengeance, très autodestructeur et dangereux. Il vit aussi une profonde remise en question : lâche, peureux et dégonflé, il comprend vite que son caractère ne lui permettra pas de sauver ceux qu’il aime.

La feuille de route du furyo manga, comme du nekketsu, est suivie à la lettre, et la série reprend pas mal de codes traditionnels du manga : le héros dont la détermination lui permet de relever tous les défis, le « pouvoir de l’amitié » si cliché (mais très bien utilisé par l’auteur)… Tokyo Revengers a pour qualité d’être très grand public tout en conservant une touche d’originalité qui lui donne son sel. L’auteur s’attache en effet à illustrer les raisons qui conduisent les gamins qu’on suit à tomber dans la violence, leurs histoires, leurs motivations.

L’essentiel de la série est ainsi consacré à de la contextualisation, des dialogues, du développement de personnage, pour ne pas juste nous balancer des chefs de gang qui se foutent sur la tronche pour un oui ou pour un non. Les scènes de baston sont bien présentes, et sont toujours superbes, mais elles sont assez minoritaires.

© Tokyo Revengers / Ken Wakui / Glénat
© Tokyo Revengers / Ken Wakui / Glénat

Voyage en terres inconnues

Pour un manga shonen à destination des jeunes ados, Tokyo Revengers sait se montrer très cru et aborder des thèmes souvent absents de ce genre de publication. Le suicide, la déscolarisation, la réalité du monde du crime organisé, le poids des décisions… Car plus encore qu’une histoire de gangs et de collégiens, la série interroge les conséquences de nos choix, avec ce héros qui a la particularité de pouvoir changer ces dits choix. Il tente de réparer les pots cassés et de sauver les victimes d’un cycle de violence impossible à rompre. Ken Wakui nous rappelle ainsi constamment que chaque choix, même le plus infime, peut avoir des graves conséquences s’il n’est pas suffisamment réfléchi.

Takemichi joue pour beaucoup dans la compréhension de cette morale. Il est à la fois très archétypal du héros de shonen (le cœur sur la main, altruiste, bon dans tous les sens du terme) mais on ne le voit presque jamais combattre, et il échoue bien plus qu’il ne réussit dans tout ce qu’il entreprend. Sa lutte contre un destin qu’il pense maléable s’apparente à la malédiction de Sysiphe mais il y consacre tellement d’énergie et de bonne volonté qu’on a envie d’y croire. Même si tout au long de la série, l’auteur ne nous dit jamais clairement s’il est réellement possible de changer le futur depuis le passé, et nous mène de fausses pistes en fausses pistes.

La charge dramatique du récit est décuplée par ce sous-texte quasi-philosophique, ainsi que lorsqu’on se rappelle que les personnages ne sont que des gamins. À plusieurs reprises au cours de la série, on est submergé par la dimension tragique de ce qui est raconté, un effet au final assez rare dans les mangas du genre. On s’attache énormément et très vite aux personnages, on vibre et on souffre avec eux, et certains dénouements d’arc sont tout simplement bouleversants.

Une belle idée, une superbe exécution, et pour le dessin…?

© Tokyo Revengers / Ken Wakui / Glénat

Au niveau de l’intrigue et de la morale, Tokyo Revengers est donc excellent. Mais sans un dessin de haute volée, ce potentiel n’atteindrait pas les sommets qu’on lui connait. Le trait de l’auteur est en effet immédiatement reconnaissable, et s’apparente à un curieux mélange de Nakaba Suzuki (Seven Deadly Sins) et Toru Fujisawa (GTO). L’usage répété des visages caricaturaux et irréalistes pour signifier les émotions (gène, peur, fatigue…) est très intelligemment dosé pour alléger le récit quand nécessaire.

Car Tokyo Revengers est un manga très sombre, et très lourd. L’auteur pourrait facilement s’embourber dans un pessimisme malvenu s’il ne savait pas relâcher par moment la pression, au moyen de jeux graphiques notamment. Pour les phases d’action ou plus graves, il privilégie un dessin assez classique mais efficace, et s’amuse à donner à ses personnages des postures et des mouvements ultra badass dans la plus pure veine des mangas de baston bien stylés. Au final, son trait est pluriel et change énormément parfois au sein d’un même chapitre en fonction de l’ambiance de la scène. On est très loin de l’uniformité habituelle des shonens qui ne s’autorisent que rarement des incartades stylistiques.

Cette particularité graphique est très bien saisie dans l’adaptation animé démarrée en 2021 et qui joue pour beaucoup dans la popularisation du titre en France. Diffusée sur Crunchyroll qui pousse très loin la promotion de l’anime (à grand renfort de spots sur les réseaux sociaux et d’appels aux influenceurs), la série est très intéressante graphiquement et retranscrit plutôt bien les enjeux moraux des livres. Et, cerise sur la gâteau, une adaptation live du titre est prévue pour 2021, la bande annonce toute récemment sortie est à retrouver juste ici.

Un peu passée sous les radars au début de sa publication en France, Tokyo Revengers connait une seconde vie et un succès amplement mérité grâce à l’arrivée de l’anime. Les fans du furyo comme de manga en général trouveront là une excellente série qui, si elle reste bien menée jusqu’à la fin par son auteur, pourrait bien devenir incontournable.

Tokyo Revengers par Ken Wakui, Glénat, traduction par Aurélien Estager


Illustration principale : © Tokyo Revengers / Ken Wakui / Glénat

© Tokyo Revengers / Ken Wakui / Glénat
© Tokyo Revengers / Ken Wakui / Glénat
© Tokyo Revengers / Ken Wakui / Glénat
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