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Incontournables
par Jaime Bonkowski De Passos - le 18/08/2021
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par Jaime Bonkowski De Passos - le 18/08/2021

Le Manga historique : panorama d’un genre en 4 temps

Le manga historique, ça vous parle ? Si vous n’êtes pas un fervent dévoreur de littérature nippone, il y a fort à parier que non. Le genre regorge pourtant de véritables pépites : on vous invite à en découvrir ici quelques unes.

Le manga historique est un genre ultra-répandu et populaire au Japon mais qui n’a jamais réussi à rencontrer le même succès dans l’Hexagone que sur l’Archipel. Riche de titres best-sellers et d’auteurs cultes, de séries passionnantes et d’esthétiques variées, le manga historique s’est d’usage souvent focalisé sur des pans de l’histoire asiatique : Corée, Chine et bien sûr, Japon. L’ère Edo, Sengoku, l’unification de la Chine, la guerre des deux Corée… tous ces thèmes et bien d’autres sont souvent peu connus en Europe et en France, et d’aucuns pourraient considérer (à tort) qu’ils nous intéressent moins, ce qui expliquerait pourquoi le manga historique n’a jamais réussi à s’imposer complètement.

Lire des mangas historiques, c’est pourtant faire d’une pierre deux coups : découvrir un genre à part entière du manga, et se plonger dans des événements historiques par le prisme de la fiction.

Kingdom, l’épopée

Faire un tour d’horizon du manga historique sans commencer par Kingdom serait une hérésie. La série-monstre de Yasuhisa Hara qui compte déjà plus de 600 chapitres pour plus de 60 tomes au compteur est publiée en France chez Meian. On y suit les aventures de Shin, un esclave rêvant de devenir le plus grand général de toute l’histoire de la Chine. Il fait la rencontre d’Ei Sei, un prince héritier du royaume de Qin animé par l’ambition d’unifier tous les royaumes de la Chine sous son seul drapeau. Ensemble, ils vont alors prendre le chemin de la guerre pour accomplir leurs rêves et marquer l’Histoire de l’Empire du Milieu, et triompher de leurs innombrables ennemis.

Kingdom raconte l’ère des Royaumes Combattants, un morceau essentiel de l’histoire Chinoise qui précède l’instauration du modèle impérial en 221 av. J.C. Une ère de guerres sans pitié et de héros mythique, qui au prix de batailles légendaires conduira à l’unification du pays sous le drapeau du royaume Qin. L’époque était complexe, de nombreux personnages importants y ont joué un rôle essentiel, et c’est là que repose la force de Kingdom : sans s’éparpiller dans trop de directions et en restant centré sur son personnage principal Shin (inspiré du légendaire général Li Xin), l’auteur parvient à dresser un portrait réussi et historiquement fidèle de la période. Les personnages présentés ont (presque) tous réellement existé, la chronologie des faits et les dates sont scrupuleusement respectées, et la série est même jalonnée d’extraits authentiques du Shiji, œuvre fondamentale de l’Histoire chinoise relatant notamment la période des Royaumes Combattants, comparable à l’Histoire d’Erodote. Mais l’auteur sait également accorder une place suffisamment importante à la fiction et à l’action pour conserver notre attention.

L’équilibre entre fidélité aux fats et divertissement est très réussi, ce qui a permis à la série de s’imposer comme un titre de premier plan, et de rafler quelques récompenses au passage. Un peu effrayante au premier abord avec ses 60 tomes, on n’en est pas moins happé dès les premiers chapitres, et on dévore les suivants en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire !

Notre chronique complète de la série est disponible juste ici.


Keiji, le technique

Si on vous dit Tetsuo Hara, vous nous répondez immédiatement Ken le Survivant ! L’auteur mythique de l’un des mangas les plus légendaires du genre est presque uniquement connu en France pour son travail sur Kenshiro et son univers, mais il a signé au Japon plusieurs autres séries dont une qui nous intéresse tout particulièrement : Keiji.

D’abord éditée en France par Casterman au début des années 2000, le nouvel éditeur Mangetsu a décidé d’offrir une nouvelle jeunesse au titre, avec une réédition qui semble très prometteuse, publiée le 18 août. Il s’agit d’une adaptation du roman Ichi-Mu-An Fūryūki de Ryu Keichiro qui reprend la structure des jidaimono, un genre théâtral issu des répertoires kabuki et bunraku. Les jidaimono sont d’usage des récits épiques et historiques sur les événements guerriers majeurs de l’ère Edo (1600-1868), à l’instar des grandes batailles de samouraïs.

Inscrit dans cette lignée, Keiji raconte la vie d’un samouraï du même nom ayant réellement existé, et étant réputé pour être aussi bon-vivant et hédoniste que redoutable le sabre à la main. La série raconte comment il vient en aide au Château de Suemori, place forte des daimyos Oda, une célèbre et influente lignée de nobles. L’ère Edo est en effet restée dans les mémoires pour être une époque particulièrement violente où l’autorité des daimyos et notamment de la puissante lignée Oda est souvent contestée, et attaquée par des seigneurs de guerre.

Plus encore que son intrigue, remarquablement fidèle à la réalité historique, Keiji s’est surtout imposé comme un manga retranscrivant à la perfection l’ambiance de l’ère Edo. La série rend fidèlement compte de la rivalité entre la famille Oda et Narisama Sassa, ce dernier partant en guerre contre les Oda à la mort de Nobunago Oda pour s’emparer de ses terres avant la succession. Des noms des personnages jusqu’au déroulé des faits, des costumes jusqu’aux techniques de combats, Keiji tend vers l’exactitude, et a pour cette raison marqué durablement le paysage du manga historique tout en restant une excellente série d’action et de divertissement.

Tetsuo Hara y a en outre perfectionné son dessin, déjà exceptionnellement abouti dans Ken le Survivant. Il propose des planches remarquables aussi bien dans leur composition que dans la maîtrise du trait. Rien que pour la dimension esthétique, qui recouvre autant le découpage de l’action que les décors ou les costumes, la série vaut vraiment le coup d’œil.


Kenshin le Vagabond, le classique

Après une première incursion en Chine, restons au Japon avec Rurouni Kenshin, ou Kenshin le Vagabond par Nobuhiro Watsuki. Série cultissime paru dans les années 90, elle est souvent citée comme référence par des maîtres mangakas contemporains comme Oda (One Piece) ou Masashi Kishimoto (Naruto). Publiée en France par Glénat, la série a connu un vrai succès d’estime mais est malheureusement un peu tombée dans l’oubli depuis quelques années, même si la sortie d’une adaptation en film en 2012 a offert au titre un regain de popularité.

Kenshin le Vagabond se déroule durant l’ère Meiji, à la fin du XIXe siècle à Tokyo. L’ère Meiji est connue pour être une époque de modernisation du Japon, et de rupture avec les valeurs traditionnelles héritées d’une civilisation vieille de plusieurs millénaires. C’est la fin du système féodal et l’ouverture à une société industrielle et commerçante avec le reste du monde. L’époque Meiji est aussi connue pour être l’ère de la fin des samouraïs, et c’est sur ce point précis qu’est focalisé Kenshin le vagabond, en racontant l’errance d’un ancien samouraï d’élite qui s’est illustré au cours de guerres impitoyables mais qui doit dorénavant trouver sa place dans un monde (apparemment) en paix. Equipé de son iconique sabre inversé (dont seul l’intérieur de la lame est tranchant, car il s’est juré de ne plus jamais prendre de vie) il défend la veuve et l’orphelin et tente à tout prix de fuir son passé d’assassin.

Kenshin le Vagabond est une série complexe pleine d’ambivalence et riche de nombreux niveaux de lecture. Sous la dimension « action » et divertissement, on a une véritable leçon d’histoire sur une période historique essentielle du Japon, accompagnée d’une certaine mélancolie face à la disparition d’un monde au profit d’un nouveau plus industriel, rationnel et froid. Porté par des personnages charismatiques, des aventures palpitantes et des dessins, qui bien que marqués par les âges, restent hyper-efficaces, la série est une vraie masterclass du manga d’action qui a inspiré à sa suite d’innombrables œuvres aujourd’hui cultes.


La Grande Invasion Mongole, le bizarre

Pour clore cette sélection de précieuses séries historiques à lire au plus vite, accordons-nous une escapade du côté de l’uchronie et de l’étrange avec La Grande Invasion Mongole, singulier one-shot signé Shintaro Kago, grand maître de l’ero-guro. Ici, rigueur historique et exactitude des faits cèdent la place à une démarche bien plus symbolique qui revisite les plus grands moment de l’Histoire humaine en y ajoutant d’étranges créatures : les chevaux mongoles.

Mains géantes autonomes domptables à l’instar de chevaux, ces créatures découvertes lors des invasions mongoles de la Chine ont d’abord été des montures, des produits de luxe destinés au commerce, des curiosités de musée, puis des sources d’énergie permettant la révolution industrielle. Shintaro Kago personnifie avec ces chevaux mongoles la notion même de Progrès aussi bien humain que technique et civilisationnel. Et il nous livre par là même une relecture critique de notre histoire, nous invitant à réfléchir sur les fondations mêmes de nos sociétés.

Singulier et exigeant, ce livre n’en est pas moins passionnant et surtout très instructif car malgré l’ajout de créatures fictionnelles, on retrouve toute une série d’événements réels comme le tour du monde de Magellan, les Guerres Mondiales ou la découverte du moteur à explosion.

Vous pouvez retrouver juste ici notre chronique de l’album.

💡 Les 4 titres cités dans cette sélection ont été choisis de manière totalement arbitraire par le rédacteur, et ne constituent qu’un minuscule échantillon de la diversité et de la richesse proposée par le genre du manga historique. Aussi bien dans les tons que dans les styles, les époques et les lieux, le manga historique a de quoi convaincre tous les types de public et permet en outre de diffuser en Occident la culture et l’Histoire Asiatique, passionnante et pourtant bien trop méconnue. N’hésitez pas à ajouter vos coups de cœur en commentaire !


Illustration principale : © Tetsuo Hara / Shinchosha / Mangetsu

© Kingdom par Yasuhisa Hara, Meian
© Kenshin le Vagabond par Nobuhiro Watsuki, Glénat
© Keiji par Tetsuo Hara, Mangetsu
© La Grande Invasion Mongole par Shintaro Kago, IMHO
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