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par Strafeur - le 7/12/2016
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par Strafeur - le 7/12/2016

Sun-Ken Rock : Une épopée coup de poing

Que l'on aime ou non Sun-Ken Rock, il est difficile de ne pas reconnaitre le talent de son auteur Boichi qui s'est attelé, pendant 10 ans, à élever son niveau au fil des 25 tomes qui parsèment sa série, atteignant par moment de réels sommets de grâce.

Si on peut lui reprocher un goût pour le fan service un peu trop prononcé, il n'en demeure pas moins un auteur engagé qui n'hésite à taper là où ça fait mal à travers son personnage iconique de Ken Kitano, dont l'histoire vient tout juste de se refermer avec la parution de l'ultime tome chez Doki-Doki, qui nous disait tout le bien de leur trouvaille lors d'une belle interview il y a quelques jours.

 

Boichi est le nom de plume de Mujik Park, artiste sud coréen (manhwa) connu en France pour être l'auteur de Sun-Ken Rock, mais qui a également vu quelques autres de ses séries être publiées par différents éditeurs. Ainsi, Hotel et Sanctum sont disponibles chez Glénat, H.E. chez Delcourt/Tonkam, Wallman chez Kazé et enfin Sun-Ken Rock et Space Chef Caisar chez Doki-Doki avec qui il entretient une relation toute particulière, mais nous y reviendrons un peu plus tard.

Il fait ses débuts en Corée du Sud où il démarre en 1993 la publication de manhwa avant de se lancer dans celles d'ouvrages expliquant comment dessiner. Quatre en plus tard, il prend position contre le Juvenile Protection Act qui avait alors pour but de protéger le jeune lectorat coréen d'illustrations violentes et sexuelles, mais qui aura en réalité des conséquences très néfastes pour les magazine de pré-publication. 

Ce combat le poussera à quitter son propre pays, afin de continuer son art au pays du soleil levant. C'est d'ailleurs un événement très marquant pour lui, puisqu'il l'intégrera dès le départ dans la création de Sun-Ken Rock et dans l'histoire de son héros. 

Ce n'est qu'en 2006 que la série débute dans le magazine de pré-publication Young King de l'éditeur Shônen Gahôsha qui laisse alors carte blanche à Boichi pour la création d'une série.

La suite, on la connait en France grâce à Doki-Doki qui publie dès 2008 le premier tome relié des aventures de Ken, sans savoir que ces dernières les mèneront pendnat 8 ans, ayant même la chance de collaborer avec Boichi pour sa venue en France et la création d'un artbook inédit. 

"Un récit avec 60% muscles, 30 % d'amour et 10% de Jo Pok" voila comment Boichi décrit lui même sa série. Et si on peut lui reprocher des tendances au fan service parfois (souvent ?) trop gratuit, on ne peut en rien lui reprocher ses intentions. 

En effet, en plus de vous décrocher les rétines à mesure que vous progressez dans l'histoire, Sun-Ken Rock est particulièrement engagé et ce, dès les premiers tomes. Le mangaka y donne de sa personne, n'hésitant pas à aborder des thèmes parfois sensibles comme l'implication de la Corée dans la guerre du Vietnam - il a d'ailleurs reversé l'intégralité des revenus qu'il a gagné sur le second tome de la série à une association s'occupant d'enfants au Vietnam-  l'immigration, la corruption politique, les abus en tous genres... il ne retient pas ses coups et les poings de son héros se font alors l'écho d'un ressentiment d'injustice de plus en plus croisssant.

Face à une société où la place de l'humain se réduit de plus en plus, l'artiste coréen insuffle dès les premières pages de son oeuvre des principes forts de loyauté, de fraternité et de justice. C'est à travers Ken Kitano qu'il va livrer ses batailles du quotidien, où l'entraide et l'altruisme sont au coeur de chacune des décisions du gang dont il prend rapidement la tête.

Car oui, la justice appliquée par la Sun-Ken Rock team est celle d'un chef de gang idéaliste, pensant toujours à son entourage avant lui-même et cherchant toujours à venir en aide au plus nécessiteux. Ainsi, en le plaçant dans notre époque, son créateur le confronte à la dureté et  la méchanceté qui prédominent nos systèmes sociaux. Il lui fait combattre (à mains nues) au fil des tomes les injustices qui gangrènent notre quotidien, faisant des 25 tomes qui constituent cette histoire une véritable croisade contre les dérives du monde capitaliste.

Ce n'est d'ailleurs pas pour rien qu'il aborde avec beaucoup de pédagogie les bulles spéculatoires et plus particulièrement celles de l'immobilier, démontrant à son lectorat qu'il n'y a pas de plus grande violence que celle imposée par une minorité détentrice du pouvoir financier, à une majorité silencieuse. 

Un exemple parmi les différents arcs qui verront Ken grandir (et Boichi mûrir) jusqu'à un dénouement plein de justesse, dont la forme pourrait en surprendre plus d'un. Vous l'aurez compris, Sun-Ken Rock est une odysée humaine qui replace les valeurs fondamentales de notre espèce dans une société qui tente de nous les faire oublier pour mieux nous asservir. Jouissif dans son message, le tout est mis en image de manière magistrale par un artiste bien trop méconnu. 

Comme nous avons pu vous le dire au début de ce dossier, la publication de Sun-Ken Rock s'est étalée sur plus de 10 ans (2006-2016), une longue période durant laquelle le trait de l'auteur a évolué, tout comme Doki-Doki qui tenait alors en 2008 sa première série de fond.

C'est simple, il suffit de terminer les dernières pages du 25e et dernier tome, puis de céder à la tentation de rouvrir le premier, pour s'apercevoir de la différence de niveau. Bien qu'on retrouve déjà les bases de ce que Boichi développera au fil des tomes, on remarque également que son trait s'est affiné, laissant de côté certains ombrages pour mieux sublimer son dessin et clarifier ses cases.

C'est là la seconde force de cette oeuvre : son style graphique. Non sans rappeler par moment un certain Takehiko Inoue (Slam Dunk, Vagabond) l'artiste coréen se plait à réaliser des portraits en pleine page, voire de sublime doubles pages (les frissons de ce tome 24), réalisant de véritables oeuvres d'art, même lorsqu'il s'agit d'une violente scène de baston. C'est beau, extrêmement bien gratté et l'ensemble décage une aura de puissance appuyée par un travail anatomique dantesque, diffusant les sensations de mouvement d'une manière unique.

C'est d'ailleurs pour rendre hommage au talent du créateur de Sun-Ken Rock que Doki-Doki a organisé, la création d'un artbook uniquement disponible en France et publié dans le cadre de sa venue lors de l'édition 2015 de la Japan Expo. Un passage en France qui semble lui avoir laissé quelques souvenirs inoubliables puisqu'il s'est mis en scène dans les pages bonus de fin de certains de ces tomes du côté de la Villette. 

Son lien avec notre pays semble d'ailleurs encore plus profond puisque son oeuvre se referme en France et sur le témoignagne poignant d'Antoine Leiris après les attentats du 13 novembre, que le journaliste avait publié sur Facebook avant de publier son livre Vous n'aurez pas ma haine cette année. 

Sun-Ken Rock est donc loin des clichés qui gravitent autour de cette série, insufflant un véritable message humain à une oeuvre rafraichissante et ô combien mésestimée. Reste que, le goût pour les illustrations érotiques de Boichi pourraient en bloquer plus d'un(e) d'entre vous. Il s'agira donc de savoir si vous êtes prêt à passer au dessus de cela pour découvrir la série la plus importante d'un artiste qui n'a pas fini de marqué le monde du manga et du neuvième art !

 

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