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par Strafeur - le 29/11/2016
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par Strafeur - le 29/11/2016

10 ans de Doki-Doki : l'entretien avec Arnaud Plumeri

C'est dans le cadre de la Japan Expo 2016 qui était placée sous le signe de la French Touch que nous sommes partis à la renconrte d'Arnaud Plumeri, éditeur chez Doki-Doki depuis la création de la maison d'édition en charge des publications mangas au sein du groupe Bamboo

L'occasion de revenir avec lui sur les 10 ans d'existence d'une maison d'édition qui aura su se faire une place sur un marché en évolution constante. 

Arnaud Plumeri, l'interview

• Bonjour et bienvenue sur 9emeArt.fr. Je suis aujourd'hui avec Arnaud Plumeri des éditions Doki-Doki, enchanté ! Nous sommes ici dans le cadre de la Japan Expo 2016 mais également de celui des 10 ans de Doki-Doki que vous avez fêté en avril dernier. Est-ce que tu peux revenir avec nous sur la création de Doki-Doki et votre parcours jusqu'à aujourd'hui ?

Pour commencer par le commencement, mon arrivée chez Bamboo Éditions qui est la maison mère de Doki-Doki, c'était en 2003, un peu comme homme à tout faire, je faisais de la com', du graphisme... Puis la maison s'est développée grâce à des bandes dessinées d'humour comme Les Profs, ce qui a permis d'embaucher de nouvelles personnes. Parallèlement, depuis mon arrivée chez Bamboo, je parlais sans arrêt de manga à mon boss puisque j'ai toujours été passionné de bande dessinée au sens large (franco-belge, comics & manga) et je trouvais qu'il y avait un truc à faire autour du manga à cette époque (en 2005). C'est à ce moment là, quand Bamboo a pris suffisament d'envergure, que des contacts ont été pris pour trouver quelqu'un afin de diriger une collection de mangas. Moi j'avais quelques petites connaissances qui étaient somme toutes modestes puisqu'être lecteur et diriger une collection c'est pas tout à fait la même chose. Mon patron a alors contacté l'auteur de BD Jean David Morvan qui avait des contacts avec le Japon et qui lui a soufflé le nom de Sylvain Chollet qui est un traducteur de grande réputation puisqu'à l'époque il traduisait One Piece et Naruto. Il a donc été décidé que Sylvain et moi formerions un binôme. La collection Doki-Doki a été lancée en 2006, nous avions alors 2 titres par mois et nous avons bien augmenté la cadence maintenant. On a fait ça pendant 10 ans, sachant que Sylvain vient de quitter l'aventure Doki-Doki il y a quelques mois, maintenant je suis seul au commande ; mais en 10 ans j'ai pris pas mal d'épaisseur, j'ai pris du réseau donc ce qu'il me semblait difficile à faire il y a 10 ans, je le vis maintenant sans trop de difficulté.

• Comment ça se passe quand on doit se lancer sur le marché du manga qu'on a peu de repère ?

En 2006 ça allait encore. À l'époque il y avait les gros cartons de Kana avec Naruto, Pika avec GTO... il y avait déjà du monde en place mais c'était pas encore l'hyper saturation. Elle est venue quelques années après. Il y avait donc encore une place et il ne fallait pas rater le train qui passait ! 

Et comment se lancer sans repère ? C'est facile, il faut se faire connaitre des éditeurs japonais parce qu'on vient de nulle part. Bamboo a beau avoir eu une belle marge de progression en France, ça restait une maison d'édition inconnue pour les japonais et c'est là que l'aide de Sylvain a été très précieuse puisqu'avoir quelqu'un qui traduisait des blockbusters japonais et qui parlait parfaitement le japonais en vivant là bas, c'était une bonne porte d'entrée. Les premières années nous n'avions aucun repère sur quels titres publier parce qu'il y a énormement de mangas de tous genres au Japon ; ajouter à ça que nous ne pouvions pas non plus prendre tous les titres que nous voulions puisqu'ils ne nous étaient pas proposés ou étaient indisponibles puisquenous venions de nulle part. Nous avons donc commencé par sélectionner les titres qui nous semblaient pas mal en tant que lecteurs et on a essayé de ratisser large dans différents domaines : du manga culinaire, d'horreur, d'aventure, d'action.... nous avons  un peu tout essayé ! Nous avons même essayé des mangas avec un graphisme un peu plus indé' ! Ça nous a permis de voir au fil des années ce qui fonctionnait en France, nous avons appris le travail sur le tas et nous avons appris de nos erreurs pendant 10 ans. Cela nous a aidé à bâtir notre ligne éditoriale qui est aujourd'hui essentiellement tournée autour de l'action et du fantastique même si on peut dire qu'il y a d'autres genres auxquels nous reviendrons peut être. Nous avons aussi appris comment communiquer auprès de nos lecteurs, comment gérer la fabrication... tout un tas de choses ! C'est une grande expérience : 10 ans c'est énormement de travail, c'est beaucoup et peu en même temps car il reste tellement de choses à faire en matière de mangas vu la richesse au Japon.

• Aujourd'hui, Doki-Doki fête ses 10 ans, et pour l'occasion vous avez lancé quelques nouvelles séries dont Hawkwood qui est une série historique. Était-ce une vraie volonté d'ouvrir un peu plus votre ligne éditoriale durant cette année si spéciale pour vous ? 

Quand je disais tout à l'heure que nos publications sont centrées autour de l'action et du fantastique, l'idée c'était aussi de ne pas faire que ça. Depuis le début nous avons toujours voulu sortir des choses un peu différentes, après il faut raison garder et ne pas trop partir dans d'autres directions. Nous pourrions perdre notre lectorat, nos fidèles lecteurs et il faut être cohérent au niveau de nos choix. Pour Hawkwood, ça fait un moment que nous voulions sortir des séries historiques. Il y en avait d'autres que nous avions en ligne de mire et qui sont malheureusement parties chez d'autres concurrents, mais Hawkwood était une bonne porte d'entrée pour se lancer là-dedans. D'une part parce que ça se passe en France, d'autre part parce que c'est un manga médiéval, et entre le médival et la fantasy il n'y a qu'un pas, on retrouve des thématiques très proches de Game Of Thrones avec des familles, des batailles rangées, des trahisons.... Il y avait quand même des ingrédients "populaires" qui faisaient que ce n'était pas une série inabordable. Si je trouve d'autres séries historiques du même acabit, pas forcément sur la même période, je n'hésiterais pas. 

• Comment ça se passe pour démarcher les éditeurs  japonais lorsqu'on est une maison d'édition montante comme Doki-Doki ? 

Ils sont en position de force puisque nous sommes en position de demandeurs. Nous achetons des licences et malheureusement, il y a parfois des changements au niveau de leur organisation. Dans le cas de Broken Blade, c'était un cas quasiment unique en son genre, je ne sais pas si d'autres choses comme ça se sont produites au Japon. L'éditeur nous a signifié que le nouveau propriétaire souhaitait arrêter l'international et l'export, ce qui est fort dommage puisque la série avait déjà une dizaine de volumes en France, nous avions pas mal investi dans sa communication, ça avait porté ses fruits et la série commençait à bien tourner ; en plus, Doki-Doki, après quelques années un peu difficiles, commençait à bien s'installer. C'était un coup dur parce que d'une part, on était plutôt bien au niveau des ventes, d'autre part on nous a demandé de pilonner nos stocks et le troisième point c'était de savoir comment communiquer auprès des lecteurs sans passer pour le méchant éditeur français qui a arrêté une série en cours de route - la hantise d'un éditeur ! Il a fallu faire ça avec délicatesse et je pense qu'on a des lecteurs intelligents et que ceux qui nous suivent sur les réseaux sociaux savent qu'en général nous sommes assez transparents sur tout ce qui se passe donc on a essayé de leur expliquer. Il y a eu des tas de commentaires et les lecteurs ne se rendent pas forcément compte de tout le travail qu'il y a derrière quand ils achètent un manga. Là en l'occurrence c'était des histoires de choix qui viennent du Japon, on est peu de choses pour les faire changer d'avis.

• Vous avez à présent rencontré le succès avec certaines de vos séries, dont Sun-Ken Rock de Boichi qui me tient particulièrement à coeur. L'année dernière vous l'avez fait venir pour la Japan Expo, est-ce que tu peux revenir cet événement et la création de l'artbook inédit que vous avez réalisé en sa compagnie  ? 

Sun-Ken Rock c'est à la fois un coup de coeur et un coup de chance ! Nous l'avons repéré au Japon au moment où le premier volume est sorti, nous l'avons tout de suite signé parce que nous avons senti qu'il y avait quelque chose derrière. Après, nous ne savons jamais pour combien de volumes nous partons ni si nous rencontrerions le succès, ça c'est toujours un pari. Donc nous avons fait monter la série progressivement. Au début les ventes étaient modestes, puis elles ont monté progressivement, le bouche à oreilles à bien fonctionné, la série a connu de plus en plus de succès, nous avons aujourd'hui vendu plus de 320 000 exemplaires de la série donc c'est quand même pas rien. 

Boichi, c'est un auteur coréen qui est parti s'exiler au Japon parce qu'il a eu des problèmes avec des lois liberticides qui étaient mises en place en Corée et qui touchaient durement les dessinateurs. Il a décidé de partir au Japon pour continuer à exercer son art. C'était un crève coeur pour lui parce que d'une part il passait un peu pour un traître auprès des coréens et il restait un étranger pour les japonais donc je pense pas que ça a été évident pour lui. Il a su s'imposer, et c'est tout à son honneur - de toute façon quand on a un talent graphique hors du commun comme lui, ça aide - mais les événements malheureux qu'il a connu en Corée l'ont fait se renfermer sur lui-même. Il a pas voulu du tout savoir ce qu'il se passait autour de sa série à l'international. Puis petit à petit, au fil des années, je faisais passer à son éditeur tous les messages de fans, tous les dessins qu'on recevait, des photos de cosplays... le mur qu'il avait mis autour de lui a commencé à se fissurer et tout à coup il a ouvert les yeux sur le monde dont la France qui réservait un accueil de folie à sa série. Il a été tellement touché que j'ai l'impression qu'il a eu un déclic et qu'il découvrait l'accueil français. Quand je lui ai proposé de venir en France pour Japan Expo, il a accepté alors que c'est un bourreau de travail, il est capable de mener plusieurs séries de front, il a un rythme de folie mais il est quand même venu. La rencontre a été un moment génial, les fans étaient enchantés, c'était vraiment un super moment. Preuve de son respect pour notre travail, il a accepté de nous aider pour la création de toutes pièces d'un artbook. Ce n'est pas quelque chose de fréquent de voir un éditeur français créer un artbook, mais il nous a envoyé des gigas et des gigas de fichiers, au point de ne pas avoir assez de place dans cet artbook pour proposer tout ce qui nous plaisait. On y a rajouté une longue interview de lui qui fait que le produit final est un bel objet souvenir de sa venue. 

• C'était également une belle façon d'accompagner la sortie du dernier tome de la série qui devrait arriver en librairie en fin d'année.

Oui voila, il devrait arriver au mois de novembre chez Doki-Doki. 

• Comment aborde-t-on la fin d'une série de fond comme Sun-Ken Rock en tant qu'éditeur ? 

Il y a plusieurs façon d'aborder la transition, d'une part, je pense que nous avons tissé de grands liens avec Boichi et son éditeur donc il n'est pas impossible de voir ses prochains travaux arriver chez Doki-Doki, ensuite on a des séries comme Servamp qui fonctionnent de mieux en mieux ces derniers temps dans un tout autre genre. Nous avons la chance d'avoir de plus en plus de séries qui tournent bien, voire très bien, à nous de dénicher le successeur de Sun-Ken Rock. C'est le travail au quotidien. Quand je te dis que nous avons signé la série après la parution de son premier volume en 2007 et qu'elle ne se termine qu'aujourd'hui en 2016 avec 320 000 exemplaires de vendus, quel chemin parcourut ! L'édition c'est un travail de longue haleine donc si ça se trouve les graines qu'on a semé sur des séries il y a quelques années vont finir par prendre.

• Et pourquoi pas grâce à des adaptations animées comme Taboo Tatoo qui est tout juste disponible.

Oui comme Servamp ! Par exemple sur cette édition de la Japan Expo nous recrutons de nouveaux lecteurs et lectrices qui viennent pour repartir avec le premier tome de la série après l'avoir vu en animé. 

• Vous publierez à la rentrée les Six Destinées, un titre qui a l'air de vous tenir particulièrement à coeur car il est dans une veine action/shonen avec un style graphique très travaillé. Comment as-tu trouvé une telle série ? 

Nous travaillons beaucoup avec l'éditeur Média Factory dont nous avons notamment publié The Sacred Blacksmith, Servamp et bien d'autres séries de ce style. Nous avons donc des liens privilégiés avec eux et nous surveillons de près leur catalogue. Sur ce titre là, dès que nous l'avons vu en magazine, nous nous sommes dit qu'il y avait quelque chose à tenter. Honnêtement, je n'ai aucune idée de si ça va prendre ou non mais pour moi il y a pas mal d'ingrédients qui devraient l'aider. Cette série va donc débuter en septembre, elle tourne bien au Japon, je pense que ce qui m'a plu, c'est le côté shonen up ou young seinen ; ça dépend de comment vous préférez l'appeler. C'est un shonen pour un public un peu plus âgé avec beaucoup d'action, avec une histoire qui se passe dans un Japon un peu fantasmé du début du XXe siècle avec des intrigues de yokais qui viennent hanter les humains la nuit. Le héros des Six Destinées, c'est un sale gosse qui se chamaille toujours avec sa mère. Un soir elle l'enferme dans le temple de la famille pour le punir d'être sorti la nuit. Pour se venger il décide de ravager le local où il est enfermé et va libérer le roi de ces yokais qui y était enfermé. Sa mère intervient mais se fait tuer sous les yeux de son fils et sa soeur, qu'il avait emmené dans ses aventures est transformée en démon. Son objectif numéro 1 c'est donc de redonner son humanité à sa soeur et pour ça il va rejoindre une brigade spéciale qui lutte contre ces démons. Ça donne lieu à des combats très chouettes, il y a aussi l'utilisation de la civilisation bouddhiste, d'où le titre de la série. Chaque membre de l'équipe à un pouvoir lié à une destinée du bouddhisme. C'est très riche, avec beaucoup d'action, sans temps mort et c'est très joli.

•  Une dernière question : Tu le disais en début d'interview, tu es un fan de neuvième art, quels sont tes derniers coups de coeur ? 

En manga, je me tiens au courant de ce qu'il se passe en France, c'est difficile de tout lire. Maintenant j'ai plus l'opportunité de m'installer dans un fauteuil et de savourer un livre tranquillement, faut toujours aller très vite parce qu'on a des piles sans fin à lire. J'ai un peu plus décroché de la bande dessinée franco-belge mais je reste toujours fan de comics et de super-héros, c'est plus ce que je lirais le soir en rentrant chez moi. Sinon je lis aussi beaucoup de documentaires car je suis passionné de paléontologie, des revues techniques scientifiques... en gros, je pense que si on reste trop focalisé sur un seul genre, on finit par plus rien discerner, il faut essayer de s'aérer l'esprit.

• Merci beaucoup ! On vous souhaite autant de réussite pour les années à venir et nous ne manquerons pas le dernier tome de Sun-Ken Rock en fin d'année ! 

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