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par Elsa - le 12/03/2014
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par Elsa - le 12/03/2014

Au cœur des ténèbres, la critique

La collection Noctambule, chez Soleil, édite des bandes dessinées aussi atypiques qu'elles sont de qualité. Parfois créations originales (comme l'incroyable Fenêtres sur Rue de Rabaté), mais souvent adaptation de romans classiques plus ou moins connus, toutes les oeuvres éditées en son sein ont pour point commun une élégance, un raffinement, une intelligence qui font du bien autant aux yeux (les dessinateurs sont toujours de talent) qu'à l'esprit. Au cœur des ténèbres ne déroge pas à la règle.

La soif de l'aventure

Tout jeune, Charles Marlow avait besoin de grands espaces. Les territoires vierges et inexplorés le fascinaient, et il fit bientôt tout pour rejoindre l'Afrique. Embauché par une compagnie colonial, le voilà missionné sur un fleuve du Congo, au beau milieu d'un univers qui lui semble aussi hostile que fascinant.

Dans cette adaptation libre du roman de Joseph Conrad, Stéphane Miquel et Loïc Godart (qui avaient déjà travaillés ensemble sur la superbe adaptation de Le Joueur, roman de Dostoïevski) mettent en scène un Charles Marlow abimé par les années, et plongeant dans ses souvenirs pour narrer à ses amis l'une des expériences les plus marquantes de sa vie.

Du rêve au cauchemar

Au cœur des ténèbres est d'abord un récit sombre, et violent. C'est l'homme blanc qui s'accapare les richesses d'un peuple sans jamais se remettre en question, et en méprisant totalement les êtres humains qui se trouvent face à lui. Ce sont les conditions de vie spartiates et difficiles auxquelles doivent tout à coup se plier des hommes habitués à la bonne société européenne. C'est l'Afrique sauvage, la nature qui ne se plie pas aux desideratas humains. C'est l'Homme et son âme qui, poussés à bout, se dévoilent.

Ce qui pourrait être un simple récit d'aventure prend une toute autre densité. Les auteurs et les évènements poussent les personnages dans leurs retranchements, offrant un portrait d'une humanité crue presque dérangeante. Car entre les lignes, le récit nous interroge, aurions-nous su faire mieux ? Pourtant, le parcours de Marlow est ponctué de rencontres parfois riches, et lumineuses. Ce cannibal qui, sans échanger un mot, fut peut-être son seul ami. Ce jeune homme fantasque aux allures d'hallucination, promenant son chapeau, ses vêtements bariolés et son sourire en pleine jungle.

Graphiquement, le dessin de Loïc Godart est en même temps brut et plein d'élégance, saisissant avec la même aisance le raffinement lissé des bourgeois anglais et la violence omniprésente qui transforme un jeune homme plein de rêves et d'ambitions en un marin étrange et mutique. La colorisation est monochrome, et si elle évolue d'une scène à l'autre, conserve toujours une sorte de douceur nostalgique, qui laisse réellement toute sa place au dessin comme à la puissance des mots.

Au cœur des ténèbres est une bande dessinée puissante et marquante. Une adaptation libre avec une vraie âme, comme toujours avec les œuvres publiées chez Noctambule. Le duo d'auteur, reprenant le roman de Joseph Conrad, explore l'humanité de ses personnages, testant leurs limites, montrant la différence palpable entre rêve et réalité.

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