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Critiques
par Baptiste Gilbert - le 27/02/2023
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par Baptiste Gilbert - le 27/02/2023

Colorado Train : Un thriller qui sent la crasse et l’Amérique des nineties

Colorado Train, bande dessinée de l’auteur français Alex W. Inker éditée par Sarbacane, et adaptée du roman éponyme de Thibault Vermot, est un thriller sombre et haletant prenant place dans une petite ville du Colorado au milieu des années 90.

Auréolé du Prix Coup de Cœur du festival Quai des Bulles de St Malo en 2022, l’album a également été nommé cette année au Festival d’Angoulême dans la sélection Fauve Polar SNCF (dont Inker avait été lauréat en 2017 pour son premier album Apache). Il s’agit de la troisième adaptation de roman en bande dessinée pour Alex W. Inker, après Servir le peuple (adapté de Yan Lianke, notre coup de 💘 à lire ici) en 2019 et Un travail comme un autre (adapté de Virginia Reeves, notre coup de 💘 à lire ici) en 2020. Avec Colorado Train, il adapte cette fois-ci un roman de Thibault Vermot paru en 2017. 

Une petite ville défavorisée du Colorado au cœur des montagnes Rocheuses est confrontée à une série de disparitions inquiétantes, à laquelle va se retrouver mêlée une bande d’adolescents peu intégrés socialement mais très soudés.

Les années 90, mais pas que …

Colorado Train nous plonge immédiatement dans une ambiance très “nineties”. Le style vestimentaire des personnages, leur passion pour le skate, et plus globalement l’imagerie des zones résidentielles, populaire dans l’imaginaire américain de cette époque, en sont autant d’illustrations. Le choix des années 90 est d’ailleurs celui d’Alex W. Inker, qui a déplacé l’intrigue du roman de Thibault Vermot dans cette décennie correspondant à son adolescence, l’œuvre d’origine se déroulant dans les années 50.

© Alex W. Inker / Thibault Vermot / Sarbacane

Cette ambiance “nineties”, pas si souvent exploitée dans le genre du thriller, est renforcée par les chapitres qui portent des noms de morceaux rock des années 90 (de Nirvana, Korn, Green Day, Foo Fighters ou encore Alice in Chains). On notera d’ailleurs un QR code en fin d’album renvoyant vers une playlist correspondant aux noms des chapitres. On vous conseille donc une lecture (ou relecture) en musique !

L’imaginaire des Etats-Unis distillé dans cette histoire ne s’arrête toutefois pas aux années 90, avec notamment un rôle central des “hobos” qui vivent de manière nomade en voyageant clandestinement à bord des trains de marchandises, ainsi qu’un discours sur les armes à feu, et sur l’impact psychologique de la guerre du Vietnam pour les vétérans.

En suivant ce groupe d’adolescents, on découvre également une belle histoire d’amitié et de solidarité entre “outcasts” (personnes peu intégrées socialement), qui ont tous à leur niveau une enfance difficile. Ils se comprennent, ne se jugent pas, et se serrent les coudes à travers les épreuves qu’ils traversent.

De la noirceur dans le scénario … et dans le trait

Ne vous y trompez pas, l’ambiance n’est pas pour autant légère. Teintée de mysticisme autour de la figure du Wendigo, et au cœur d’une Amérique crasseuse et défavorisée, elle est en fait très sombre dès les premières pages. On peut ici faire un parallèle avec des œuvres des années 90 mêlant fantastique et réalité des États-Unis déclassés comme Twin Peaks ou certains récits de Stephen King (à qui Alex W. Inker dédie d’ailleurs l’album). Il convient d’avertir les âmes sensibles : on a droit à du cannibalisme, de la séquestration et des abus sur des enfants. Jusqu’à une fin elle aussi très sombre et qui laisse peu de place à l’espoir.

© Alex W. Inker / Thibault Vermot / Sarbacane

Alex W. Inker développe un très beau noir et blanc, qui colle parfaitement à la noirceur de l’histoire et à l’ambiance hivernale au cœur des Rocheuses. Il en profite pour jouer avec les ombres, et surtout avec ce qu’elles cachent, et se permet de nous offrir quelques pleines pages très marquantes. La caractérisation des personnages principaux, fine et efficace, est particulièrement réussie, et on s’attache rapidement à cette bande sans qu’on nous les ai présentés en détail.

Son découpage est extrêmement dynamique, avec des chapitres très courts. Combiné à un scénario haletant mais peu bavard, la lecture est étonnamment rapide au vu de l’épaisseur de l’ouvrage. Mais le rythme est parfaitement maîtrisé, avec une mise en scène qui nous donne suffisamment d’informations pour ne pas avoir besoin d’en rajouter à l’écrit. Cet aspect avare de mots et la maîtrise du rythme donne tout son sens au travail d’adaptation en BD, et illustre le talent d’Inker pour cet exercice. Une expérience différente et complémentaire du roman.

Colorado Train vaut le détour pour les amateurs de thrillers qui cherchent une histoire sombre, concise et efficace. L’ambiance est mystérieuse et pesante à souhait, et les auteurs en profitent pour toucher à des sujets indissociables de la société américaine, qu’elle soit des années 90, des années 50 ou d’aujourd’hui.

Colorado Train, de Alex W. Inker, adapté de Thibault Vermot, Sarbacane


Illustrations : © Alex W. Inker / Thibault Vermot / Sarbacane

© Alex W. Inker / Thibault Vermot / Sarbacane
© Alex W. Inker / Thibault Vermot / Sarbacane
© Alex W. Inker / Thibault Vermot / Sarbacane
© Alex W. Inker / Thibault Vermot / Sarbacane
© Alex W. Inker / Thibault Vermot / Sarbacane
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