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par La Redac - le 27/12/2018
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par La Redac - le 27/12/2018

Conan le Cimmérien - la fille du géant du gel : Robin Recht nous livre une belle BD d'auteur

Conan le cimmérien n’est pas simplement un projet d’éditeur. Certes, ce projet d’adaptation de longue haleine de l’oeuvre de Robert E. Howard, par une multitude d’artistes, en a tous les atours. Mais chaque sortie d’album est l’occasion de nous rappeler la volonté éditoriale Glénat : en faire des projets d’auteurs, d’artistes. Et l’adaptation par Robin Recht de La fille du géant du gel vient une fois de plus démontrer qu’il peut y avoir de la créativité dans la contrainte éditoriale. Et de l’intérêt pour le lecteur.

Il est peu dire que cette adaptation était attendue par les fans du personnage. Comment Robin Recht allait-il s’en sortir, avec pour support une des plus courtes nouvelles d’Howard, focalisée sur bien peu d’éléments ? Il est vrai, si l’on résume La fille du géant du gel, c’est l’histoire d’un guerrier emmené par une valkyrie auprès d’Odin au Valhalla. Bataille, rencontre des deux personnages, confrontation, conclusion. Cela ne constitue pas en effet un matériau très dense. Alors Robin Recht ne s’est pas contenté d’adapter l’aventure, il l’a replacée dans sa dimension mythologique. La mythologie howardienne, et non pas nordique qui a inspiré manifestement l’auteur. 

Compression et décompression narrative

Cette séparation des deux dimensions de l’histoire, va se jouer dans la façon qu’a eu le bédéaste de composer ses planches. Il y a en fait, dans cet album, deux rythmes d’enchaînement des cases dans la page. Il y a celui de la déesse Atali, celui du monde des dieux. Quand Recht nous le donne à voir, c’est à l’économie, en peu de cases. Avec plusieurs doubles pages assez rares habituellement dans des albums de bande dessinée traditionnels. Le temps semble suspendu. Le rythme du lecteur plane sans bouger. Lit-il plus vite puisqu’il y a moins de case, ou au contraire arrête-t-il son regard, plongé dans la puissance renvoyée par les cases ? C’est l’immobilisme de la divinité qui n’évolue plus.

À contrario il y a celui de Conan, des temps où les cases s’enchaînent beaucoup plus, en plus grand nombre. C’est l’action, la pulsion de vie humaine. Et Recht, petit à petit, va faire se confronter ces deux temporalités. Le résultat de l’affrontement entre Atali et Conan, il se joue aussi dans ce découpage. On le voit d’autant plus lorsque l’artiste fait le choix d’envahir ses cases avec, en superposition, des onomatopées du rythme cardiaque de Conan. La pulsation de vie prend alors toute la place visuelle et l’on mesure parfaitement l’enjeu du moment.

Conan, une oeuvre machiste ?

Y-a-t-il un héros plus macho que Conan dans les représentations collectives ? La fille du géant du gel est une lecture d’autant plus à faire, qu’elle met à bas ce cliché. Robert E. Howard est bien plus fin que cela et Robin Recht ne passe pas à côté.

Si l’on veut orienter le résumé, on dira que le mâle alpha pourchasse la femelle pour la posséder sexuellement. Ce serait une façon très largement inexacte de le faire. Car il y a une forme d’égalité entre les deux personnages. Ce sont deux êtres de puissance, chacun dans leur monde. Atali est la fille du créateur de toutes choses, déesse elle-même puissante. Conan est l’incarnation de la puissance destructrice humaine. Toute cette histoire se base sur le fait que les deux personnages sont emplis de désirs et que ce sont ces désirs qui les guident. Ils évoluent en miroir. Recht exprime superbement cette question du désir quand il met en scène symboliquement la pénétration voulue, assumée et maîtrisée d’Atali par Conan. C’est elle qui le fait chuter dans le gouffre. Et quand bien même ce sont ses pulsions de vie qui le font se mouvoir au coeur d’”Atali”, c’est elle qui garde le contrôle de son désir, la maîtrise de son orgasme, pourrait-on dire. Conan n’est guère plus qu’un jouet entre les mains de la déesse.

Et pourtant c’est un jouet qui va prendre son indépendance, qui va prendre le contrôle, valider sa propre pulsion de mort et approcher de sa propre jouissance sans y parvenir. D’ailleurs, Atali aura eu sa jouissance, mais pas Conan. Qui aura dominé qui ? Elle est Eros, lui est Thanatos. La symbolique n’est pas nouvelle, mais elle est là. Et à la fin, l’un sans l’autre apparaissent comme incomplets. Nul désir n’aura épanoui son hôte. La frustration pour les deux, qui trop individualistes ne se seront pas compris. Aucun gagnant…

La fille du géant du gel par Robin Recht, dernier album Conan le Cimmérien de cette année 2018, satisfait donc toutes les attentes qu’on pouvait avoir le concernant. Nous n’avons pas évoqué plus avant le dessin, hors narration : il est aussi puissant qu’attendu. Chaque page est un bonheur visuel dans la finesse du trait (comme dans la pertinence de la mise en couleur). Associé à l’intelligence du rythme et à la profondeur du propos, on a là une bande dessinée de commande, qui indéniablement, est bel et bien une BD d’auteur. Pensez-y s’il vous manque un cadeau sous le sapin... L'album est disponible au prix de 15 euros chez Glénat.

Par Yaneck Chareyre
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