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Critiques
par Baptiste Gilbert - le 6/06/2023
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par Baptiste Gilbert - le 6/06/2023

Deux albums pour comprendre les crimes de Vladimir Poutine

Depuis quelques années et encore plus depuis son attaque sur l’Ukraine, on entend parler de Vladimir Poutine presque tous les jours. Mais derrière l’image de stratège et de tyran qu’il s’est en partie lui-même construite, connaît-on vraiment la vie et la manière de penser du maître du Kremlin ? Retour sur deux albums qui nous aident à mieux comprendre l’étendue de ses crimes et de son emprise sur la Russie.

Poutine, l’ascension d’un dictateur, de Darryl Cunningham, Delcourt

Cet album-reportage de Darryl Cunningham suit la vie de Vladimir Poutine, de son enfance à Leningrad à son ascension de plus en plus autoritaire au sommet de l’État russe, en se concentrant sur les affaires criminelles auxquelles Poutine a été lié avant et depuis son accession au pouvoir.

Et le moins qu’on puisse dire, c’est que les affaires sont nombreuses. L’album qui en résulte est dense et extrêmement sourcé, avec de nombreuses citations d’articles, d’études, ou issues d’entretiens avec des experts de chaque sujet. Il résume chaque affaire en quelques pages, des détournements de fonds aux crimes de guerre, en passant par les multiples emprisonnements frauduleux et assassinats d’opposant.e.s. Cunningham fait preuve d’un vrai talent pour résumer les évènements, les enjeux et le contexte de chaque affaire sans chercher à (ni pouvoir) être exhaustif.

Le récit s’attarde aussi sur l’évolution de la Russie depuis la chute de l’URSS, et ce qui en a fait ce qu’elle est aujourd’hui : un pays dominé d’un côté par une classe politique autoritaire et de l’autre par une classe économique oligarchiques qui s’est enrichie sur les ruines du système soviétique. Deux classes très souvent liées, mais parfois en confrontation.

© Darryl Cunningham / Delcourt

En plus de résumer les faits, l’auteur utilise de nombreuses citations de personnalités ou issues d’études pour étayer son propos. Il s’agit donc d’une lecture qui demande du temps, pour emmagasiner et digérer toutes ces informations, d’autant plus qu’elles concernent des sujets difficiles. On vous recommandera donc de le lire en plusieurs fois, au risque que le tout ne soit un peu indigeste.

Le point faible de l’album est sans doute le dessin, réalisé par Darryl Cunningham lui-même et un peu sommaire. Toutefois, il est clair que la maestria visuelle n’est pas ce qu’on recherche en premier lieu dans un album de ce type, et cela ne gâche en rien son intérêt. D’autant que, couplé à une mise en scène et un découpage simples et ne s’embarrassant que rarement de cases, le tout rend assez fluide la description d’événements complexes. L’aspect visuel soutient le propos et facilite l’assimilation des informations, et c’est bien le plus important.

Avec ça en tête, on ne peut que vous conseiller cette BD reportage passionnante et riche de détails, qui permet de mieux se rendre compte de l’ampleur des crimes de Poutine et de son régime, mais aussi de son emprise sur la société russe.

Tsar par accident, de Andrew S. Weiss et Brian “Box” Brown, Rue de Sèvres

Dans Tsar par accident, Andrew S. Weiss, ancien expert de la Russie à la Maison Blanche, s’intéresse également à la vie de Poutine, mais avec un angle différent : le contraste entre la réalité et l’image qu’il s’est forgée d’homme fort et de stratège machiavélique. Il tente en effet de démonter cette image en expliquant comment le chef du Kremlin est arrivé au pouvoir et l’a renforcé au fil des années, nous permettant de mieux comprendre sa manière de réfléchir, ses influences et ses obsessions.

La bibliographie est là aussi très conséquente (11 pages !), mais la quantité d’informations est moins dense que dans l’Ascension d’un dictateur, s’attardant moins sur les affaires criminelles et leurs détails, et préférant se concentrer sur Vladimir Poutine lui-même et ce qui le pousse à agir comme il le fait.

L’album étant organisé de manière chronologique, on découvre d’abord les événements qui ont marqué sa vie avant son arrivée au Kremlin, en particulier ses années au KGB pendant la Guerre Froide, sa réaction à la chute de l’URSS, et son parcours lors des premières années de la Russie post-soviétique. Comment ces années ont influencé sa pratique du pouvoir, et comment elles ont ensuite été dépeintes par la propagande de l’État russe. Puis, le récit s’intéresse à sa manière de gouverner, son isolement au sommet de l’État, ses relations avec l’Occident, ou ses tentatives de manipulation des opinions publiques en Russie et à travers le monde … Des sujets multiples, mais toujours en cherchant à comprendre ce qu’il se passe dans son esprit. Évidemment, l’auteur ne prétend pas être dans la tête de Vladimir Poutine, et garde une certaine nuance dans ses analyses, toutes basées sur des faits et des discussions avec des expert.e.s du sujet.

© Andrew S. Weiss / Brian “Box” Brown / Rue de Sèvres

En dépeignant les approximations et les hasards qui ont servi la carrière de Poutine, mais aussi ses nombreux échecs, Andrew S. Weiss casse efficacement l’image de stratège que l’autocrate s’est construite au fil des années, pour nous laisser en tête un homme extrêmement dangereux mais isolé et rongé par ses obsessions.

Les illustrations de Brian “Box” Brown sont parfaitement adaptées à ce récit documentaire, à la fois sobres, claires et dynamiques, avec quelques touches d’humour. Brown joue sur les trames, qui apportent du relief à son dessin, et utilise les couleurs de manière parcimonieuse : une par chapitre, pour accentuer l’ambiance globale de celui-ci (rouge pour les années au KGB, jaune pour les “années dorées” de sa montée au pouvoir, etc …) et quelques touches d’autres couleurs pour représenter les drapeaux ou les manifestations, une manière efficace d’accentuer les contrastes et oppositions politiques.

Andrew S. Weiss et Brian “Box” Brown réussissent un exercice difficile en cherchant à entrer dans la tête de l’homme le plus puissant de Russie, pour en peindre un portrait plus réaliste que l’image qu’il s’est construite. Un album fascinant qui permet de mieux comprendre l’homme derrière la facade.

© Darryl Cunningham / Delcourt

Un petit regret pour ces deux albums passionnants, le traitement des relations avec l’occident, très centré sur les Etats-Unis (et dans une moindre mesure le Royaume-Uni). Les dirigeant.e.s et figures politiques de l’Union européenne n’apparaissent que très rarement, et sont généralement représentés par Angela Merkel, avec seulement une ou deux mentions d’Emmanuel Macron ou de Marine Le Pen. 

On aurait notamment aimé que les récits s’attardent un peu plus sur les liens complexes entre le Kremlin et les dirigeant.e.s politiques d’extrême droite européen.ne.s, rapidement évoqués. Mais c’est là un biais inhérent au point de vue de leurs auteurs (tous anglo-saxons), et on comprend sans mal qu’ils se concentrent sur l’influence de Vladimir Poutine aux Etats-Unis, en particulier au moment des élections présidentielles de 2016.

Deux livres qui traitent des mêmes faits mais avec un angle très différent, l’un se concentrant sur les affaires criminelles du régime de Vladimir Poutine, et l’autre cherchant à expliquer l’homme derrière la façade vendue par le chef du Kremlin. Deux récits assez complémentaires, tous deux extrêmement sourcés, et qui permettent d’un peu mieux comprendre la manière de penser d’un des autocrates les plus influents et meurtriers au monde.


Illustrations Poutine, l’ascension d’un dictateur : © Darryl Cunningham / Delcourt

Illustrations Tsar par accident : © Andrew S. Weiss / Brian “Box” Brown / Rue de Sèvres

© Darryl Cunningham / Delcourt
© Darryl Cunningham / Delcourt
© Darryl Cunningham / Delcourt
© Andrew S. Weiss / Brian “Box” Brown / Rue de Sèvres
© Andrew S. Weiss / Brian “Box” Brown / Rue de Sèvres
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