Presque soixante après les premiers écrits du romancier français, Ankama et ComixBuro ont annoncé en 2012 la création d'une collection "Les Univers de Stefan Wul", destinée à produire les adaptations des douze romans qu'il a écrit, dont onze ont été publiés à l'époque en à peine trois ans. A l'initiative de ce grand projet, il y a Olivier Vatine (Aquablue, Carmen McCallum), un habitué des univers de science-fiction et admirateur éclairé de Wul. Une façon pour lui de réaliser un rêve de jeunesse (adapter son idole) et de présenter le travail de l'écrivain parisien à une nouvelle génération.
En un an, OMS en série et Piège sur Zarkass ont ainsi pu renaître entre les mains expertes de Mike Hawthorne (Deadpool, Three Days in Europe) et Didier Cassegrain (Tao Bang, Légendes de Troy), Olivier Vatine ayant fait le choix d'assumer lui-même le plus grand des succès de Wul : Niourk. C'est à présent à La Peur Géante de se prêter au jeu, avec Denis Lapière (Le Bar du vieux français, Michel Vaillant) et Mathieu Reynès (Sexy Gun, La mémoire de l'Eau) aux commandes, entre deux albums d'Alter-Ego.

An 2157. Raz-de-marée et tsunami submergent la majeure partie de la Terre après qu'une brutale fonte des glaces ait été observé dans les pôles. En cause : la modification subite des propriétés naturelles de l'eau, qui ne gèle ni ne s'évapore plus aux températures habituelles. Contacté par l'A.U.E.M, le nageur de combat Bruno Daix voit ses vacances annulés à la dernière minute par un ordre de mission censé le conduire à San Francisco. Pris dans une gigantesque lame de fond qui dévaste la ville, Bruno Daix est cependant condamné à mener son enquête avant même de décoller et devra affronter les responsables de la catastrophe.
Au-delà d'une simple transposition de La Peur Géante, les auteurs ont effectué un travail d'adaptation intelligent afin de moderniser le récit et le rendre plus accessible : Bruno Daix l'ingénieur cède sa place à Bruno Daix le nageur de combat body-buildé, la journaliste Kou-Sien Tchéi se fait scientique et spécialiste des langues anciennes. Deux exemples d'entorse à l'oeuvre originale finalement nécessaires à la tenue du cahier des charges : condenser le roman en deux albums.
Publié en 1957, La Peur Géante est inspiré d'une époque ô combien différente des années 2000. La colonisation française y est sujet d'actualité et Wul est témoin de la multiplication des technologies et de la société de consommation. En découle un récit d'anticipation qui se veut une réflexion sur le devenir de la colonisation et l'apathie que pourrait provoquer une société automatisée à l'extrême : des thèmes assez peu exploités par Denis Lapière, qui surfe sur la vague de la fable écologique dans sa conquête d'un public plus large.

Quatre-vingt douze planches, c'est évidemment peu pour adapter un roman de cent soixante neuf pages. Alors les deux auteurs privilégient l'action et délaissent tout concept de tension dramatique : un comble pour un récit qui s'articule autour du génocide de l'espèce humaine ! Mais une décision cohérente et efficace, qui masque l'appauvrissement du matériau d'origine derrière les péripéties effrénés de Bruno Daix.
Ankama oblige, la qualité première de La Peur Géante, c'est bien sûr Mathieu Reynès. Le dessinateur d'Alter-Ego est fidèle au style qui a fait la singularité de la série aux six protagonistes. Loin des travaux de Wul, cet album propose une ambiance légère, entre forte luminosité et couleurs vives. C'est cependant le travail effectué sur le découpage de l'album qui dénote le mieux des aspirations des auteurs.
Tout y est au service d'une résolution rapide des aventures de Bruno Daix. Il est en effet très difficile de projeter son attention sur ce qui pourrait arriver : le rythme et la démesure de certaines cases portent le lecteur sans lui accorder la moindre pause. Comme un bon blockbuster, La Peur Géante remplace donc la tension qu'il peine à susciter par une plongée dans le domaine du spectaculaire. Ces chocs visuels (déferlante de la lame de fond, premier contact avec les Torpedes...) font de cet album une lecture facile, accessible à un jeune public comme l'était déjà Niourk, Piège sur Zarkass et OMS en série dans la même collection. Une nouvelle introduction de qualité à l'univers de Wul.
Adaptation au sens noble du terme, La Peur Géante de Denis Lapière et Mathieu Reynès revisite le roman de Stefan Wul sur la base d'un blockbuster de papier techniquement irréprochable, nerveux et maîtrisé. Mais débarrassé de certains de ses éléments fondateurs pour toucher le lecteur d'aujourd'hui, le scénario déçoit quelque peu par son manque d'ambition et de profondeur. Ce qui n'empêche heureusement pas La Peur Géante d'être une nouvelle réussite à épingler au tableau d'Ankama.






